Lors de la réunion de la BCE du 6 février, trois problématiques devront trouver des éléments de réponse.
La première est celle de la déflation.
Les pressions inflationnistes sont très réduites aujourd’hui en zone Euro. Le taux d’inflation était de 0.7% en Janvier 2014 et certains pays sont en déflation (Grèce, Chypre) et d’autres n’en sont pas loin (Espagne, Portugal, Irlande). Cette situation est préoccupante car elle montre très clairement que la zone Euro est encore éloignée de l’équilibre. En outre en raison d’une demande interne médiocre, tout risque de déflation se traduira par une inflexion supplémentaire de la demande et donc de l’activité, replongeant alors l’économie de la zone Euro dans une conjoncture fragile et délicate.
Il y a 3 mois au début du mois de novembre, l’alerte d’une inflation trop basse (0.7% déjà en octobre) avait incité la BCE a réduire son taux de refinancement à 0.25%.
Pour plus de détails et les inquiétudes associées à une situation de déflation en zone Euro voir ici
La deuxième point est la volatilité nouvelle de l’EONIA.
Le taux du jour le jour qui était très stable au-dessous de 10 points de base connait désormais une volatilité spectaculaire. A plusieurs reprises ce taux est passé au dessus du taux de refinancement. Une telle situation suggère une liquidité insuffisante.
L’analyse du marché monétaire indique que les remboursements très rapide des LTRO, à hauteur de près de 90%, se traduisent par une réduction des liquidités. La mesure de “l’excess liquidity” est à 168 Mds d’euro à la fin du mois de janvier (voir graphe plus bas) alors qu’il était courant de supposer qu’en dessous de 200 Mds les liquidités seraient insuffisantes. Son point haut en mars 2012 après le début des opérations de LTRO était de 800 Mds. A court terme, les montants résiduels vont passer comme des opérations à moins d’un an et la BCE craint une accélération supplémentaire des remboursements. Cela pourrait accentuer la volatilité de l’EONIA.
Par ailleurs, le niveau plus élevé de l’EONIA et de l’Euribor 3 mois renchérit le coût de refinancement des banques (c’est aussi ce qui était noté dans l’enquête trimestrielle de la BCE auprès des banques)
Et la volatilité plus forte réduit la prédictibilité des taux d’intérêt. Il y a donc accroissement de l’incertitude ce qui va à l’encontre des orientations souhaitées par Mario Draghi.
Le troisième point est justement cette baisse de la liquidité.
Elle se mesure comme évoqué plus haut mais elle s’observe aussi par la taille du bilan de la BCE en % du PIB. Après un gonflement spectaculaire lors des opérations d’apport de liquidités via les opérations LTRO, le bilan de la BCE se réduit indiquant d’une certaine manière que la BCE mène une politique plus restrictive.
Dans le même temps la même mesure aux USA continue de progresser rapidement même après le début des réductions d’achats d’actifs par la Fed. Cette opposition avec les USA est surement une des raisons du maintien de l’euro à une parité élevée contre le dollar. L’offre de liquidités n’a pas la même allure des deux côtés de l’Atlantique.
Quelles sont les possibilités d’intervention de la BCE?
La réponse généralement apportée à la volatilité de l’EONIA passe par une baisse du taux de refinancement. Un taux de 0.1% est anticipé (0.25% actuellement) si ce genre de solution devait être mise en œuvre. Deux réflexions
Quel sera l’effet d’une baisse de taux d’intérêt? Sur la dynamique macroéconomique, l’impact sera réduit car pour l’instant la volatilité ne s’observe que sur les parties les plus courtes de la courbe. Il n’y a pas de contagion vers les échéances plus longues et pas de trajectoires divergentes pour les échéances monétaires plus longues.
Par ailleurs on avait observé en novembre dernier lorsque le taux de la BCE était tombé à 0.25% un impact à peine perceptible sur la parité euro contre dollar.
L’effet d’entrainement macroéconomique sera réduit.
L’autre remarque est que dans le cas d’une baisse du taux de refinancement, il serait probablement nécessaire de réduire le taux des facilités de dépôts. Ce taux est à 0% actuellement. Est-ce que l’on peut conserver un écart entre les deux taux de simplement 10 points de base, ou faut il le maintenir plus large et dans ce cas passer à un taux de facilités qui deviendrait négatif?
On imagine bien l’effet incitatif que pourrait avoir un taux négatif pour les banques dans la gestion de leurs réserves. On pourrait y voir une incitation à faire du crédit mais la dernière enquête de la BCE auprès des banques ne montrait pas une demande de crédit excessive. On peut aussi y voir une sorte de taxe qui pénaliserait notamment les banques les plus fragiles.
En outre alors que cette année les banques vont être examinées sous toutes les coutures dans le cadre de la préparation de l’Union Bancaire, est ce le moment de prendre le risque de les déstabiliser avec un taux de facilités de dépôt négatif ?
Les apports de liquidités posent plusieurs questions.
On a vu dans les graphes que la liquidité était en repli. Cependant, comment faire pour apporter une liquidité nouvelle permettant de changer dans la durée les perspectives des investisseurs.
On pourrait imaginer un LTRO à 2 ou 3 ans dans la continuité des deux opérations lancées en 2012. Mise en route rapidement cela éviterait les risque de discontinuité résultant de remboursements très rapide des anciennes opérations de la part des banques.
Cependant, la question est de savoir à quoi les banques utiliseraient elles ces liquidités supplémentaires ? Dans les opérations précédentes elles ont utilisé ces liquidités pour acheter des dettes publiques.
La question toute simple est de savoir s’il est optimal d’imaginer des opérations de ce type alors que 2014 sera l’année de la mise en œuvre de l’Union Bancaire qui se justifie notamment par la volonté des autorités de séparer clairement les risques bancaires des risques souverains. Acheter de la dette publique pour les banques ressemblerait un peu à de la provocation. La BCE ne peut pas imaginer cela spontanément.
Il faudrait un LTRO ciblé et finalement assez contraignant pour les banques. Il a été imaginé des opérations conditionnées par la mise en place de lignes de crédit. On voit bien le souhait de la BCE de favoriser l’efficacité de sa politique monétaire. Les banques seront elles demandeuses ?
Dans son propos tenu à Davos, Mario Draghi avait évoqué la possibilité d’acheter des crédits. En d’autres termes, si les banques titrisent des crédits, la Banque Centrale Européenne pourrait se mettre en face et faire des apports de liquidités aux banques. Les actifs achetés pourraient être ciblés pour favoriser les PME notamment. Seulement, le marché de la titrisation n’est pas encore d’une taille suffisante pour permettre des opérations de grande ampleur de la BCE.
On peut imaginer la fin des opérations de stérilisation menées dans le cadre d’un programme ancien d’achat d’actifs par la BCE (programme SMP) La stérilisation des opérations du programme SMP représentait 175 Mds d’euros à la fin janvier. Ne plus stériliser se traduirait par une hausse spontanée de la liquidité.
On peut enfin imaginer une baisse des taux de réserve.
Dans l’inventaire de ces mesures il n’y aura pas de rachats massifs d’actifs gouvernementaux à la façon dont la Fed a acheté des bons du Trésor dans le cadre du Quantitative Easing. Cela ne lui est pas permis statutairement sur le marché primaire et sur le marché secondaire la décision de la cour constitutionnelle de Karlsruhe se fait attendre.
Bref, si la BCE ne peut pas acheter de titres d’Etat, si elle ne souhaite pas mettre en œuvre un LTRO, pour éviter que les banques n’achètent des obligations d’Etat et se mettent en contradiction avec l’Union Bancaire qui se crée, alors les choix sont réduits pour apporter de la liquidité dans le système afin de faciliter la stabilité et la prédictibilité des taux d’intérêt de très court terme.
La BCE peut abaisser son taux de refinancement pour techniquement peser sur l’EONIA mais un taux de facilités de dépôts négatif semble compliqué à mettre en œuvre dans une période où les banques sont examinées et où l’exemple précédent du Danemark n’a pas été franchement concluant. Et cela ne serait efficace dans la durée qu’avec un apport de liquidités supplémentaires.
La BCE a mis en place une opération dites OMT à l’été 2012 qui ne sont que des garanties mais elles ont permis de faire baisser de façon significatives les taux d’intérêt en Espagne et en Italie. Elle a pu le faire sans bourse délier. Est elle capable de renouveler une opération de ce type afin de persuader les investisseurs que finalement le risque s’estompe? Mais sera-ce suffisant pour infléchir à la hausse les anticipations des acteurs de l’économie afin de ne pas verser dans la déflation. A Mario Draghi de nous surprendre.
Je remercie Aline Goupil-Raguenes dans la préparation de cette note