La question italienne continue de préoccuper en Europe même après la nomination, à confirmer par le président italien, d’un premier ministre qui fait figure de plus petit dénominateur commun entre le Mouvement 5 étoiles et la Ligue. Les investisseurs soufflent avec une progression moins vive, qu’en fin de semaine dernière, de l’écart de taux d’intérêt avec l’Allemagne comme le montre le graphe. Cependant les interrogations demeurent.
Plusieurs points à prendre en compte
1 – Le malaise italien
Le graphe permet de comprendre la morosité des italiens et la volonté de vouloir changer de référence politique. L’Italie n’a pas retrouvé le PIB par tête d’avant crise et sa performance est médiocre par rapport à celles des pays comparables.
Le gouvernement technique de Monti avait plongé l’économie italienne dans une terrible abîme et Matteo Renzi n’a finalement réussi qu’à stabiliser la situation.
Quel italien peut être satisfait lorsque le PIB par tête est après 10 années de crise près de 10% plus bas. L’économie italienne ne montre pas, contrairement à l’Espagne, de capacité de rebond endogène.
2 – L’économie italienne est peu dynamique
L’économie italienne ne va pas bien depuis longtemps. Sa productivité a connu une rupture depuis le début des années 2000 et sa population vieillit rapidement.
Le premier graphique montre la spécificité de l’Italie en ce qui concerne la productivité. Sur les 3 mesures des gains de productivité (5 ans, 10 ans, 20 ans) l’Italie a une allure très particulière. Ses gains de productivité sont très faibles dans l’absolu et par rapport à ses partenaires des pays développés. L’économie italienne est incapable de dégager un surplus (ce que sont les gains de productivité) pour ainsi disposer de degrés de liberté dans la gestion de l’économie.
La démographie aussi à une allure préoccupante puisque dans les deux décennies qui viennent, le poids des retraités va s’accroître très vite relativement à la population active. Cela se traduira par un transfert important de la population “jeune” à la population “vieille”. Pour maintenir une croissance équivalente à celle d’aujourd’hui il faudrait que la productivité des “jeunes” compense le travail qui n’est plus effectuée par ceux partant à la retraite. Il faudrait une rupture durable dans le profil de la productivité. On ne sait pas très bien d’où celle ci viendrait. On voit que l’Italie est rapidement pénalisée comme l’est aussi le Japon. Ce sera rapidement le cas de l’Espagne et de l’Allemagne.
3 – L’importance de l’absence de croissance italienne
J’insiste sur ces questions macroéconomiques car les mesures qui seront prises par l’éventuel nouveau gouvernement italien vont accroître le déficit public de façon importante sans pour autant redynamiser l’économie à moyen terme. La croissance s’exprime, à moyen terme, en fonction de la productivité et de la démographie et à court terme sur des considérations de demande. Au regard des tendances récentes, l’économie italienne est “collée” par ses trop faibles gains de productivité et par une population active qui ralentit.
4 – Les mesures de politique économique
N’imaginons donc pas que l’abaissement de l’âge de la retraite (qui va accentuer l’effet démographique indiqué plus haut), la hausse des dépenses via le revenu universel et la baisse des impôts puissent spontanément être payés par un regain d’activité.La croissance ne paiera pas les coûts budgétaires. Ceux-ci (3.5% du PIB ?) sont là pour rester et pour finalement alimenter la dette publique qui est déjà à 130% du PIB.
5 – La question de l’euro qui était évoquée dans le brouillon du programme commun de la coalition n’est pas mis en avant comme une mesure immédiate qui serait prise. Mais soyons attentifs car l’incapacité à redresser l’économie italienne pourrait se traduire par la mise en place de mesures plus radicales dont un référendum sur l’euro.
6 – Les considérations politiques, notamment sur les flux migratoires, positionnent l’Italie sur une échelle proche de celle de la Hongrie ou de la Pologne, dans une vision “contre” ce qui n’est pas national. Cela va nuire à l’homogénéité de l’UE renforçant les divergences déjà constatées avec les pays nommés. Cela renforcera le camp des sceptiques imposant à l’Europe une incapacité à se réformer.
7 – La commission européenne ne dispose pas franchement d’instruments pour contrecarrer la volonté des italiens.
L’entrée dans la procédure de déficit excessif n’est pas un élément suffisamment fort pour contraindre le gouvernement italien. En outre quel projet de la Commission pourrait inciter les italiens à adopter une stratégie pro-européenne?
C’est d’ailleurs un des points qui devrait être traité lors du conseil européen de la fin juin. Quelle doit être l’articulation entre politique budgétaire, politique monétaire et cycle économique?
Il y a trois options sur ce point
A – Une option définie notamment dans les pays du nord de l’Europe qui donne à la politique budgétaire domestique une importante capacité à gérer le cycle économique
B – Les pays dont l’Allemagne qui souhaitent une plus grande neutralité de la politique budgétaire mais un ajustement endogène du cycle par des mécanismes de marché et/ou de contrôle.
C – Un rôle budgétaire à l’échelle européenne ou de la zone Euro avec la possibilité d’un impact sur le cycle économique régional ou sur un pays spécifique. C’est le choix souhaité par le président français.
Le choix entre ces trois options n’est pas tranché, cela pourrait être fait au Conseil Européen des 28 et 29 juin. Avec les possibles options italiennes, un échec n’est pas inconcevable ce qui fera le lit des européens critiques.
Le cadre actuel permet donc à l’Italie de faire ce qu’elle souhaite sans contrainte excessive qui l’empêcherait de mettre en oeuvre le programme présenté le 21 mai au président italien. C’est une erreur que de penser que la Commission aura la possibilité de contraindre le programme italien.
8 – Que peut il se passer maintenant?
Il faut d’abord que le président italien, Sergio Mattarella, confirme la nomination de Guiseppe Conte comme premier ministre. Ce possible premier ministre apparaît comme un fantoche à la main des partis et du rapport de force au sein de la coalition.
Ensuite, la nomination du gouvernement et la question des places attribués aux chefs de partis Luigi Di Maio pour le Mouvement 5 étoiles et Matteo Salvini pour la Ligue. Ce choix sera déterminant quant à la politique qui sera menée. Ce gouvernement donnera un signal sur le rapport de force entre les deux partis de la coalition.
Il y aura ensuite la déclaration de politique générale du premier ministre. Celle ci définira le cadre qui sera mis en oeuvre. Ce point sera déterminant.
Le programme de gouvernement comporte de nombreuses possibilités pour desserrer la contrainte budgétaire que ce soit par des hausses de dépenses ou des réductions de recettes.
Même si le taux d’intérêt sur les obligations d’Etat a augmenté de façon significative, je ne pense pas que, dans un tel mouvement de rupture politique, ces considérations financières seront pertinentes. Si cela était le cas, il est probable, au regard de l’important vote populiste que le gouvernement en place serait débordé. J’imagine plutôt un scénario comparable à celui de 1981 en France où les mesures prises se traduisent au bout de 2 ans par une trajectoire non soutenable qu’il faut corriger.
En d’autres termes, et toutes choses égales par ailleurs, la nomination du premier ministre devrait permettre de stabiliser les indicateurs financiers italiens. Ils bougeront ensuite en fonction de l’équilibre du gouvernement et de la déclaration de politique générale. Si finalement, la rupture n’existe pas et que le populisme italien met ses pieds dans ceux de la social démocratie italienne alors les déformations récentes devraient se réduire. Si en revanche il y a une vraie rupture et une volonté anti-européenne comme le suggèrent certaines parties du programme alors les écarts avec les autres pays européens vont s’accentuer.