La dette publique c’est le mal. C’est le genre d’affirmation que l’on voit souvent dans les gazettes. C’est cependant une affirmation erronée. Si l’on doit s’inquiéter d’une dette excessive, cela doit être celle du secteur privé. C’est cette dette privée, notamment celle des ménages, qui était à l’origine de la crise de 2007, ce n’est pas la dette publique dont le niveau était réduit avant la crise. Dix ans après, la dette privée reste à un niveau élevé notamment en Europe. Cela limite les capacités d’ajustement des acteurs du secteur privé.
Mais avant d’évoquer la dette privée, il faut revenir sur la question de la dette publique. On peut ici faire plusieurs remarques :
1 – Le rôle majeur de la dette publique est de permettre de transférer la richesse dans le temps avec un risque réduit. Lorsqu’aux Etats-Unis, à la fin des années 90 et du deuxième mandat de Bill Clinton, certains imaginaient l’assèchement de la dette publique, on pouvait réellement se poser la question du support des contrats d’épargne de long terme, notamment des contrats d’assurance-vie ou des fonds de pension. La dette publique joue le rôle d’actif sans risque et c’est un élément essentiel pour stabiliser le système financier. Un actif privé ne peut pas jouer le rôle d’actif sans risque puisque seul l’Etat a la capacité de lever l’impôt.
(Pour ceux que cela intéresse, Paul Samuelson avait fait, en 1958, un modèle d’une beauté incroyable qui permet de bien comprendre ce phénomène et l’importance de la dette publique sans risque. Voir ici)
2 – La dette publique doit servir d’amortisseur aux chocs subis par l’économie. Elle permet de lisser les chocs dans le temps et d’éviter que ceux-ci ne soient amortis que dans l’instant présent. Le choc est mutualisé dans le temps. Cela évite ainsi une récession trop brutale et un taux de chômage excessif. La relance de 2009/2010 a permis de limiter la hausse du chômage et la profondeur de la récession.
Ce lissage permis par la dette publique était déjà évoqué par Aristote dans “Les Economiques”. S’il n’y a pas de dette publique pour mutualiser le risque dans la durée, alors les ménages et les entreprises doivent immédiatement ajuster leurs conditions de demande ou leurs conditions de production au nouvel environnement. Cela peut engendrer une volatilité excessive de l’activité avec un risque durable de croissance trop lente et de hausse durable du chômage et du sous-emploi. Une telle situation ne peut être souhaitable.
3 – L’argument souvent évoqué est que la dette publique pénalisera “nos petits enfants”. Les gazettes ne manquent pas de nous abreuver de chiffres. C’est brutal mais pas convaincant. La dette publique permet de lisser la volatilité de la croissance, réduisant ainsi les risques d’une récession trop brutale et trop longue (voir le point 2). Elle maintient l’activité sur une trajectoire de croissance permettant ainsi aux petits enfants de s’enrichir. En outre comme une grande partie de la dette publique est détenue localement les coupons payés sur la dette permettront aux petits enfants de s’en accommoder. La dette publique japonaise, qui fait 240% du PIB, ne semble pas être une source majeure d’inquiétude.
4 – La difficulté d’appréhension de la dette publique est que l’on ne sait pas quel en est le bon niveau. Qu’il y ait un peu de dette publique pour les raisons évoqués ci-dessus est accepté mais à partir de quand le niveau peut-il être perçu comme excessif ? On ne sait pas. En 2010, Carmen Reinhart et Ken Rogoff suggéraient qu’une dette publique supérieure à 90% du PIB engendrait un frein brutal sur la croissance. Avec ce chiffre ils comblaient deux points majeurs de la théorie économique. Le premier est qu’ils définissent un seuil à partir duquel la dette publique est excessive. Le deuxième est qu’ils valident les politiques d’austérité voulues par l’Allemagne pour la zone Euro.
Hélas ce seuil de 90% n’existe pas. Les calculs n’étaient pas fiables et tout est à refaire.
5 – Le problème de la dette publique est qu’une taille excessive limite les marges de manœuvre de la politique économique. Le vrai problème est là et c’est pour cela qu’il ne faut pas faire n’importe quoi. Il faut que la politique économique dispose toujours des moyens pour réagir aux chocs de la conjoncture. C’est pour cela que les politiques d’austérité doivent être menées lorsque tout va bien et non lorsque tout va mal, ce que l’on a tendance à faire. C’est aussi pour cela que le concept de “cagnotte” inventé pour la gestion des finances publiques en France est une hérésie. S’il y a des recettes excessives, c’est parce que la croissance est élevée et qu’il est temps de gérer au mieux les finances publiques afin de retrouver de l’agilité lors de la période de vaches maigres qui ne manque jamais d’arriver.
L’avantage de la dette publique est qu’elle peut être lissée dans le temps. Peut-on dire la même chose de la dette privée lorsque celle-ci devient trop importante? C’est le thème de la seconde partie que vous lirez la semaine prochaine.