L’année 2018 ne pourra être le banal prolongement de 2017, même si la croissance est toujours robuste et qu’en l’absence d’inflation les politiques monétaires resteront plutôt accommodantes. Ce qui va changer en 2018 est le profil des anticipations parce que la situation économique change radicalement.
L’optimisme a gagné les institutions comme cela a pu être noté dans les prévisions semestrielles du FMI. Les chefs d’entreprise aussi ont désormais une conception plus positive de leur environnement. Ainsi en septembre 2017, la perception de la situation économique par les chefs d’entreprise du secteur manufacturier français n’a pas été aussi élevée depuis octobre 2000. Femmes et hommes d’affaires perçoivent un changement de régime. Les enquêtes Markit dans le secteur manufacturier sont toutes en territoire positif. Ce ressenti du futur immédiat va se traduire par davantage d’emplois et d’investissement ce qui aura effectivement tendance à soutenir la croissance. On a ici une situation vertueuse qui doit satisfaire tous les conjoncturistes : le passé incertain s’éloigne et le temps du renouveau apparaît.
Pourtant, le changement effectif ne sera pas aussi immédiat car l’économie n’a pas un profil déterministe. Si la situation macroéconomique se normalise progressivement alors il faut s’attendre à une hiérarchie nouvelle entre aujourd’hui et demain. Jusqu’à présent, les banques centrales ont “tenu la baraque” et cela s’est traduit par des écarts considérables, dans la gestion des politiques monétaires, par rapport à l’orthodoxie. L’objectif des banques centrales a été de déprécier le futur par rapport à aujourd’hui afin que les acteurs de l’économie aient l’incitation à dépenser aujourd’hui plutôt que demain. Avec des taux d’intérêt très bas, parfois négatif, l’incitation à transférer sa richesse dans le temps a été très réduite incitant à consommer ou à investir maintenant. Cette période est en train de toucher à sa fin notamment en zone Euro. La demande intérieure privée (la demande interne moins les dépenses publiques) a retrouvé au deuxième trimestre de 2017, et après presque 10 années de repli, le niveau record observé au premier trimestre 2008.
Le processus de retour à une certaine normalité a été très long et c’est pour cela que les anticipations des acteurs de l’économie tardaient à retrouver un biais optimiste. Cette situation et sa perception validaient la politique monétaire très accommodante de la BCE et des autres banques centrales au delà de la zone Euro. Il fallait à tout prix réenclencher une dynamique de croissance et d’expansion plus soutenable dans la durée.
Un calendrier des anticipations déterminant
On est probablement proche désormais du point où les anticipations vont commencer à se normaliser parce que la croissance prend enfin de l’ampleur à l’échelle globale. La futur ne sera plus déprécié de la même façon et l’allure des taux d’intérêt qui signale cet arbitrage entre le présent et le futur ne pourra pas être la même qu’au cours des années récentes.
La difficulté de 2018 sera donc le passage d’une ambiance optimiste sur la croissance et l’emploi à un changement dans l’arbitrage entre aujourd’hui et demain. Cette normalisation devrait se traduire par des taux d’intérêt de long terme plus élevés.
L’important va donc être de savoir comment les banques centrales vont gérer ces anticipations nouvelles. Une hausse trop rapide des taux d’intérêt modifierait en profondeur l’arbitrage entre les actifs financiers, notamment entre les actifs risqués et les actifs sans risque. Jusqu’à présent, les faibles rendements obligataires incitaient à accroître la part des actifs risqués afin d’espérer un rendement raisonnable de son portefeuille. Si une hausse des rendements obligataires est attendue, même si cela n’est pas immédiat, elle modifiera cet arbitrage.
La question sera alors celle de la transition : à quelle vitesse ces anticipations vont-elles changer et modifier la composition des portefeuilles ? C’est ce facteur qui peut être très déstabilisant car les marchés boursiers sont chers. Un changement d’anticipations trop rapide sur les taux d’intérêt aurait alors un impact fort et profond sur l’allure des marchés boursiers qui seraient délaissés. Un ajustement boursier significatif ne serait alors pas à exclure. Une telle situation ne pourrait être souhaitable car la réponse des banques centrales ne pourrait qu’être limitée. En 1987, lors du krach de Wall-Street dont on fête le trentenaire actuellement (19 octobre), l’impact macroéconomique avait été quasiment inexistant parce que la Federal Reserve avait abaissé très rapidement et très fortement son taux d’intervention. Aujourd’hui en cas de krach les banques centrales n’ont aucune capacité pour y faire face. Le taux de la Fed est actuellement à 1,125%, cela de la Banque d’Angleterre à 0,25%, il est à -0,10% au Japon et à 0% (taux refi) pour la BCE. Ils sont beaucoup trop bas pour, en les abaissant à 0%, générer une liquidité susceptible de rééquilibrer les marchés.
On ne peut donc pas se permettre la possibilité d’un krach boursier. Les banques centrales seraient incapables d’y faire face.
C’est pour cela que la politique de communication des grands argentiers va être encore plus importante en 2018. On va avoir d’un côté des attentes plus positives sur l’avenir avec en arrière-plan l’idée d’une normalisation macroéconomique et, de l’autre, des banquiers centraux qui ne peuvent pas valider spontanément ce changement d’anticipations. Si elles agissent de façon insuffisante ou maladroite alors la situation devient à risque car les anticipations seraient alimentées à la hausse. C’est pour cela que l’on peut tout craindre du changement de président de la Fed si celui-ci n’a pas la stature nécessaire pour peser sur le marché et les investisseurs et assoir la crédibilité de la Fed. Les 4 candidats qui pourraient remplacer Janet Yellen ne donnent pas toutes les garanties nécessaires. En zone Euro, la BCE et Mario Draghi devront maintenir une dynamique de QE capable de contrer la montée des anticipations.
L’année 2018 va être fascinante : elle peut être une année à risque fou ou être le point d’ancrage d’une nouvelle ère de croissance. La dynamique globale dépendra encore davantage des banques centrales. Rassurant mais, aussi, totalement effrayant.
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Ceci est ma chronique hebdomadaire parue sur Forbes.fr. Vous pouvez la retrouver ici