Interview donné à JOL Press. Vous pouvez le retrouver en intégralité ici
Le PIB n’a atteint que 0,2% entre octobre et décembre derniers, au lieu de 0,3% estimé dans un premier temps. Et pour l’ensemble de l’année 2013, la croissance n’a été que de 1,5%, contre 1,6% annoncé mi-février par le gouvernement japonais. Des chiffres qui nourrissent les doutes sur l’efficacité des «Abenomics», ces mesures prises par le Premier ministre Shinzo Abe pour relancer la croissance et sortir le pays de la déflation.
JOL Press : La croissance japonaise a été encore plus faible qu’attendu sur les trois derniers mois de l’année 2013. Comment l’expliquer ?
Philippe Waechter : La révision à la baisse de la croissance japonaise au dernier trimestre est préoccupante. Après une progression rapide durant les trois premiers mois de l’année, l’activité s’est ralentie trimestre après trimestre. La nouvelle estimation du dernier trimestre de 2013 indique une consommation privée moins vive (+0,4% contre +0,5%) et un investissement productif plus limité (+0,8% contre +1,3%). L’ennui, c’est que généralement la révision porte principalement sur le commerce extérieur. Il n’en a rien été cette fois-ci. Elle s’est faite exclusivement sur la demande interne.
JOL Press : La stratégie de Shinzo Abe pour relancer la croissance et sortir le Japon de la déflation marque-t-elle le pas ?
Philippe Waechter : Cette révision à la baisse des chiffres de la croissance interroge en effet la pertinence et la durabilité du plan mis en place. En infléchissant très nettement ses investissements, le secteur privé se montre prudent et donne ainsi le sentiment de se questionner sur la façon dont l’économie japonaise va fonctionner dans les mois à venir.
Comme je l’indiquais plus tôt, la demande intérieure marque un coup d’arrêt elle aussi. C’est problématique dans la mesure où Shinzo Abe entend s’appuyer sur elle pour relancer l’économie. D’ailleurs, au moment où le plan a été lancé, en janvier 2013, le consommateur japonais était enthousiaste. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : les indicateurs de confiance sont retombés au niveau précédant l’élection de Abe.
JOL Press : Les «Abenomics», nom donné à la politique économique du gouvernement Abe, comporte plusieurs volets. Quel bilan peut-on en faire, point par point ?
Philippe Waechter : L’objectif de Shinzo Abe est double : tendre durablement vers une croissance voisine de 2% en utilisant la sortie de la déflation comme instrument, mais aussi infléchir le profil des comptes publics afin de les faire converger vers une trajectoire soutenable. Abe veut sortir définitivement de la déflation et des déséquilibres qui caractérisent l’économie japonaise depuis le milieu des années 1990. Sa stratégie repose sur trois composantes, appelées «les trois flèches».
La première, associée à une politique monétaire très accommodante, doit permettre de sortir de la déflation. Pour l’instant, cette «flèche» est à l’œuvre, notamment via la dépréciation du yen : le taux d’inflation est de 1,4% en janvier 2014, la déflation s’éloigne effectivement. Mais les ménages sont désormais inquiets pour leur pouvoir d’achat, car cette hausse de l’inflation ne s’accompagne pas d’une hausse des salaires.
La deuxième «flèche» s’appuie sur une politique budgétaire volontariste, qui a bien fonctionné au début, notamment grâce à des investissements publics importants. A partir du mois d’avril prochain, cette stratégie budgétaire va être modifiée : l’objectif sera alors de faire converger les finances publiques vers une trajectoire soutenable à moyen terme. Cela passera notamment par la hausse de trois points de la TVA. De franchement expansionniste en 2013, la politique va devenir plus restrictive.
La troisième «flèche» est celle des réformes structurelles, qui doivent permettre de pérenniser cette dynamique dans la durée et de compenser le vieillissement de la population. Il s’agit par exemple de l’ouverture des frontières ou de la revalorisation du travail des femmes. Pour l’heure, ces réformes ont été évoquées, mais il n’y a eu ni changement observé, ni calendrier annoncé. Or, l’économie japonaise ne pourra pas se remettre à flot durablement sans véritables réformes structurelles.
JOL Press : A quoi peut-on s’attendre dans les semaines à venir ?
Philippe Waechter : La première problématique va être la hausse de la TVA à partir du 1er avril (de 5% à 8%). Cette augmentation est ennuyeuse dans la mesure où elle va peser sur le consommateur, déjà peu enclin à dépenser son argent. En 1997, une mesure similaire s’était traduite par une récession. Cet épisode est dans toutes les têtes et on s’inquiète de voir ce scénario se répéter.
JOL Press : Doit-on s’attendre à un changement de stratégie de la Banque du Japon (BoJ) ?
Philippe Waechter : La Banque centrale japonaise pratique déjà une politique monétaire souple et achète 50 trillions de yens d’obligations d’Etat par an. Spontanément, elle n’a plus d’importantes marges de manœuvre pour aller plus loin. Par ailleurs, la population japonaise est vieillissante. Et comme je le soulignais, sans réformes structurelles qui permettraient d’augmenter la population active (par le travail des femmes ou l’afflux d’étrangers), la possibilité de disposer d’une croissance élevée sur le long terme est limitée. Or, la politique monétaire n’a pas ou peu d’impact là-dessus.
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Philippe Waechter est directeur des études économiques chez Natixis Asset Management.