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Le Yuan, une monnaie internationale en devenir ?
Au début du mois de décembre, l’entreprise SWIFT, spécialisée dans les transactions interbancaires, indiquait que le yuan, la monnaie chinoise, était à la fin de l’année 2013 la deuxième monnaie utilisée dans les contrats commerciaux. Alors que le dollar restait de loin la monnaie de référence, l’irruption de la monnaie chinoise sur la scène internationale faisait reculer l’euro à la troisième place des monnaies utilisées.
Cette situation nouvelle traduit la volonté des autorités chinoises de faire de leur monnaie un instrument du développement économique. La monnaie était sous le contrôle absolu de la Banque Centrale de Chine. Cela commence à évoluer comme le suggère la statistique et comme l’indique aussi la capacité des banques à émettre des certificats de dépôts à un taux d’intérêt de marché c’est-à-dire des taux négociables et non plus déterminés par la banque centrale. Cette dynamique va continuer et le changement sera radical.
Trois éléments complémentaires sont à prendre en compte pour mesurer et appréhender la rupture durable qui sera engendrée. Le premier porte sur l’ouverture nécessaire et la convertibilité de la monnaie chinoise, le deuxième porte sur l’ampleur de l’impact d’un tel bouleversement. Enfin le troisième aspect sera celui de la monnaie chinoise comme monnaie internationale.
Le rééquilibrage de la croissance
La stratégie économique chinoise change. Lors du dernier plenum du parti communiste du 9 au 12 novembre la stratégie de rééquilibrage de la croissance chinoise, déjà perceptible depuis 2 ans, a été validée et officialisée.
Ce rééquilibrage suggère une économie chinoise davantage centrée sur sa propre dynamique indiquant ainsi le souhait de développer davantage son marché intérieur et notamment sa consommation. Cela implique un dégonflement de l’épargne des ménages et le développement d’institutions capables de la capter. L’absence ou l’insuffisance d’institutions sociales, maladie, retraite, a incité les ménages chinois à épargner de façon excessive. Cela doit être normalisé.
Pour les institutions captant cette épargne il y aura une nécessité de répartir et de diversifier le risque. Cela passera par une exposition à des actifs qui sont au-delà de la frontière chinoise. Pour que cela puisse fonctionner il faut que le yuan devienne convertible, qu’il puisse être utilisé à l’étranger et sa valeur ne devra plus uniquement dépendre des souhaits de la banque centrale.
Cette étape n’est pas encore franchie. L’utilisation de la monnaie chinoise dans les transactions commerciales est une première étape. Les étapes suivantes se traduiront par une plus grande porosité entre la sphère financière chinoise et la finance globale.
L’ampleur du changement
C’est à l’échelle de l’économie globale que le panorama financier va changer en profondeur. Les banques chinoises qui sont déjà les plus grandes du monde sont restées très locales. Avec la convertibilité de la monnaie chinoise une nouvelle étape sera franchie et elles deviendront plus ouvertes sur le monde. L’équilibre financier mondial en sera bouleversé.
Dans une étude récente, la Banque d’Angleterre donne des pistes intéressantes pour mesurer ces ruptures (voir ici). En faisant l’hypothèse de l’ouverture et de la convertibilité de la monnaie chinoise, l’auteur indique trois sources de croissance de l’impact de la libéralisation financière chinoise.
Le premier point est d’observer l’écart d’engagements internationaux entre une économie fermée comme la Chine et une économie ouverte comme celle des Etats-Unis. Il y aura un rattrapage de la Chine vers les Etats-Unis. Si l’on compare la structure de la position extérieure nette des deux pays, le rattrapage se fera principalement par les investissements de portefeuille. Le poids de ces investissements aux USA est très supérieur à celui de la Chine. Le rapport est de 1 à 15 pour les investissements à l’étranger et de 1 à 20 pour les investissements des non-résidents sur des actifs locaux.
Le deuxième élément est que ce rattrapage sera couplé à une croissance toujours un peu plus forte en Chine que dans le reste du monde. Même si les perspectives de croissance sont plus réduites qu’il y a quelques années, elles restent fortes malgré tout.
Le troisième élément est la réduction du biais domestique via une diversification internationale plus efficace.
Dans son étude la Banque d’Angleterre estime que la position internationale de la Chine qui est estimée à 5 % du PIB mondial en 2012 tendra vers plus de 30% à l’horizon 2025. L’accélération risque d’être brutale, rapide et déstabilisante pour l’équilibre des institutions financières en Europe et aux Etats-Unis. Il faut s’y préparer dès maintenant.
Le yuan comme monnaie internationale
La monnaie chinoise est encore très loin d’occuper une position concurrente de celle du dollar américain. Néanmoins la question se posera forcément. Jusqu’à présent, le billet vert a régné sans partage. Tant pour les transactions commerciales que financières son poids est resté considérable malgré les aléas. Cela peut se lire encore dans les réserves de changes où il représente plus de 60 % des réserves détenues.
Si l’économie chinoise prend une part plus importante dans la dynamique financière mondiale cette situation va être bousculée. Mais se traduira-t-elle par une cohabitation entre le dollar et le yuan comme cela avait été le cas entre le Sterling britannique et le dollar américain dans la période d’entre-deux guerres. Cette période a pu être lue comme une passation de pouvoir financier entre le Royaume Uni et les Etats-Unis. Une cohabitation similaire traduirait-elle une telle rupture?
A moyen terme, au niveau international s’applique ce qui est appelé une anti-loi de Gresham selon laquelle la bonne monnaie chasse la mauvaise. Cela veut dire qu’en période “normale” une seule monnaie est la référence des échanges. Le choix qui s’y attache traduit aussi le poids politique du pays émetteur de la monnaie. De ce point de vue il n’est pas certain que les américains se laisseront éclipser aussi facilement. On peut imaginer période de cohabitation mais sans savoir a priori celui qui l’emportera. Dans un papier récent Wing Thye Woo s’interroge sur la possibilité pour la Chine de prendre l’ascendant en raison d’un pouvoir économique insuffisant même à moyen terme. Le PIB par tête chinois restera très faible comparé à celui des Etats-Unis (voir ici).
Dans une économie globalisée on pourrait aussi imaginer une architecture financière plus organisée avec trois monnaies de référence. C’est une construction souvent évoquée par les économistes mais pas forcément compatible avec le schéma développé juste au paragraphe précédent. Cette architecture nouvelle associerait à chaque région du monde une monnaie de référence, le dollar, le yuan et l’euro. Il faudrait ici construire un cadre institutionnel de cohabitation. Cela serait plus équilibré et supposerait un équilibre politique plus équilibré aussi. Je ne sais pas si cela est réaliste avec trois entités, l’histoire en tout cas ne le montre pas. Gerard Challiand avec une vision plus large que la seule monnaie évoque un cadre global multipolaire en raison de la ré-émergence de la Chine, de l’Inde, de la Turquie ou d’autres pays. Cependant est ce compatible avec la question monétaire reste une vraie question (voir ici).
L’ouverture de la Chine va se traduire par des bouleversements financiers considérables au cours des prochaines années. Le choc risque d’être similaire à celui qui avait été observé sur l’économie industrielle au cours des dix premières années du millénaire. L’arrivée de la Chine au sein de l’économie mondiale après son adhésion à l’OMC en décembre 2001 avait bouleversé l’équilibre industriel mondial. Le poids pris depuis cette date par la Chine est spectaculaire. Ne doutons pas que la révolution financière qui se prépare au pays de l’Empire du Milieu aura des conséquences proches pour la sphère financière mondiale.