Depuis 2008 l’économie française connait une période de très faible activité. Une illustration pour éclairer ce point: à la fin du premier trimestre 2013 le PIB, la mesure la plus large de l’activité économique, est encore 0.5% au-dessous du niveau qui avait été observé au premier semestre 2008 soit avant la rupture résultant de la faillite de la banque Lehman Brothers. Cette situation n’est pas spécifique à la France. La zone Euro (-2.8%), l’Italie (-7.8%), l’Espagne (-6.5%), le Royaume Uni (-3.7%) ou encore le Japon (-1.6%) ont des écarts encore plus marqués. L’Allemagne (+1.5%) et les Etats-Unis (+2.8%) sont un peu au-dessus du niveau d’activité observé au premier semestre 2008 mais sans que cela présente un écart comparable à ce qui était observé par le passé.
Une contrainte particulière apparait déjà: la majorité des partenaires commerciaux de l’économie française connaissent une croissance très faible ne créant pas un flux d’importations forts en provenance de la France.
Restons sur la France. On ne peut pas isoler la période la plus récente qualifiée de récession parce que se référant à deux trimestres consécutifs de baisse du PIB (T4 2012 et T1 2013) à la situation connue depuis 2008. En effet depuis cette date la dynamique de l’économie française s’est dégradée de façon continue.
UNE COMPARAISON CHIFFREE
Sur le passé récent on peut, pour comparer avec la situation actuelle, retenir deux récessions: la première est consécutive au premier choc pétrolier de 1974, la seconde a résulté de la crise du Système Monétaire Européen en 1992.
Au début des années 80 il n’y a pas eu réellement de récession au sens d’une mesure de repli de deux trimestres consécutifs du PIB. Celui-ci a reculé au 2ème trimestre 1980 après le deuxième choc pétrolier puis au dernier trimestre de cette même année mais il n’y a pas eu les deux trimestres consécutifs .
Un graphique permet de visualiser simplement les trois périodes.
Pour comparer les 3 périodes j’ai recalculé le PIB par tête à 100 au point haut de chacune des périodes choisies de récession (sur des données annuelles). Les points hauts sont donc 1974, 1992 et 2007.
Quel Constat ?
Le premier constat est qu’après une année de récession, en 1975 et 1993, l’activité retrouve le niveau qui était le sien avant la rupture. Le rebond a été très rapide. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Le niveau de PIB par tête de 2007 n’a toujours pas été retrouvé en 2012 ni en 2013 si l’on suit les prévisions de la Commission Européenne.
En 1974 le rebond de l’activité a été très rapide puisqu’en 1980 le PIB par tête est près de 14 % supérieur à ce qui était observé avant la crise pétrolière. Les années 70 n’ont pas été aussi austère que ce que l’on a en mémoire.
En 1992 le rebond aussi est significatif et se situe plus de 8% au-dessus du point de 1992.
Actuellement, le PIB par tête est toujours inférieur à ce qu’il était en 2007. On a ici une mesure simple de la particularité de la période actuelle.
Il y a plusieurs éléments de différenciation entre la période actuelle et les deux précédentes récessions.
DES MODES D’AJUSTEMENT DISTINCTS
Les modes d’ajustement ne sont pas les mêmes et les vitesses d’ajustement sont distincts du fait d’un cadre institutionnel différent.
Ainsi les déséquilibres de compte extérieur, une des sources de la crise actuelle, sont-ils plus longs à rééquilibrer que lors de la crise du SME de 1992. A l’époque l’ajustement s’était opéré par la dévaluation de la monnaie de nombreux pays.
Ce n’est pas le cas actuellement où le rééquilibrage des déficits extérieurs passe par la volonté de trouver des gains de compétitivité en réduisant les coûts, notamment les coûts salariaux, et en déprimant la demande interne afin de réduire les importations. Ces modes d’ajustement prennent du temps et prolongent de façon immodérée la période de faible activité économique. Un pays qui ajuste rapidement ses finances publiques va peser sur la demande adressée aux entreprises et la baisse des coûts salariaux n’incitera pas les salariés à dépenser davantage. Ces deux facteurs sont une source majeure des récessions observées en Espagne, en Italie, au Portugal ou encore en Grèce.
Cette dynamique récessive pèse sur le comportement de l’économie française. Elle ne peut pas échanger de façon aussi intensive que par le passé avec ses principaux partenaires commerciaux.
UNE POLITIQUE ECONOMIQUE PLUS CONTRAIGNANTE AUJOURD’HUI
Cependant la situation de l’économie française n’est pas liée uniquement à ce qui se passe à l’étranger. Une différence majeure est que dans les années 70 et 90, les politiques de rigueur et d’austérité n’avaientt été mise en œuvre que lorsque le niveau d’activité était revenu à son niveau d’avant crise. En d’autres termes, l’Etat acceptait des déficits tant que l’économie n’avait pas retrouvé une trajectoire plus robuste. Ce séquencement ne s’est jamais traduit par une rechute en récession. Le plan Barre est daté de 1976 et le plan Juppé de 1995/1996. On peut mesurer l’impact du plan Juppe à la lecture du profil du déficit budgétaire structurel. En 1996 le déficit structurel se réduit fortement reflétant le changement de stratégie de la part du gouvernement. Mais à cette date le PIB par tête était déjà bien supérieur à celui de 1992. La dynamique productive était reparti bien avant la mise en place de la politique rigoureuse sans entraîner de rechute en récession.
Actuellement l’objectif de réduction des déficits publics s’applique alors que le niveau d’activité est encore loin d’avoir retrouvé son niveau d’avant crise. C’est trop tôt car les acteurs de l’économie, ménages et entreprises, ne se sont pas encore ajustés à leur nouvel environnement. La demande interne privée est pénalisée.
La contrainte sur la demande interne privée n’intervient donc pas au même moment dans les trois périodes observées.
Cela peut être illustré par le profil de la demande interne privée: en 1974 elle progresse très vite et est un support majeure de la reprise de l’activité. L’impact du plan de rigueur de 1976 n’est pas franchement perceptible. Entre 1992 et 2007 la différenciation s’opère notamment à partir de 2011 et la mise en place de cette stratégie trop rigoureuse voulant revenir très vite à l’équiloibre budgétaire.
C’est probablement une erreur de politique économique majeure au sein de la zone Euro que de vouloir rééquilibrer trop rapidement les finances publiques. Cela est d’autant plus problématique que l’économie mondiale, notamment à partir de 2011, a connu elle aussi une période de progression plus réduite. On ne pouvait imaginer exporter davantage pour compenser l’effet récessif de la réduction des déficits publics.
De façon simple, depuis 2011 en Europe et aussi en France, la demande adressée aux entreprises s’étiole. Pas étonnant que la récession de la zone Euro et de la France dure.
UNE DYNAMIQUE DE L’ECONOMIE PLUS VIVE EN 1974 ET 1992
Une différence majeure également est qu’en 1974 et en 1992 la progression de la productivité de l’économie française était beaucoup plus forte. Pour le dire autrement l’efficacité du système productif était bien supérieure et permettait de se recaler rapidement sur une trajectoire plus vertueuse. Aujourd’hui la productivité progresse lentement et ne permet pas ce regain spontané de l’activité. Ceci traduit et de longue date l’investissement insuffisant au sein de l’économie française et l’intégration limitée de progrès technique dans l’ensemble de la chaine productive. On voit bien sur le graphique que les trois périodes correspondent à des profils de productivité très différents.
C’est aussi une fragilité résultant de la désindustrialisation de l’économie française. D’autres pays ont fait mieux au sein des concurrents industriels de la France.
Une conséquence de cette situation est un déficit extérieur important depuis 2008. Il traduit ce manque de compétitivité de l’économie française dans la durée. Il complique ainsi le mode d’ajustement de l’économie française.
DES INCERTITUDES INSTITUTIONNELLES PLUS FORTES AUJOURD’HUI
Sur un autre plan la période actuelle est marquée par des incertitudes institutionnelles fortes. La reconstruction de la zone Euro (après un risque d’éclatement au printemps 2011) et l’ensemble des questions sociales domestiques (problème des retraites par exemple) engendrent des situations complexes et incertaines pouvant engendrer des comportements attentistes notamment sur l’investissement.
Autrement dit, il y a un an la question de la sortie de la Grèce et de la contagion au reste de la zone Euro était génératrice d’une incertitude profonde quant à l’existence même de la zone Euro. Pas étonnant que cela ait engendré de l’attentisme en France mais aussi chez les partenaires de la France en Europe.
Les réformes mises en place depuis l’été 2012 ont permis une réduction de l’incertitude. Ce cadre institutionnel incertain est une source majeure de différentiation entre la période actuelle et celles des deux autres récessions.
ELEMENTS DE CONCLUSION
La situation de l’économie est très différente de ce qu’elle était après les récessions des années 70 et 90. Le sentiment rétrospectif est que le choc de la récession n’avait pas réussi, à l’époque, à perturber durablement la dynamique de l’économie française en raison d’une productivité forte. Aujourd’hui cette productivité progresse lentement et les problèmes posés sont plus complexes reflétant une plus grande interdépendance et un cadre institutionnel de nature très différent. En outre la vitesse d’ajustement des politiques économiques n’a pas été la même. Très rapide dans la période actuelle alors que lors des récessions de 1974 et 1992 les politiques plus rogoureuses n’avaient été mises en place qu’après le retour de l’activité à son niveau d’avant crise. C’est une différence majeure.
Il faut désormais reconstruire la dynamique de la zone Euro et de la France en prenant en compte cette vitesse d’ajustement beaucoup plus lente et cette productivité insuffisante pour faire spontanément redémarrer l’économie de façon endogène. Cette étape n’est pas encore franchie et ce doit être l’objet de réformes structurelles visant à améliorer l’efficacité de l’économie française au profit de tous.
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