Interview donné sur le développement de l’Afrique
Comment prendre la dimension de l’Afrique ?
L’Afrique est un immense continent. C’est le premier constat à faire, l’Afrique est donc multiple.
Si l’on veut fixer les idées et se rendre compte de sa dimension, on peut inscrire sur la surface du continent africain, la Chine, les Etats-Unis, l’Inde, le Mexique, le Japon et l’Europe orientale et occidentale. Cela veut dire qu’il y a des histoires très différentes à raconter sur ce continent. Et dire l’Afrique est un peu réducteur.
D’une manière plus directe, c’est 54 pays, 1.1 milliards de personnes en 2013 et 25% de la population mondiale dans 15 ans. C’est 3 langues pour faire des affaires mais 2 000 langues locales ou dialectes.
C’est une économie malgré tout de taille modeste. Selon le FMI l’Afrique Subsaharienne représente 3.1% du PIB mondial exprimé en Parité de Pouvoir d’Achat. L’Afrique plus le Moyen-Orient représente 6.7%. A titre de comparaison, le poids de la France est de 2.4%. Mais c’est une économie qui s’est développée très rapidement depuis le début des années 2000. Les taux de croissance sont souvent dans l’intervalle de 5 à 9% par an. De ce fait, le revenu par tête a augmenté très rapidement rompant ainsi les deux décennies précédentes de baisse de niveau de vie.
C’est un continent qui possède 1/3 des réserves minières et 60% des terres arables. Paradoxe, c’est aussi un continent où le nombre d’abonnés au téléphone mobile est supérieur 60 pour 100 personnes en Afrique subsaharienne. Sur ce point, on ne peut être qu’étonné par l’innovation observée à partir de ces téléphones mobiles, notamment sur les paiements. Ils sont pour certains pays plus avancés qu’en Europe.
L’Afrique tire l’avantage de ne pas disposer d’infrastructures anciennes. Elle doit créer et innover pour être efficace et aller là où elle le souhaite. C’est une dimension que l’on a surement un peu oublié en Europe.
Comment s’est opéré ce développement?
Chaque pays a son histoire mais en Afrique subsaharienne il y a malgré tout une dynamique commune assez forte qui explique le décollage de ces économies. Après chacun des pays évolue aussi en fonction de ces propres caractéristiques. Il y a trois éléments à retenir.
Le premier est un facteur classique d’une économie qui décolle. C’est un transfert du secteur agricole vers le secteur manufacturier ou vers les services. Dans les pays asiatiques le transfert avait eu lieu vers l’industrie. Cela avait été une source majeure de gains de productivité et de ce fait de décollage du niveau de vie. En Afrique, ce transfert s’est opéré vers les services et beaucoup moins vers le secteur manufacturier. Là aussi les gains de productivité sont importants et expliquent une partie du décollage. Il y a ici un point à souligner. Dès que l’on se penche sur l’Afrique on ne peut qu’être étonné par l’innovation que l’on peut rencontrer et que j’illustrais plus haut par le taux d’abonnement à un téléphone mobile. Le transfert vers les services plutôt que vers le manufacturier est a priori pénalisant car les gains de productivité sont moindres dans les services. D’où la nécessité d’innover à un rythme élevé pour compenser.
Le deuxième facteur est la hausse très marquée du prix des matières premières durant la première décennie des années 2000. De nombreux pays ont des réserves, les ont exploitées et en ont tiré un revenu important. Cela a permis la mise en œuvre d’un grand nombre de projets d’amélioration de la situation des africains.
Le troisième élément est la relation forte avec la Chine qui a tiré l’activité vers le haut, notamment l’activité minière. C’est devenu très rapidement un partenaire majeur de l’Afrique subsaharienne. Là aussi l’intensité des échanges a permis une hausse rapide de la croissance. Néanmoins, bémol sur cet aspect: les chinois vendent beaucoup de produits manufacturiers en contrepartie des matières premières. Cela limite le développement de ce secteur en Afrique rendant les africains dépendant des fournisseurs extérieurs.
Quelles sont les étapes à franchir désormais?
La route est encore longue. Le niveau de vie moyen est encore très faible. Il faut donc créer les conditions pour un développement durable. Cela passe par la création d’infrastructures. L’objectif doit être de faciliter les échanges au sein de chacun des pays et entre pays africains. Cela s’observe déjà un peu plus qu’il y a quelques années, et concourt à la hausse de l’activité. C’est aussi un accès à l’électricité, à l’eau et à de nombreux besoins qui font encore défaut. Cela passe par des financements publics privés de grande envergure. Il leur faudra être suffisamment attractif pour continuer d’attirer des capitaux étrangers. L’amélioration des conditions d’installation et de démarrage d’une activité traduisent bien cette volonté d’attirer. Plusieurs indicateurs le soulignent. Il faut également mettre en place ou développer le financement bancaire et la gestion de l’épargne. La croissance du secteur financier doit permettre une plus grande stabilité et accroître la possibilité de se projeter dans le futur. A une échelle réduite les expériences de micro-crédit ont été très porteuses de promesses en créant des perspectives nouvelles.
L’Afrique décolle et le fait avec une population jeune dont le niveau d’éducation progresse rapidement. Cela crée les conditions à terme d’un développement plus autonome. L’Europe et la France devraient regarder d’un œil plus attentif ce qui se passe sur le continent africain. Une partie de l’avenir est probablement en train de s’y construire.