François Hollande a finalement gagné son pari. Le taux de chômage à la fin de son mandat a reculé. Il est plus bas que lorsqu’il est entré à l’Elysée. Le pari était audacieux mais il a été tenu puisque de 9.7% au deuxième trimestre 2012 il est monté à 10.5% au printemps 2015 avant de s’inscrire à 9.6% au cours des trois premiers mois de 2017.
Il y a bien eu retournement de la courbe du chômage.
Le taux de chômage peut cependant aller beaucoup plus bas puisqu’il était à 7.2% au premier trimestre de 2008. On ne peut donc se satisfaire d’un taux de chômage aussi élevé. C’est pour cela que de nouvelles mesures doivent être prises pour rendre le marché du travail plus réactif.
L’objectif doit être double : améliorer la capacité de l’économie française à créer des emplois lorsque la conjoncture est plus porteuse , mais aussi rendre plus cohérente la dynamique entre les emplois disponibles et la capacité des salariés et des chômeurs à y répondre. Il faut que l’emploi puisse se développer rapidement dans les secteurs porteurs et que l’économie française puisse s’adapter plus vite au cycle économique global via l’emploi et la capacité à mobiliser des ressources pour faire croître les secteurs porteurs. Cela veut dire cependant qu’il faut réussir à réduire rapidement l’emploi des secteurs en déclin (l’insuffisance de cet arbitrage est une source d’inertie considérable et d’incapacité à capter les améliorations conjoncturelles. Les secteurs qui repartent après une récession sont rarement ceux qui portaient le cycle auparavant. Il faut pouvoir opérer rapidement des transferts de ressources pour prendre le bon wagon de l’expansion). Ces éléments ont un caractère pro-cyclique susceptible d’amplifier et de prolonger la dynamique de croissance.
On peut visualiser ces éléments de réactivité à travers deux mesures.
Le premier met en regard la croissance économique et la croissance de l’emploi. Le graphe est en données annuelles et les données vont de 1996 à 2016.
La courbe bleue montre la relation linéaire entre les deux indicateurs. Sa pente positive suggère qu’à la croissance plus élevée peut être associée une progression plus rapide de l’emploi. Celui-ci progressera d’autant plus vite que la croissance sera forte.
On voit cependant que le marché du travail est assez réactif et qu’avec un taux de croissance de 1.2% en 2016, l’emploi augmente aussi de 1.2%. L’idée peut être d’essayer de modifier la pente de la courbe bleue pour permettre une accélération de l’emploi, notamment dans les périodes de reprise. Cela peut aussi passer par une translation vers le haut de la courbe bleue pour enrichir encore davantage la croissance en emplois.
La deuxième mesure est issue de la décomposition du PIB par tête. Son évolution traduit celle de la productivité horaire du travail et des heures de travail par français (actifs et non-actifs). C’est ce dernier point qui nous intéresse ici.
Avant cela, notons que le PIB par tête en France ne retrouve son niveau d’avant crise (2007) qu’en 2016 alors qu’en Allemagne c’est 2010 et aux USA c’est 2014. La comparaison avec ces deux pays est pertinente car les profils de productivité depuis 2007 sont comparables entre ces deux pays et la France. Ce n’est donc pas sur ce critère que s’opère la différence de profil. C’est sur les heures travaillées par français qu’il y a une divergence marquée. On le voit sur le graphe.
Partout dans les pays occidentaux, le nombre d’heures travaillées relativement à la population s’est redressé. La France fait exception. Au Royaume Uni c’est d’ailleurs la source principale de la croissance car la productivité est encore plus réduite qu’ailleurs. Cela n’est pas un phénomène lié aux 35 heures car l’indicateur présenté traduit la capacité du marché du travail à réagir à une amélioration conjoncturelle. Les 35 heures sont une mesure institutionnelle, et donc modifier le temps de travail comme cela était indiqué dans le programme de François Fillon ne changerait rien, en ce sens qu’il ne serait pas une source de réactivité.
L’enjeu est donc dans la capacité du marché du travail à réagir aux évolutions de la conjoncture. La rupture passe par cela. Cela passe par une capacité des entreprises à ajuster rapidement à la hausse et/ou à la baisse l’emploi en fonction du cycle. Le passage à des règles à l’échelle de l’entreprise a du sens car les entreprises ont aujourd’hui des formes très diverses. L’heure de l’individualisation que l’on constate pour les salariés est aussi vraie pour les entreprises. Il faut réduire l’incertitude pour les entreprises dans un monde qui est devenu plus complexe.
Mais cela doit avoir aussi une contrepartie pour les salariés. Le marché du travail ne peut pas fonctionner que d’un côté. Dans les pays anglo-saxons, l’ajustement passe par la capacité à générer des emplois parfois très mal payés. Le contrat zéro heure britannique n’est pas la solution, me semble-t-il. Cette flexibilité permet de créer des emplois mais elle n’est pas dans le modèle français. La capacité des entreprises à licencier rapidement crée de l’incertitude chez les salariés. En effet, être au chômage est généralement une situation qui s’inscrit dans la durée, notamment pour les gens peu qualifiés. C’est d’ailleurs sur ce point que la loi El Khomri était asymétrique puisqu’elle ne réduisait pas l’incertitude du côté du salarié.
La meilleure façon de réduire l’incertitude est que le salarié soit conscient de sa valeur. Mais celle-ci dépendra de la formation qu’il aura reçue et de la qualification qu’il aura acquise. Il y a donc une exigence qui est que le salarié, qu’il soit en emploi ou au chômage, soit capable de rester employable et d’améliorer son employabilité. Il faut que les entreprises puissent embaucher des gens qualifiés pour s’adapter au processus de production et au secteur d’activité. Soit on décompose l’emploi pour proposer des petits bouts d’emplois mal payés mais nombreux comme c’est le cas au Royaume Uni et parfois en Allemagne soit on essaie de proposer des emplois plus complets et plus qualifiés parce que les salariés ont la qualification pour y répondre. C’est ce processus exigeant que doit suivre la France. C’est le seul compatible avec le modèle social français.
La difficulté vient de ce que les ajustements ne vont pas à la même vitesse. Il est très facile d’indiquer aux entreprises qu’elles peuvent ajuster l’emploi ou qu’elles peuvent changer les règles de fonctionnement. Il est beaucoup plus long d’acquérir des qualifications.
Le dilemme du gouvernement sera de réduire cette asymétrie. Certains ont préféré par le passé mettre en œuvre des petits boulots pour ne pas être contraint par elle. Il y a aujourd’hui une opportunité politique pour changer la dynamique du marché du travail, il serait bien d’en profiter.
Ce texte est la version in extenso de ma chronique publié par Forbes et disponible ici