Pour la deuxième fois consécutive la publication des minutes de la réunion du comité de politique monétaire de la Federal Reserve américaine met en émoi. En effet dans les discussions entre les membres du comité sur les mesures de politique monétaire il est évoqué par certains de la possibilité d’arrêter le Quantitative Easing (programme d’achat d’actifs financiers d’un montant actuel de 85 Mds de dollars par mois). La fin d’année pour une telle manœuvre est parfois évoquée.La discussion porte sur la robustesse du scénario relatif à l’économie américaine. Si celui ci est effectivement solide et se traduit par des créations d’emplois nombreuses, n’est il pas souhaitable de réduire d’abord le montant des achats d’actifs par la Fed puis de les arrêter. A cela d’autres rétorquent que la dynamique constatée sur le marché du travail n’est pas encore suffisamment robuste pour changer de stratégie.
On perçoit bien ici la précaution prise par les tenants du statu quo qui ne veulent pas renouer avec 1937/1938, années durant lesquelles la politique avait été resserrée et durcie trop vite. La conjoncture manquait de robustesse malgré les signaux encourageants. N’est on pas dans une situation de ce type? Des signaux positifs apparaissent mais sans pour autant être excessifs (il n’y a pas de rupture à la hausse dans aucun des indicateurs habituels alors que c’est généralement le cas lorsque l’économie américaine retrouve une trajectoire qui converge ers le plein emploi) et alors que le PIB est très loin de son potentiel et que le taux de chômage est bas parce que le taux d’activité est désormais très faible.
Si la conjoncture reste ce qu’elle est les discussions vont continuer bon train et il est probable que lors de la publication des prochaines minutes le paragraphe relatif aux opérations de la Fed sera à nouveau fourni et encombré de controverses.
Ces discussions tournent un peu en rond parce que l’incertitude est forte. C’est Tim Duy (@TimDuy) qui résume le mieux cette question en posant le dilemme suivant:
“Quelle robustesse doivent avoir les indicateurs économiques pour arrêter le QE? Quelle fragilité doivent avoir les indicateurs économiques pour valider la poursuite du QE?” (voir son commentaire ici).
Les humeurs oscillent entre ces deux frontières et clairement la décision prise dépendra effectivement des niveaux enregistrés sur les indicateurs d’activité et d’emploi. Pour l’instant il est toujours trop tôt.
Gardons cependant à l’esprit que même si la Fed arrête le mécanisme d’achat d’actifs, elle n’a aucune obligation de changer le niveau de son taux d’intérêt de référence. Le Quantitative Easing est un moyen de rendre accommodante la politique monétaire lorsque les taux d’intérêt ne peuvent pas devenir négatifs. De ce point de vue, le graphe ci dessous me semble toujours pertinent. J’ai estimé sur la période 1990 – 2007 en données mensuelles une fonction de réaction de la Fed conditionnée à des données macroéconomiques. A partir de 2008 jusqu’en février 2013 j’ai simulé en prenant les valeurs observées par ces indicateurs macroéconomiques et les paramètres qui avaient été calculés. On observe alors que depuis avril 2009 le taux de la Fed aurait dû être négatif. Le QE est simplement là pour pallier l’impossibilité d’un taux d’intérêt négatif.
En février 2013 selon cette mesure qui prend bien en compte les retournements de la stratégie de la Fed, le taux de référence est encore négatif. Attendons qu’il revienne à 0% pour rediscuter d’un arrêt rapide du QE.
En simulant encore on pourrait maintenir le taux d’inflation bas et regarder à quelle vitesse ce taux reviendrait en territoire positif en fonction du niveau du taux de chômage. Cependant une approche linéaire serait stupide car le taux d’activité a chuté très rapidement indiquant des effets de découragement. Dès lors si la situation s’améliore une partie de cette population estimera possible de retrouver un emploi grossissant alors le nombre de chômeurs et provoquant une hausse du taux de chômage.
Des interrogations nombreuses tournent encore autour de la conjoncture américaine et de la stratégie qui pourra être menée par la Fed. Conservons à l’esprit que même si la Fed a clairement indiqué que la fin du QE n’entrainerait pas spontanément une hausse de ses taux d’intérêt, il est clair que les investisseurs eux l’anticiperont. Dès lors dès la fin du QE la fin des taux très bas sera perçue comme programmée et entrainera une remontée rapide des taux d’intérêt de long terme. L’économie devra alors être suffisamment robuste pour amortir ce choc sans tressaillir.