Le rapport récent publié par l’Ecole d’Economie de Paris montre l’évolution des inégalités de revenus dans le monde. Il calcule la part considérable des revenus les plus élevés dans l’ensemble des revenus et aboutit à une situation franchement préoccupante. Ainsi, à l’échelle mondiale, le 1% des revenus les plus élevés a-t-il capté 27% de la croissance globale des revenus depuis 1980 (hors effet inflation). Sur la même période les 50 % ayant les revenus les plus réduits n’ont capté que 12% de la croissance de ce revenu. Clairement le monde a changé de référent sur la période. Les trajectoires par pays sont parfois encore plus marquées. Cependant, la situation des inégalités en Europe est relativement stable sur la période depuis 1980.
Les inégalités dans la répartition des revenus posent de nombreuses questions, notamment celle de la nécessité de trouver une croissance forte et durable. Si celle-ci ne profite qu’à une très faible minorité alors la croissance à tout prix ne peut pas être un objectif unique. L’approche par le ruissellement qui suggère que des riches plus riches auront un impact positif sur les pauvres ne marche pas du tout. Il faut donc définir d’autres objectifs et des instruments à côté de la croissance pour avoir une société plus harmonieuse.
Une interprétation du vote Trump, lors des dernières élections présidentielles américaines, est que celui-ci est venu d’une partie de la population ayant le sentiment de voir le train de la croissance passer sans réussir à monter dedans. Cela est illustré par le fameux graphe de l’éléphant de Branko Milanovic qui suggérait sur la période 1998-2008 un appauvrissement des classes moyennes et populaires américaines. Ils ont observé la croissance des revenus sans franchement en bénéficier, ils ont eu la volonté de décrocher un job mais sans pour autant se sentir rassurés.
Dès lors retrouver de la croissance à tout prix, voire une croissance exceptionnelle comme le promet Donald Trump, avec sa réforme de la fiscalité, n’est pas une solution si elle ne profite finalement qu’à la minorité qui captera la hausse des revenus laissant sur le bord de la route la majorité des américains.
La question de la répartition des revenus, qui avait été traitée dans les années 50 et 60 à coup de fiscalité progressive, resurgit depuis les années 80 et crée de véritables sources de frustrations au risque de provoquer une instabilité politique et sociale.
Ce phénomène ne touche pas de façon aussi intense l’Europe que les Etats Unis ou encore certains pays émergents comme l’Inde par exemple. Cependant, l’émergence d’inégalités peut apparaitre aussi via le marché du travail et le comportement des entreprises. Des études récentes suggèrent que l’on ne peut plus utiliser la fiction d’une entreprise représentative. Elle était bien commode car elle permettait de caler le raisonnement sur un comportement type. Cela n’était pas franchement très éloigné de la réalité. Cependant, depuis une dizaine d’années, l’analyse a changé. On observe entre les entreprises même au sein d’un même secteur d’activité des comportements très différents principalement vis-à-vis de l’innovation.
Pour un panel de 16 pays de l’OCDE, dont les plus grands, il a été constaté une divergence significative dans le profil de la productivité selon les entreprises. Les 10 % des entreprises les plus efficientes ont un écart de productivité significatif et qui s’accentue année après année avec les 10% des entreprises les moins productives. D’autres mesures d’inégalités de productivité donnent des signaux identiques ou cohérents avec ce résultat. Dans le même temps, l’allure des salaires distribués suit le même profil. La divergence dans les salaires distribués est du même ordre que celle observée sur la productivité.
Les entreprises n’ont pas la même allure selon qu’elles sont efficientes ou pas. Cela crée des écarts entre les salariés qui sont significatifs et durables et ne paraissent pas pouvoir être rattrapés.
Ces comportements expliquent probablement une partie de l’absence d’inflation dans le cycle économique actuelle. Les entreprises efficientes peuvent distribuer des salaires élevés, contrepartie de la productivité élevée, sans pour autant avoir besoin de relever leurs prix. Celles qui ne sont pas efficientes ne peuvent pas distribuer de salaires plus élevés car elles ne peuvent pas, en raison de la concurrence plus dure désormais, les répercuter éventuellement sur les prix. Il y a donc une évolution limitée du salaire moyen. Dès lors selon que l’on regarde un secteur particulier ou un type spécifique d’entreprise on peut trouver des séries de salaires très forts sans que pour autant cela ait une signification à l’échelle globale.
On peut aussi se demander si ces trajectoires divergentes sur la productivité ne sont pas à l’origine de l’absence de rebond de la productivité dans le cycle actuel. Il y a des entreprises très productives mais la moyenne reste très limitée du fait de l’hétérogénéité de ces entreprises.
Peut-il y avoir convergence pour s’orienter, in fine, vers un impact global positif des innovations? Il faudrait une contagion des innovations des secteurs les plus efficaces vers les autres. Cela peut s’opérer mais prendra du temps si elle existe. C’est un processus qui peut prendre encore 10 ans peut-être plus. C’est la version optimiste qui se traduirait alors par de forts gains de productivité à l’échelle globale réunifiant alors la trajectoire des salaires.
Deux remarques
Si la convergence n’existe pas alors la divergence entre les entreprises continuera et s’accentuera. L’impact global ressemblera à de la stagnation séculaire.
Une hypothèse posée par Nick Bloom est que les entreprises les plus efficaces aux USA sont liées aux nouvelles technologies et aux entreprises de plateformes. Si c’est le cas, celle-ci sont des entreprises à rendement croissant pour lesquelles le client supplémentaire est profitable car il n’a pas de coût. Le reste de l’économie est, comme elle l’est depuis des siècles, à rendement décroissant: le client supplémentaire coûte un peu plus cher à chaque fois et est donc moins profitable. Peut-on imaginer que toutes les entreprises deviennent à rendement croissant? Certainement pas.
Il y a donc une véritable question car les divergences constatées suggèrent qu’au-delà des qualifications que chacun peut acquérir il ne faut pas dès le départ se tromper d’entreprise. C’est une contrainte nouvelle pour le salarié.
Le monde change mais il s’accompagne d’inégalités supplémentaires sur la dynamique des revenus. Il y a un challenge macroéconomique majeur qui doit obliger à repenser la question du vivre ensemble. Cela va donc bien au-delà de l’économie.
★ Cet article fait partie d’une série de billets publiés par les #LinkedInTopVoices 2017, dont vous pouvez découvrir la liste ici et ici ★