La semaine écoulée a été écrasée par la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine. Même si en nombre de voix Hillary Clinton a gagné, Donald Trump a largement triomphé. Clinton a gagné 147 de ses 232 grands électeurs sur 9 Etats seulement. Dans ses Etats elle l’emporte avec plus de 15% d’avance. Trump l’emporte avec plus de 15 points d’écart dans 19 Etats même si cela ne lui a rapporté que 117 grands électeurs sur 306.
La stratégie moins concentrée des républicains a gagné lors de ces élections. Il y a sur ce point une erreur stratégique des démocrates qui ne se sont focalisés sur les Etats rapportant un grand nombre de grands électeurs. C’est insuffisant.
Les raisons de la victoire du candidat républicain ne peuvent pas être directement trouvée dans les explications économiques habituelles. Ainsi dans les Etats clés de l’élection (les swing states) le taux de chômage est partout inférieur au taux de chômage national. Il faut donc chercher sur d’autres critères pour comprendre la victoire républicaine.
Les raisons peuvent néanmoins être en partie économique comme cela a déjà été souvent évoqué au regard des inégalités. Inégalités au sein de l’économie américaine comme cela a été montré par de nombreux économistes (Piketty, Krugman ou d’autres (voir ici par exemple)) mais aussi inégalités en rapport avec la globalisation. C’est le fameux graphe de l’éléphant de Milanovic que j’ai déjà évoqué à plusieurs reprises (voir ici).
Cet argument a du sens puisque les revenus de la classe moyenne ont peu progressé (voir Piketty et consorts) ou ont été concurrencé par les emplois des pays émergents (Chine, voir Milanovic). Cependant, de façon très conjoncturel, cet argument n’est plus aussi pertinent en raison de la hausse du revenu médian constatée ces deux dernières années. C’est ce que montre le tableau ci-dessous (voir l’article de Noah Smith ici).
Un
deuxième argument a été avancé, portant sur les raisons des intentions de votes telles qu’exprimées dans les sondages. Elles traduisent un biais fort sur l’immigration. Il semblerait que ce support pour le vote ait eu une importance marquée. On l’observe à travers la corrélation qui peut exister entre les intentions de votes et la part des “latinos” dans la population. C’est un facteur qui peut être important comme le suggèrent divers sondages qui placent cette question au premier rang des préoccupations(voir ici par exemple).
Un autre argument mis en avant par Inglehart et Norris (ici) suggère que les votes récents sont plutôt liés à des critères culturels et que les votesfondés sur des questions économiques ont moins de pertinences que par le passé.
L’idée est que les politiques menées sont généralement assez proches et ne discriminent pas assez pour permettre un choix tranché entre l’un ou l’autre camp. C’est notamment le cas pour les politiques économiques.
Dès lors les choix se font sur d’autres critères, notamment des critères culturels ou sociétaux. Sur ce point on peut retrouver la peur du déclassement résultant du rôle majeur des innovations technologiques, les choix globaux comme la prise en compte du réchauffement climatique ou encore les choix de société comme l’égalité homme-femme, le mariage gay, l’égalité raciale, les armes, la religion ou la sécurité sociale. Ces facteurs et d’autres encore portent le vote populiste. Ces changements donnent le sentiment d’éroder les valeurs et coutumes des sociétés occidentales. Et c’est en cela qu’elles peuvent être un facteur majeur dans la dynamique du vote.
Au delà de ces explications analytiques, l’intérêt est de connaitre les raisons qui à un moment donné créent une rupture. Il me semble que c’est la personnalité de Donald Trump qui d’un seul coup a pu être le support de toutes les contradictions que portent ces éléments culturels. Il est charismatique et n’appartient pas à cette partie de la population qui favorise les changements culturels susceptibles de provoquer des tensions.
Le candidat républicain a cristallisé les préoccupations vis à vis des inégalités (en pointant du doigt la Chine notamment), vis à vis de l’immigration en parlant du mur à construire sur la frontière avec le Mexique et vis à vis des questions culturelles. Il a donné les réponses attendues par une grande partie de la population validant par la même occasion les propos excessifs sur certains sujets.
Cela implique comme cela avait déjà été discuté après le référendum sur le Brexit que les questions économiques ne sont pas clivantes mais que ce sont les questions politiques qui portent le vote. Cette dimension porte les repères de la société plus que les discussions sur un taux de croissance. C’est peut être cela la leçon pour les prochaines élections européennes.
La conséquence immédiate de l’élection de Donald Trump est la hausse rapide des taux d’intérêt. C’est ce que l’on peut observer sur l’ensemble des marchés obligataires à l’exception peut être du marché japonais qui bénéficie de la prime de stabilité résultant de la stratégie de la Banque du Japon qui cible le taux du 10 ans.
Le mouvement est inverse de celui qui avait été observé après le référendum sur le Brexit. A l’époque les taux avaient franchement chuté en raison de l’incertitude sur le scénario perçu comme favorisant une récession.
L’analyse qui peut être faite sur le marché américain suggère que c’est uniquement la partie reflétant les anticipations d’inflation qui s’est ajustée. C’est ce que l’on constate lorsque l’on regarde le taux d’inflation à 5 ans dans 5 ans. C’est ce mouvement qui est important et traduit le changement de cadre associé à l’élection de Donald Trump. La dynamique de demande résultant des baisses d’impôts, qui pour l’instant sont anticipées, va se heurter à l’impossibilité pour l’économie américaine à la satisfaire (la production manufacturière est au même niveau qu’en 2008 avant la crise). Dès lors cela se traduira par des pressions nominales et une accélération des prix.
Cela pose plusieurs questions
La première est celle de la réaction de la Fed. Elle ne peut pas laisser se développer les anticipations d’inflation. C’est pour cela qu’elle augmentera toujours son taux de référence en décembre. L’idée est que la réaction de la banque centrale doit se traduire par un changement d’anticipation des investisseurs sur le mode: la Fed est là alors il n’y aura pas d’inflation excessive. Dans un cadre normal, c’est à dire avec des taux pas si bas, la courbe des taux s’aplatit par la remontée de la partie courte. Cette allure se maintient tant que les risques inflationnistes s’observent. Puis elle s’inverse marquant ainsi le changement des anticipations. Cela reflète aussi généralement le changement de tendance de l’économie affectée négativement par la remontée des taux de la banque centrale. On ne peut exclure un scénario de ce type. Cela limiterait la hausse des taux longs mais se traduirait en 2017 par une remontée plus marquée qu’anticipée des taux courts de la Fed. Cela peut paraître probable si le niveau des taux longs se maintient. Le risque de récession s’accroît.
Le second point est que la hausse des taux est aussi observée en Europe. Le 10 ans allemand n’est plus du tout négatif et les taux italien et français se sont envolés. Le risque associé au référendum du 4 décembre affecte le premier, le risque politique au printemps prochain affecte le deuxième après le succès de Trump.
Dès lors quelle stratégie devra mettre en oeuvre la BCE pour amortir le choc sur les taux longs. Elle ne peut pas accepter cette remontée des taux en raison de la fragilité toujours marquée de l’activité en zone Euro. Cela ne serait pas cohérent avec la politique menée depuis de nombreux mois. La remontée des taux actuels justifierait en revanche l’allongement du QE au delà de mars prochain renvoyant à plus tard la possibilité d’une réduction du montant des achats.
Cette action de la BCE sera essentiel afin de limiter l’impact fort de la remontée des taux d’intérêt dans le bilan des institutions financières. Elle a favorisé le niveau très bas des taux, elle doit maintenant aider à faciliter les ajustements.
D’autres posts sont disponibles sur la l’élection américaine. Voir ici, ici et ici