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Zone Euro – Vers un nouvel équilibre
Le risque de déflation perçu et les ajustements en cours en zone Euro obligent à définir un nouvel équilibre. Les mécanismes à l’œuvre avant la crise et qui avaient donné à l’Allemagne une position forte sont remis en cause. Face à de nouvelles contraintes, de nouvelles opportunités et en raison de rapports de force qui ont évolué, il faut retrouver une nouvelle façon de fonctionner ensemble au sein de la zone Euro. C’est cette nouvelle géographie qu’il faut redéfinir au sein de la zone Euro. La convergence vers ce nouvel équilibre est une condition nécessaire à une future période de prospérité.
La construction du déséquilibre
Avant la crise, la situation en zone Euro peut se décrire à l’aide du graphique ci-dessous reprenant le profil de la demande intérieure de plusieurs pays. Jusqu’en 2011 l’Allemagne a la demande interne la moins dynamique. De 2000 à 2011 elle ne progresse que d’un peu plus de 5%. En revanche l’Espagne et l’Irlande caracolent. En France la demande interne évolue plus rapidement que celle de la zone Euro.
La progression réduite de la demande interne se traduit en Allemagne par une hausse limitée de ses importations alors que ses exportations profitent de la demande interne forte des autres pays de la zone.
Cela peut être illustré dans le cas de la France par le deuxième graphique. Il représente d’une part l’évolution relative de la demande interne allemande face à la demande interne française et d’autre part le solde commercial bilatéral entre la France et l’Allemagne. La demande interne française est plus vive que celle de l’Allemagne et cela se traduit par une dégradation du solde bilatéral français. Ce schéma se retrouve dans de nombreux pays ayant connu une progression rapide de leur demande interne.
Dans le même temps, les coûts salariaux allemands mais aussi l’indice des prix sous-jacents progressent moins vite outre-Rhin que dans les autres pays de la zone. Cela lui donne un avantage compétitif. Le graphique montre l’évolution des indices de prix sous-jacent de l’Allemagne et de la zone Euro depuis 1999. Autrement dit l’euphorie avait engendré des hausses de salaires importantes dans de nombreux pays de la zone avec pour conséquence un taux d’inflation plus élevé dans la durée.
L’impact majeur de ces évolutions est l’apparition de déséquilibres forts au sein de la zone Euro. En synthèse, les comptes courants retracés ci-contre montrent une dégradation très rapide cohérente avec le profil des demandes internes.
Cette situation n’était pas tenable car les politiques et les systèmes financiers sont encore très locaux. Cette absence d’intégration maintient le rôle habituel des comptes extérieurs. S’ils présentent des déséquilibres forts il n’y a pas d’ajustements endogènes qui permettraient un rééquilibrage spontané.
La dynamique de crise
La période de crise au sein de la zone Euro est celle du changement de référence.
Les comportements doivent changer afin de rendre les trajectoires de chaque pays plus compatibles.
La première option prise est d’essayer de corriger les déséquilibres nominaux. L’objectif est de mettre en œuvre une mesure qui répliquerait une dévaluation redonnant de la compétitivité à l’économie concernée. Cela passe par des réductions de coûts parfois drastiques.
Seulement le mécanisme est plus long qu’une dévaluation qui peut avoir lieu pendant un week-end. Avec un ajustement par les coûts, salariaux notamment, le temps nécessaire est beaucoup plus long car cela il faut convaincre les salariés et infléchir le système social.
Pour accélérer le retour vers une situation plus équilibrée les autorités ont souhaité réduire de force les comptes courants déficitaires. Le meilleur moyen de le faire était d’accroitre l’épargne en incitant les autorités budgétaires à mettre en place des politiques très restrictives. C’est ce qui a été fait à partir de 2011. La stratégie d’austérité s’est traduite pour les pays concernés par une rupture dans le profil de la demande interne et c’est soldé ainsi par un retour vers l’équilibre des comptes courants. Ces objectifs ont été atteints même si cela a été au coût d’une longue récession.
Vers un nouvel équilibre
En reprenant les indicateurs de demande interne avec comme année de référence l’année 2008, celle de la rupture, alors l’image est tout autre. L’Allemagne est le pays dont la demande interne est la plus robuste. L’Irlande, l’Espagne, le Portugal ou encore l’Italie ont subi les conséquences des politiques d’austérité et ont désormais une demande interne très faible. Pas étonnant que les taux d’inflation s’infléchissent et qu’un risque de déflation apparaisse.
La difficulté de fonctionnement de la zone Euro est de rendre compatibles ces trajectoires divergentes.
Les ajustements ont été violents dans les pays périphériques mais l’Allemagne ne semble pas avoir été perturbée dans la gestion de sa demande interne par la crise. On le voit sur le 4ème graphe, on le notait aussi sur le 1er.
Cela impose une gestion de la politique économique complexe car il faut satisfaire à la fois les exigences de l’Allemagne qui ne souhaite pas dérégler sa belle machine mais aussi soutenir l’activité dans les pays dont la demande s’est effondrée.
De ce point de vue la réaction après la baisse du taux de refinancement de la BCE le 7 avril est significative. Les allemands mécontents souhaitaient davantage une politique plus orthodoxe afin de limiter d’éventuelles tensions inflationnistes qui à terme pourraient apparaitre.
En outre ces changements d’allure des demandes internes se sont traduits par un rééquilibrage des comptes courants et un net ralentissement des exportations allemandes vers les pays de la zone Euro. Cela a obligé l’Allemagne à réorienter ses exportations vers d’autres zones géographiques, l’Asie notamment pour profiter de la forte croissance et du besoin d’investissement là-bas.
Cependant la situation actuelle n’est pas tenable car top emprunte de comportements centrés pour chaque pays sur sa propre trajectoire. Il faut faciliter collectivement le retour de la croissance au sein de la zone Euro et éviter le risque d’une période de déflation. L’Allemagne doit avoir un rôle majeur en soutenant bien davantage sa demande interne afin de favoriser les exportations des autres pays de la zone et permettre un rééquilibrage durable des comptes courants. Cela pourrait passer par des mesures budgétaires ou par des flux de population comme cela peut être observé en ce moment.
En d’autres termes, le nouvel équilibre doit être plus coopératif et coordonné. L’Allemagne doit conserver sa capacité à capter la dynamique de l’économie globale mais elle doit aussi faciliter la diffusion de ces impulsions extérieures au sein de la zone Euro. A chaque pays de se donner les moyens d’être réactif pour capter et amplifier sur leur marché intérieur ces impulsions.
Ce cadre plus coopératif nécessite des réformes structurelles mais différentes dans chacun des pays de la zone. L’Espagne a commencé à mettre en œuvre une stratégie de ce type. Elle veut pouvoir amplifier l’impact de la hausse de ses exportations.
C’est ce changement profond qui doit être mis à l’œuvre pour retrouver de la croissance et de l’emploi.