La croissance mondiale n’accélère plus et plafonne; les risques inflationnistes sont désormais plus présents dans le comportement des investisseurs; la BCE prône la nécessité et l’urgence de réformer le cadre institutionnel de la zone Euro afin d’en renforcer la résilience.
L’accélération de la croissance globale au dernier trimestre 2017 est-elle en train de plafonner ? C’est ce que suggère le profil des enquêtes Markit dans le secteur manufacturier. La progression rapide observée tout au long de 2017 s’est arrêtée. Certes les indices sont tous à des niveaux impressionnants indiquant une rapide progression de l’activité mais ils n’accélèrent plus.
Ainsi l’indice mondial est-il stable en janvier à 54.4 contre 54.5 en décembre. J’aime regarder cet indicateur car il signale par avance le profil du commerce mondial. Cette liaison est importante. C’est parce qu’elle a de nouveau fonctionné correctement en 2017 que la croissance mondiale a pu être aussi importante et aussi homogène. De ce point de vue, les politiques monétaires accommodantes, partout dans le monde, ont été globalement une condition nécessaire et, en 2017, une condition suffisante pour relancer la machine.
C’est aussi pour cela que ces politiques monétaires doivent rester accommodantes. Sans cette allure, l’expansion serait rapidement bridée car la croissance potentielle, notamment dans les pays développés, est nettement plus réduite qu’avant la crise. Il ne faut pas envoyer de signaux de resserrement trop tôt c’est-à-dire tant que le profil de la croissance potentielle ne s’est pas durablement redressé. Ce n’est pas encore le cas.
Le graphe suggère cette relation étroite entre la perception par les chefs d’entreprise du monde entier de leur environnement immédiat et le volume des échanges.
Dans le détail des enquêtes, on constate que toutes les régions conservent une allure de croissance robuste. Il n’y a d’alerte nulle part mais les marges de hausse de l’activité se sont réduites, notamment en zone Euro.
On voit sur le graphe global que l’indice de la zone ralentit mais on constate aussi que le graphe spécifique aux principaux pays de la zone Euro suggère une inflexion en Allemagne, en France et en Espagne. Seule l’Italie est à contre-courant. Cette incapacité à accélérer davantage est aussi en phase avec un taux d’utilisation des capacités de production qui est quasiment au plus haut dans la zone Euro. Il est donc nécessaire d’investir dans la durée pour relâcher cette contrainte et éviter la formation de déséquilibres qui seraient pénalisant pour l’ensemble de la zone. (voir graphes en annexe)
La situation décélère nettement au Royaume Uni. On notera aussi qu’au regard de l’indice des prix disponible dans cette enquête, l’inflation devrait accélérer de nouveau outre-Manche (graphe en annexe).
Du côté des Etats-Unis la situation est toujours robuste. Selon la Fed d’Atlanta et son modèle de Nowcasting, la croissance attendue serait, avec les informations disponibles actuellement, de 5.4% au premier trimestre 2018 (en taux annualisé). Cela est compatible avec les informations disponibles via les enquêtes et avec les chiffres d’emplois publiés pour le mois de janvier.
Le Japon continue de croître à un rythme rapide et les pays émergents restent aussi sur une allure robuste.
Il a suffi que la Fed dans son communiqué de presse signale, à l’issue de sa réunion de Janvier (30/31), que l’inflation pourrait accélérer et converger dans un temps fini vers la cible de 2% et y rester pour que les investisseurs se mettent à nouveau à croire à une accélération durable de l’inflation. En fin de semaine, la hausse du salaire de référence dans le secteur privé à 2.9% a accentué cette perception haussière de l’inflation.
Trois remarques
Le rééquilibrage du marché du travail est une source de pression à la hausse des salaires. Pendant longtemps la Fed a considéré que des déséquilibres (par exemple plus d’emplois à temps partiel que les américains le souhaitaient (voir le graphe en annexe)) ne permettaient pas aux salaires de progresser plus rapidement.
Dès lors tant que ces déséquilibres n’étaient pas résorbés, le risque de voir le taux de salaire s’accélérer était réduit et de ce fait la convergence de l’inflation vers la cible de 2% était repoussée dans le temps. Ces déséquilibres se sont nettement atténués et en conséquence il devrait effectivement y avoir davantage de pressions sur l’évolution à la hausse des salaires.
Cependant, et c’est ma deuxième remarque, la relation entre le taux de chômage et l’évolution du salaire de référence ne fonctionne plus dans ce cycle. C’est ce que montre le graphe ci-dessous. On observe, depuis le début des années 80, que la baisse du taux de chômage s’accompagnait systématiquement de pressions à la hausse du salaire de référence. Dans ce cycle, ce mécanisme ne fonctionne pas. Le taux de chômage a reculé de façon spectaculaire, l’économie américaine est désormais au plein emploi selon ce critère. Pour autant le profil du taux de salaire n’a pas eu du tout celui que l’on aurait pu attendre (Une autre façon de le dire est que la courbe de Phillips s’est aplatie)
Le mécanisme de fixation des salaires a changé. Le partage de la valeur ajoutée plus favorable aux entreprises, la mise en œuvre d’innovations de façon très hétérogène à l’échelle de l’économie US ou encore la faible tendance de la productivité sont des explications qui permettent de comprendre ce changement dans le mode d’ajustement des salaires. Aucun de ces éléments n’a changé, il n’y a pas eu de rupture permettant d’imaginer que le profil des salaires va connaître une allure cohérente avec les cycles passés. Il y aura probablement un peu de pressions salariales mais n’imaginons rien d’excessif pour l’instant.
Tablons sur la convergence de l’inflation vers la cible de 2% comme le suggère la Fed. Cela parait raisonnable mais il n’est pas question pour l’instant d’aller au-delà. Cela veut dire, au regard du profil du taux 10 ans américain, qu’une bonne partie de l’ajustement sur les taux a déjà eu lieu et qu’il ne faut pas s’attendre à une dérive des taux longs américains au-delà des niveaux actuels. La hausse récente des taux européens est un effet de contagion de ces pressions observées aux USA. C’est pour cela aussi que je ne crois pas à une dérive haussière des taux de la zone Euro.
Cela n’empêchera pas cependant la Fed de durcir le ton sur le plan monétaire avec des taux d’intérêt plus élevés. On doit ainsi s’attendre à un aplatissement supplémentaire de la courbe des taux de rendement aux USA. La hausse des taux courts pénalisera alors les ménages qui s’endettent pour consommer, au risque de pénaliser la demande interne.
Une remarque encore – L’ajustement constaté sur les taux d’intérêt américain a eu un impact fort sur les marchés d’actions. La prise en compte d’une éventuelle prime inflationniste a eu un rôle pour expliquer le mouvement des taux et l’ajustement des marchés actions puisque les taux plus élevés modifient les arbitrages. La période est en plus assez particulière car Janet Yellen est partie de la Fed ce week-end et Jay Powell n’est pas encore officiellement en place. Il va forcément parler de la politique monétaire et sa communication pourrait conditionner l’allure des taux longs et donc les arbitrages à venir avec les marchés d’actifs risqués.
Les inquiétudes politiques demeurent en zone Euro. Les alliances évoquées en Italie, un mois avant les élections du 4 mars, pourraient suggérer la possibilité d’un gouvernement dont une composante ne serait pas favorable à l’euro. On doit se préparer à une issue qui risque de créer de nouvelles interrogations sur la zone Euro et sa régulation. L’autre point est de réaliser que si la coalition allemande se forme entre le CDU et le SPD alors le premier parti d’opposition sera l’Afd.
Benoit Coeuré a renouvelé le 2 février la nécessité de réformer la zone Euro pour en réduire les risques d’éclatement en cas de crise. Il serait bien qu’effectivement la situation institutionnelle évolue pour ne pas prendre le risque d’être en otage de ceux qui s’opposent à la zone Euro.
Annexe