Cet article a été publié initialement, le 16 février, sur le site de Forbes, sous le titre: “Les risques d’une sortie de la zone Euro”, il est disponible ici.
Il est reproduit ci-dessous in-extenso
Les échéances électorales se rapprochent en France et les enjeux se font plus précis. Une question souvent évoquée est celle de la sortie de la France de la zone Euro. Les commentateurs s’intéressent beaucoup à ce qui se passera après, c’est-à-dire une fois que la sortie sera actée. Ils ont raison car il y a effectivement toute une série de questions qui sont pertinentes.
D’abord sur la façon dont la France sortira effectivement de l’Union Monétaire Européenne et sur la procédure juridique à suivre. On voit que pour une sortie beaucoup plus simple, car il n’y a pas la monnaie, qui est celle de la Grande Bretagne, on se perd en conjecture.
Il y aura ensuite la discussion sur le régime monétaire qui prévaudra. La nouvelle monnaie flottera-t-elle ou sera-t-elle arrimée à l’euro ? La zone Euro pourra-t-elle continuer de fonctionner de façon efficace si la France en sort ? Que se passerait-il alors au sein de l’Europe si la zone Euro ne pouvait plus fonctionner ? L’Union Européenne serait-elle encore viable ?
Il y a aussi, indépendamment de cette question sur la zone Euro, la question sur le statut de la dette publique. Les agences de notation ont indiqué que si la dette publique, actuellement en euros, était redénominée dans une autre monnaie, alors il y a rupture du contrat et défaut sur la dette publique. La question est de taille car si la nouvelle monnaie se déprécie alors il faudra rembourser en euros avec une monnaie dépréciée.
On se souvient, lors de la crise asiatique de la fin des années 90, des effets dévastateurs du remboursement de la dette en dollar par les pays asiatiques alors que les monnaies se dépréciaient vis-à-vis du billet vert. La problématique serait potentiellement du même ordre.
Il y a encore la question relative au fonctionnement de la Banque de France et à ses relations avec la BCE. Il y a aussi ce point évoqué du financement monétaire du déficit public par la Banque de France. C’est cette facilité qui avait été, notamment, à l’origine de l’hyperinflation allemande.
Toutes ces questions sont majeures et il faut y répondre avec précision. Pour l’instant, on ne dispose d’aucun cadre précis permettant de réduire l’incertitude sur le système monétaire qui pourrait éventuellement être mis en place en cas de sortie de la zone Euro.
C’est sur ce point d’incertitude que la situation est vraiment problématique. En effet, la monnaie est un instrument qui permet de faire le lien entre le présent et le futur. C’est une de ses caractéristiques majeures. Si le futur est perçu comme très incertain alors les acteurs de l’économie agiront en conséquence.
Il est de ce point de vue intéressant de regarder ce qu’il s’est passé lors des deux dernières crises monétaires de grande ampleur. La première est celle de l’Argentine, qui a fait défaut en 2001, la seconde est celle de la Grèce jusqu’à l’accord de juillet 2015.
Dans le premier cas, le cadre dans lequel s’inscrivait le peso argentin n’était plus opérationnel. La parité avec le dollar n’était plus tenable et un nouveau cadre monétaire devait être mis en place. Pour la Grèce la question était celle de la sortie de la zone Euro.
Dans les deux cas, les comportements en phase d’incertitude ont été les mêmes.
Le premier réflexe a été la sortie massive de capitaux. Les argentins ont ouvert des compte bancaires à Miami et y ont transféré leurs avoirs. Les grecs ont eux ouvert des compte en euros dans d’autres pays de la zone afin, là aussi, d’y transférer leurs avoirs.
La rationalité derrière ce comportement est simple : Le détenteur de l’avoir ne sait pas ce qu’il se passera dans le nouveau cadre monétaire. Il craint cependant que la monnaie ne soit dévaluée et que son épargne perde une grande partie de sa valeur. Il cherche alors à préserver cette épargne dans une monnaie solide.
Un tel comportement fragilise la dynamique interne de l’économie car chacun va arbitrer en faveur de son épargne et limiter sa consommation ou son investissement. L’inflexion conjoncturelle peut alors être significative. C’est ce que l’on a observé en Argentine et en Grèce. A l’incertitude monétaire s’ajoute ainsi une incertitude économique.
Cette sorte de panique bancaire ne fait pas l’affaire du système bancaire. Les banques voient leur situation se déséquilibrer avec l’obligation de liquider toute une série d’investissements pour maintenir les établissements à flot. Ces banques auront aussi besoin de liquidité à court terme à trouver sur les marchés. Mais les autres banques, celles du reste de la zone Euro, souhaiteront-elles prêter de l’argent, même à court terme, aux banques françaises ?
On se souvient qu’en 2008/2009 et après, une situation de ce type avait prévalu. Les banques en zone Euro ne se faisaient plus confiance et ne se prêtaient plus. Seule l’intervention massive de la BCE avait permis de réduire les tensions. La BCE avait dû se substituer au marché monétaire. Au Royaume-Uni, la Banque d’Angleterre avait rompu sa doctrine et avait racheté la banque Northern Rock car celle-ci ne pouvait plus se refinancer auprès des autres banques.
Les banques françaises sont encore sous la tutelle de la BCE. Rappelons qu’au moment où ces opérations se passent, rien n’a encore changé sur le plan institutionnel, la Banque de France fait encore partie du Système Européen des Banques Centrales. La BCE mettrait alors les banques françaises sous perfusion de façon contraignante, on se souvient de la Grèce, afin d’éviter une contagion vers le reste de la zone.
La fuite des capitaux fragilisera ainsi la situation économique mais aussi l’ensemble du système bancaire hexagonal.
Le deuxième point de fragilité, et qui a aussi été observé avant tout changement institutionnel dans mes deux exemples, est la sortie des investisseurs de la dette publique locale.
En 2001, en raison de l’ajustement monétaire qui paraissait inéluctable, les investisseurs non argentins sont sortis de la dette argentine. Dans le cas grec, la situation était un peu plus complexe car la Grèce fait partie de la zone Euro. Les investisseurs privés sont sortis et les investisseurs publics sont devenus les porteurs de la dette grecque. Dans les deux cas, les taux d’intérêt ont grimpé de façon spectaculaire.
En France, la dette publique est détenue à 60% par des non résidents. Peut-on attendre de leur part une attitude bienveillante ? Sûrement pas car ces placements dans la dette française représente l’épargne de leurs mandants. Ils auront tout intérêt, face à l‘incertitude, à aller investir dans d’autres supports en dehors de la France.
Cela impliquerait une vraie difficulté pour le gouvernement à se financer. Ce serait aussi un vrai casse-tête pour les entreprises en raison de taux d’intérêt plus élevés et aussi parce que ces entreprises ont émis en direction d’émetteurs étrangers. Conserveront-elles la confiance de ces derniers ?
Un défaut, tel qu’évoqué par les agences de notation, aurait un effet durable. Rappelons que l’Argentine n’a pas émis sur les marchés internationaux pendant 15 ans. Pour un pays comme la France dépendant fortement des financements des investisseurs non résidents, une telle situation serait critique. Il y aurait un ajustement interne fort, comme ce qui avait été constaté en Argentine et en Grèce.
Le casse-tête est que ces évènements pourraient se dérouler, non pas en fonction des résultats observés dans les urnes, mais en fonction des anticipations de tous les acteurs de l’économie sur ce résultat. Les sondages vont donc avoir un rôle encore plus important, car ils pourraient conditionner la robustesse ou accroitre la fragilité du système bancaire. Au-delà des banques, le risque est de pénaliser durablement la dynamique de l’économie française.
Il serait tellement plus efficace de ne pas prendre ce risque et de ne pas alimenter cette incertitude.