Les discussions autour de l’austérité en France sont confuses. Elles ne discernent pas systématiquement la question du rééquilibrage des finances publiques et celle de la croissance. Et même s’il existe des liens entre les deux les questions doivent être posées séparément. La confusion est accentuée par la polémique vaine sur l’enjeu des politiques de demande ou d’offre. Mario Draghi a, la semaine dernière à Jackson Hole, répondu clairement à cette question en indiquant que la temporalité des deux politiques n’étant pas identique, les deux étaient complémentaires au regard de la situation de la zone Euro (voir ici).
Dans les discussions sur l’austérité, la difficulté est que tous les acteurs de l’économie ne sont pas soumis aux mêmes contraintes. Il y a trois points à regarder: celui des dépenses de l’Etat et de leur contribution à la croissance; celui de la croissance et enfin celui de la demande privée.(*)
Le premier point est celui de l’austérité et le comportement de l’Etat. S’il y a austérité en France, elle ne passe pas par la réduction des dépenses gouvernementales.
Le graphique ci-dessous compare la contribution cumulée des dépenses gouvernementales à la croissances du PIB en France et en zone Euro. Les deux trajectoires sont parallèles jusqu’à la fin de la première décennie des années 2000. L’inflexion de 2009/2010 traduit le fort rebond de la croissance à ce moment-là (+2.4% en rythme annualisé entre le deuxième trimestre 2009 et le premier trimestre 2011 en taux annualisé en France et 2.2% pour la zone Euro). Par la suite et avec l’adoption de politiques d’austérité visant à contraindre les dépenses, le profil de la courbe de la zone Euro est restée infléchi. En revanche celui de la France est revenu sur sa trajectoire d’avant-crise. Il y a là une divergence majeure entre le comportement de la zone Euro et celui de la France.
L’austérité par la réduction des dépenses gouvernementales s’observe en moyenne en zone Euro mais pas en France.
La perception de l’austérité doit être cherchée ailleurs.
Le deuxième graphe donne des éléments de réponse. La perception de l’austérité vient de l’absence de croissance. La divergence par rapport aux deux épisodes précédents de récession est marquante. Lors du premier choc pétrolier en 1974 ou après la crise du Système Monétaire Européen en 1992, la croissance de l’économie était repartie très rapidement à la hausse. Dès lors les questions relatives à l’emploi et aux revenus se sont dissipées. Cela permettait aussi de résoudre rapidement les questions budgétaires parce que la croissance, via l’emploi et les revenus, a augmenté l’assiette fiscale et alimenté les recettes fiscales.
Ce n’est pas le cas depuis 2007. Le PIB par habitant est encore en 2014 au-dessous de son niveau de 2007. Jamais une telle situation n’avait été observée depuis la seconde guerre mondiale. L’économie n’a pas rebondi au-dessus de son niveau d’avant crise comme cela pouvait être observé lors des deux épisodes précédents. Cela se traduit par une réduction de l’emploi par rapport à 2007 et une nette inflexion dans l’évolution des revenus. Le pouvoir d’achat du revenu disponible par unité de consommation a reculé depuis 2011. Ces éléments sont contraignants au quotidien d’autant qu’il n’y a pas de la part des consommateurs la perception que cette situation va changer rapidement. Les indicateurs sur l’évolution à 6 mois du pouvoir d’achat dans l’enquête de l’INSEE auprès des ménages restent proches des plus bas historiques en juillet
Sur le plan budgétaire, l’assiette fiscale n’a pas augmenté. L’absence de progression du PIB par tête oblige, pour limiter la dérive des finances publiques à multiplier les sources d’imposition pour tenter d’en augmenter le rendement global.
Le PIB par tête n’augmente pas, les perspectives d’un changement rapide sont réduites mais la fiscalité est plus contraignante puisque l’assiette de l’impôt n’augmentant pas il faut une pression fiscale plus forte pour financer les dépenses qui augmentent.
La charge de l’austérité ne passe pas par une réduction des dépenses gouvernementales mais par une pression supplémentaire sur les acteurs privés via la fiscalité. On peut voir par ce biais une contrainte qui pénalise la dépense privée empêchant finalement la reprise de la croissance.
La particularité de la période présente et la perception de l’austérité est l’incapacité à imaginer que la situation contraignante et difficile que l’économie française traverse puisse être temporaire. Dès lors contrairement aux deux autres épisodes de récession, l’horizon ne se dégage jamais. La chape de plomb sur l’économie française est perçue comme permanente. Cette dynamique, qui était au départ de court terme, s’est épuisée.
La situation paradoxale est alors la suivante: la demande privée, qui est le moteur habituel de la croissance, ne fonctionne pas, c’est ce que montre le 3ème graphe puisque les dépenses des ménages et des entreprises sont inférieures à leur niveau d’avant crise (premier semestre 2008) et la tendance est même plutôt à la baisse. Dans le même temps, les dépenses du gouvernement continuent de progresser et de contribuer à la croissance du PIB.
La question qui peut alimenter pendant longtemps les débats est de savoir si c’est la hausse de la fiscalité qui a inhibé les dépenses privées ou si c’était un moyen de ponctionner de l’épargne que personne ne voulait dépenser. Cela a alors alimenté la possibilité d’augmenter les dépenses du gouvernement. Cette question reste ouverte pour l’instant.
Le rôle de la politique économique et l’enjeu pour le gouvernement doit être de redonner une dynamique plus robuste à la demande privée, tout en maintenant les dépenses publiques afin d’éviter un effondrement de la croissance. Selon le pacte de responsabilité la reprise de la demande privée passe par l’investissement. Sur ce point l’investissement public doit avoir un rôle majeur. Une fois cette dynamique devenue plus robuste il y aura créations d’emplois et distribution de revenus. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il faudra se préoccuper réellement d’infléchir le profil du déficit public.
La perception de l’austérité vient donc de l’incapacité à retrouver une dynamique de croissance plus robuste. Il faut continuer de soutenir la demande mais en essayant de la rééquilibrer vers la demande privée, c’est l’idée du pacte de responsabilité.
Mais il faut aussi une dynamique d’offre car les deux chocs successifs subis par l’économie française en 2008 et 2011 ont laissé tout le monde un peu KO. Le modèle antérieur a été bousculé par ces deux chocs de grande ampleur et l’économie française est sortie de ces marques habituelles. La preuve elle n’arrive plus à retrouver spontanément une trajectoire de croissance. Il faut donc reconstruire un modèle capable de restaurer une dynamique d’expansion plus forte. Cela passe par des changements de règles; celles qui existaient ont été en partie balayées par les deux chocs. La croissance nulle que connait la France depuis 2012 témoigne de ces dysfonctionnements; l’enjeu de la politique économique passe par la définition de nouvelles règles, ce sera l’objet des prochaines années.
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(*) Je veux remercier Jean Quatremer journaliste à Libération et fin connaisseur de la chose européenne pour la discussion enrichissante sur ces points.