Interview paru sur Atlantico.fr et disponible ici
1/Les bourses mondiales connaissent une grande fébrilité en ce début de semaine. Les opérateurs de marché semblent d’ores et déjà se tourner vers la réunion de la Fed qui aura lieu le 21 septembre prochain. En quoi cette prochaine réunion de la Fed peut elle inquiéter les bourses mondiales ? Quels sont les enjeux de cette prochaine réunion ?
La logique récente des marchés a été de projeter et d’anticiper des politiques monétaires systématiquement plus accommodantes. Lorsque ces attentes ne sont plus relayées par les banquiers centraux, les anticipations des investisseurs sont prises à rebrousse poil créant immédiatement les conditions d’un ajustement sur les marchés financiers. C’est pour cela que les propos de Mario Draghi la semaine dernière n’ont pas emballé les investisseurs. Il a considéré que les mesures déjà prises par la BCE étaient suffisantes et qu’il n’était pas nécessaire ni pertinent d’envisager davantage d’action (il indique ainsi que le prolongement de l’opération de quantitative easing au-delà de mars 2016 n’a pas été discuté). Il y a aussi le discours ambiguë d’Haruhiko Kuroda, le gouverneur de la Banque du Japon, dont les propos ont pu être compris comme ne pouvant plus justifier des taux d’intérêt négatif en raison de l’impact sur le compte d’exploitation des banques. Enfin il y a eu Eric Rosengren, le patron de la Fed de Boston, qui considère que la remontée des taux est inévitable alors qu’il a longtemps été du côté de ceux incitant au statu quo. Ces indications viennent après d’autres déclarations de membres des banques fédérales américaines mais aussi de Stanley Fisher le vice président de la Fed à Washington.
D’un seul coup les banquiers centraux ne semblent plus vouloir aller au delà de ce qu’ils ont déjà fait ne souhaitant pas relâcher davantage la politique monétaire.
Cependant, lundi, Lael Brainard, membre de la Fed à Washington était nettement moins enthousiaste et rappelait encore que la politique monétaire est asymétrique et qu’il est souhaitable d’agir trop tard que trop tôt et qu’en conséquence il n’y avait pas urgence à changer de stratégie. La conjoncture américaine pourrait selon elle être pénalisée par une remontée trop rapide des taux.
En d’autres termes, chacun s’interroge sur l’impact de la politique monétaire et sa capacité à changer la trajectoire de l’économie. Les supporters d’un durcissement indiquent que si l’impact est réduit alors pourquoi prendre le risque d’aller vers davantage d’accommodation au risque de se retrouver face à une situation inextricable notamment au regard des bilans des banques centrales. Lael Brainard répond que l’action de la banque centrale étant asymétrique, agir trop rapidement c’est prendre le risque de peser immédiatement sur l’activité. Agir plus tard c’est prendre le risque d’un peu plus d’inflation. En conséquence, l’économie n’est pas suffisamment robuste et une hausse de taux serait pénalisante pour l’activité.
Cet écho d’une orientation moins ouvertement accommodante des banquiers centraux a modifié les anticipations des investisseurs qui se retrouvent en difficulté dans leurs arbitrages puisque la croissance globale reste médiocre. Le marché obligataire s’ajuste avec des taux d’intérêt un peu plus haut, reflet dès changement d’anticipations et le marché action n’a plus ce support de repli des taux pour accroître sa valorisation alors que la croissance est limitée.
Ainsi, le futur n’a plus la même allure si les banques centrales ne relâchent plus la contrainte monétaire.
2/ En se basant sur la conjoncture américaine, il apparaît que le plein emploi est de retour, que l’inflation repart à la hausse et atteint presque les 2%. Ces raisons sont elles suffisantes pour justifier une action de la Fed ? Quelles en seraient les conséquences sur les autre pays, notamment sur l’Europe et la France ?
L’économie américaine n’est pas au plein emploi, sinon le nombre de personnes à la recherche d’un emploi à temps plein et n’en trouvant pas ne serait pas aussi important. Quant à l’inflation elle ne converge pas vers 2%. L’inflation mesurée par l’indice suivi par la Fed est de 0.8% en juillet et le taux d’inflation sous-jacente est à 1.6%. Les indicateurs ne sont donc pas tendus. En outre, les indications récentes sur la croissance (PIB) ou encore les enquêtes menées en août auprès des chefs d’entreprise (enquêtes ISM) ne plaident pas pour une accélération du processus.
Je rejoins les propos de Lael Brainard et l’analyse de l’asymétrie de la politique monétaire qui implique qu’il n’y a pas d’urgence à changer de stratégie.
Si la Fed remontait son taux de référence, l’important serait la façon dont les anticipations seraient affectées. Lorsqu’en décembre 2015 la Fed remonte son taux de référence, elle suggère qu’il y aura 4 remontées de taux en 2016. C’est beaucoup et c’est une des raisons de l’excès de pessimisme du début de l’année 2016. Lorsque Janet Yellen, la présidente de la Fed, change de ton en début d’année alors les anticipations s’inversent à nouveau et l’allure des marchés s’améliore. Cela est particulièrement vrai dans les pays émergents.
En d’autres termes, si la Fed augmente son taux de référence et que le sentiment général est que cela n’ira pas beaucoup plus loin alors l’impact sera limité. Si en revanche les investisseurs ont la perception d’un mouvement durable cela suggère que la Fed ne joue plus le jeu coopératif qui était associé au comportement des banques centrales. Cela pourrait créer de vrais interrogations quant à la capacité de l’europe à faire jeu à part. Mais c’est pour les pays émergents que la situation serait certainement la plus difficile puisqu’il y aurait des rapatriements de capitaux vers les USA. L’allure très porteuse des marchés émergents serait fortement pénalisée.
L’important sera donc le signal donné par la Fédération sur sa politique monétaire future.
3/ L’Europe a t elle pris ce risque en considération ? Quelle seraient les actions à mettre en oeuvre afin de préserver la timide reprise européenne ?
N’oublions pas d’abord que les taux d’intérêt sont à des niveaux historiquement bas. Jamais les taux de long terme sur des obligations d’Etat n’ont été aussi bas dans l’ensemble des pays industrialisés. Cela reflète les difficultés de l’économie à nourrir de fortes anticipations de croissance et d’inflation. Car c’est avant tout pour cela que les taux sont bas. Les banques centrales ne font qu’ajuster les politiques monétaires à cette situation. Elles peuvent forcer un peu les choses via les achats d’actifs (quantitative easing) pesant ainsi sur l’ensemble de la courbe des taux de rendement. Si la situation de l’économie était compatible avec une croissance plus forte et des anticipations d’inflation plus robuste alors les taux de long être ne seraient pas aussi bas et l’on ne se poserait pas la question de la hausse des taux de la Fed.
Au regard de la situation de l’économie américaine, il n’y aura pas de remontée forte et systématique des taux de la Fed, car l’économie ne le permet pas. D’ailleurs la Fed, elle même, indique que la remontée de taux, si elle est mise en oeuvre, ne sera pas de l’oampleur de ce qui était observé par le passé. En juin, les membres du comité de politique monétaire considère que dans le long terme, le taux des fed funds sera de seulement 3%. Elle considère ainsi que l’économie ne sera pas suffisamment robuste pour tolérer des taux plus élevé. En aucun cas on ne reviendra au cycle que l’on connaissait avant 2007.
Je crois que si la zone euro veut préserver sa dynamique de reprise elle doit mettre en oeuvre une politique budgétaire plus volontariste afin de soutenir son marché intérieur. La politique de la BCE ne pourra pas aller beaucoup plus loin. Les taux ne baisseront plus en Europe, la BCE a fait son travail et même au-delà. Il est nécessaire désormais de considérer que la politique budgétaire, via l’investissement public, a un rôle majeur dans la dynamique conjoncturelle. Il serait erroné de penser que la politique de la BCE vienne en concurrence de celle de la Fed si celle ci durcit le ton. La réponse est ailleurs dans la responsabilité de tous les gouvernements à prendre la conjoncture européenne en charge.