Mon post en format pdf est Ma Chronique du lundi 1 Octobre 2018
La dette publique française est proche de 100% du PIB. Est-ce vraiment préoccupant?
Non, il ne faut pas en exagérer l’importance. L’INSEE en intégrant la dette de la SNCF a fait sensation puisque la dette publique mesurée en pourcentage du PIB a passé le niveau de 100% au cours de l’année 2017. Ce n’est plus le cas. Au 2ème trimestre de 2018 la dette publique ne représentait plus que 99% du PIB.
On observe deux périodes sur le graphe représentant cette série: avant et après la crise de 2008. L’Etat, en accroissant son émission de dette, a facilité l’ajustement macroéconomique en mutualisant dans le temps le choc subi par l’économie française.
Ce que l’on remarquera est qu’il y a une dérive à la hausse après 2010. Ce point n’est pas spécifique à la France et reflète une croissance plus lente de l’économie française dans la durée alors que son système social ne s’est pas adapté à cette nouvelle évolution. La dérive de la dette publique traduit la lente vitesse d’ajustement des institutions françaises.
En d’autres termes, la dette publique permet de mutualiser les chocs et c’est son rôle principal mais elle dérive lorsque l’économie tarde à s’ajuster à de nouvelles conditions économiques.
Le seuil de 100% du PIB c’est ennuyeux ou pas ?
Cela a un caractère impressionnant et c’est symbolique mais ce n’est pas forcément une source pénalisante pour la dynamique de l’économie. Le Japon, dont la dette publique représente 240 % de son PIB, est le pays qui se sort le mieux de la crise si on regarde le PIB par tête. Je n’ai pas le sentiment que le Japon soit en faillite.
Le problème est que l’on ne connait pas un seuil à partir duquel le niveau de la dette publique pourrait devenir pénalisant. Rogoff et Reinhart avaient fait un papier indiquant qu’au-delà de 90% l’impact de la dette publique était négatif sur la croissance. Cette règle a guidé, au moins en partie, la politique d’austérité de la Commission Européenne en 2011 et 2012. Mais elle ne tient pas. Les calculs de R&R étaient faux. Il n’y a pas de règle indiquant un niveau excessif de la dette publique.
Est-ce ennuyeux alors que la dette publique allemande se réduit ?
L’Allemagne est le seul pays en zone Euro qui a eu la capacité à s’adapter très vite au nouvel environnement post-crise. Cela traduit notamment sa capacité à répondre à la demande asiatique.
L’économie française n’a pas la même forme de croissance et son ajustement est plus lent. On observe aussi les mouvements spectaculaires enregistrés en Italie et en Espagne.
Faut-il une dette publique ?
Oui
Pourquoi ?
C’est le seul actif qui permet le transfert dans le temps de la richesse sans risque. C’est l’actif sans risque par excellence. Elle est donc indispensable. A la fin des années 90, sous l’ère Clinton, on imaginait une réduction voire une disparition de la dette publique. Cela aurait été une catastrophe.
Il n’y a pas que l’Etat qui est endetté. Les ménages et les entreprises le sont aussi. Est-ce plus préoccupant ?
Oui c’est ennuyeux pour ce que cela représente et pour ce que cela implique.
Pour les ménages, la hausse de la dette traduit notamment un pouvoir d’achat qui progresse moins vite mais aussi un prix de l’immobilier qui, dans les métropoles, est très élevé.
La hausse de l’endettement des entreprises est peut-être une opportunité pour certaines de bénéficier de taux d’intérêt très bas mais cela traduit surtout des gains de productivité insuffisants.
Les niveaux très élevés de l’endettement de l’un et l’autre limitent la capacité de l’un et l’autre acteur de l’économie à s’adapter à un environnement changeant. C’est une raison de la nécessité d’une mutualisation des chocs par la dette publique.
Il y a donc une rigidité progressive de la capacité d’adaptation des acteurs privés en France ?
Oui et c’est un problème d’efficacité du système économique dans son ensemble.
Que penser du budget français pour 2019 ?
Il y a pas mal de points sur lesquels on peut être d’accord. On peut faire deux remarques. La première est que s’il y a une baisse d’impôts de 6 mds pour les ménages elle est en partie compenser, pour 2.5 Mds, par des prélèvements nouveaux (tabac, carbone) et des sous indexations sur les retraites et des aides sociales. L’autre remarque est que le scénario macroéconomique me parait un peu trop optimiste. Une croissance attendue de 1.7% me parait être dans le haut de la fourchette de ce que l’on peut attendre alors que la croissance globale est moins vive. Cela veut dire que le solde budgétaire attendu à 2.8% sera difficile à tenir.
Edouard Philippe a évoqué la possibilité de rendre dégressives les allocations chômage pour les revenus élevés. C’est une bonne idée ?
Cela peut l’être. On a observé que le retour au travail des personnes les plus qualifiés était généralement plus facile que la moyenne. Une étude sur les années 90 montre bien que lorsque les personnes ayant les revenus les plus élevés sont proches de la période où leur allocation va diminuer (c’était dans les années 90) il y a une accélération de la reprise d’emplois. Ce mouvement n’est pas vrai pour tous les chômeurs.
Cela pose plusieurs questions. La première est celle de la discrimination entre ceux qui seraient touchés par la dégressivité et les autres, la seconde est celle de la prise en compte de la conjoncture car le retour à l’emploi est toujours plus compliqué lorsque la conjoncture est dégradée. Pénaliser les hauts revenus alors que l’emploi est rare est inéquitable. Une autre question est celle du niveau de l’allocation. Elle est beaucoup plus élevée en France qu’ailleurs. Est-ce efficace? Enfin, les cadres, qui est un ensemble vaste et hétérogène mais qui intègre les hauts revenus, financent 45% des allocations mais ne bénéficient que de 12% des allocations. Auront-ils la même envie de participer au financement du système s’ils ne peuvent en bénéficier autant ? Il faut définir des règles claires sur ces questions mais on ne peut trouver complètement irrationnel de réduire ces allocations. Les économies faites pourraient permettre de financer la formation de ceux qui sont pénalisés par leur manque de qualification.
La Fed a remonté son taux d’intérêt de référence. Faut-il craindre un effet de contagion vers le reste du monde ?
J’ai commenté le geste de la banque centrale américaine sur mon blog. L’idée à retenir est que la Fed considère que la politique budgétaire n’est pas soutenable et qu’il faut qu’elle intervienne maintenant plus tôt que trop tard afin d’éviter la formation de déséquilibres qui seraient pénalisants pour l’économie US. En agissant immédiatement et en maintenant son emprise tout au long de 2019 (3 hausses attendues), la Fed prend le risque de pénaliser la croissance mais elle préfère cela à l’irruption de déséquilibres difficiles à gérer dans la durée.
La contagion sera limitée car la dynamique américaine lui est spécifique. Cela se traduira principalement par un dollar plus fort, ce qui sera positif pour la compétitivité de l’économie de la zone Euro.
L’Italie a présenté son budget pour 2019, que faut-il en penser ?
Le déficit sera de 2.4% (en % du PIB) en 2019, 2020 et 2021. J’ai écrit longuement sur cette question sur mon blog (ici et ici). On ne peut pas être surpris de voir le déficit s’élargir au regard de la rupture politique provoquée par l’arrivée au pouvoir du gouvernement de coalition. C’est le contraire qui nous aurait surpris.
Dans un interview au journal Il Sole 24 Ore, Giovanni Tria le ministre de l’économie indique que les prévisions macroéconomiques de croissance sont de 1.6% en 2019 et 1.7% en 2020. Cela parait un peu excessif au regard de la dynamique de l’économie globale. Ma crainte est que les objectifs de déficit ne soient pas tenus: d’abord parce que la croissance sera plus lente ensuite parce que les dépenses seront surement un peu plus forte que celles, contraintes, inscrites dans la loi de finance. Cela veut dire que le déficit pourrait converger vers 3%, voire au-delà, en 2019 ou au plus tard en 2020. La situation va vite devenir compliquée car les investisseurs vont bouder la dette italienne ce qui se traduira par une hausse de taux d’intérêt et une fragilité accrue des banques italiennes grandes détentrices de cette dette publique. Les non-résidents financent un tiers de l’économie, il est donc important qu’ils soient toujours présents sinon la dette italienne perdra une bonne partie de sa liquidité.
Si c’est le cas, la BCE et le Mécanisme Européen de Stabilité seront les recours pour l’Italie au sein de la zone Euro. Une sortie me parait toujours peu probable. Le coût serait bien supérieur à celui du Brexit (il y a la monnaie en plus et une économie italienne moins performante) et l’Italie ne bénéficie pas d’avantages comparatifs qui lui permettrait de rebondir très rapidement.