La crise épidémique est associée à une crise sanitaire de grande ampleur dont les conséquences, sans intervention des Etats, seraient catastrophiques. Le rôle des Etats est d’en limiter l’ampleur et d’en dissiper le coût dans la durée.
En Chine, en Europe et désormais en Californie, le confinement est l’arme adoptée par les autorités afin d’éviter une contagion du virus. Le coût associé est néanmoins très élevé car il se traduit par l’arrêt de l’activité dans de nombreux secteurs. La croissance reculera fortement dans de très nombreux pays.
Les politiques économiques ont donc pour objectif de passer cette période difficile sans détruire les fondements des économies.
La question majeure néanmoins reste celle de la durée de la crise. Sera-t-elle suffisamment courte pour que les dommages soient limités et que l’économie puisse retrouver rapidement ses repères ? Ou sera-t-elle plus longue au risque de fragiliser la capacité de l’économie à repartir de l’avant ?
Dans une économie globalisée, lorsque la plus importante de ses composantes est en difficulté les effets de contagion sont forts et durables.
La Chine a déclaré le coronavirus le 14 décembre et l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) est alertée le 31 décembre sur des cas à Wuhan. L’économie chinoise est la plus dynamique sur le plan industriel et c’est le plus grand exportateur mondial. Dès lors, lorsque les autorités chinoises déclarent la quarantaine le 23 janvier et une quarantaine plus stricte le 17 février, l’économie s’arrête. En témoigne, la production industrielle du mois de février qui est en repli sur un an de -13.5% (elle progressait de 6.9% en décembre 2019). Comme c’est l’économie qui s’est développée le plus rapidement sur le plan industriel depuis une vingtaine d’années, tous les process de production dans le monde ou presque ont une composante chinoise. L’impact est direct.
L’arrêt de l’activité là-bas est un terrible coup de frein pour ses exportations et l’activité mondiale. On observe dans les enquêtes Markit de février que les délais fournisseurs se sont allongées terriblement partout dans le monde y compris en Chine. Les produits fabriqués en Chine n’arrivent plus sur les chaines de production dans le reste du monde. Les constructeurs d’automobiles, d’appareils électroniques, d’avion ou d’autres productions manufacturières sont directement pénalisés. Ils ont puisé dans leurs stocks en février mais cette opération ne pourra se renouveler selon la même échelle en mars et la production baissera partout.
Aujourd’hui, même si le nombre de cas ne progresse plus en Chine, l’activité n’est pas encore franchement repartie. L’offre chinoise ne va pas retrouver spontanément son niveau d’avant épidémie. A Wuhan et dans la région de Hubei, les précautions sont toujours à l’ordre du jour et l’attention reste forte pour ne pas réenclencher le désastre. Les autres régions moins touchées n’ont pas les mêmes contraintes et peuvent retrouver une allure de croissance un peu plus rapidement.
L’effet de contagion est plutôt limité dans les pays asiatiques. Hong Kong, la Corée du sud, le Japon ou encore Taïwan contrôlent rapidement les risques épidémiques et la contagion est limitée et ne suit pas, dans chacun de ces pays, le profil chinois. Mais l’impact économique sera malgré tout important compte tenu de la dépendance au voisin chinois.
L’activité ralentit déjà en Europe et aux USA
En Europe et aux USA, la situation est différente. L’épidémie s’est installée depuis la mi-février en Italie avec un confinement total depuis le 9 mars et s’accélère aux USA avec l’état d’urgence déclarée par Donald Trump le 13 mars. Le gouverneur de la Californie vient juste de déclarer le confinement de l’état de l’ouest américain qui est la 5ème puissance économique au monde devant la France et le Royaume Uni.
Contrairement aux pays asiatiques, les contaminations dans les pays développés, hors Japon, suivent avec retard celle observée en Chine puis celle de l’Italie. Avec un retard de 5 à 15 jours, la France, l’Espagne, l’Allemagne, les USA et le Royaume Uni suivent l’allure de l’Italie. Et cette courbe italienne ne s’est pas encore infléchie. Il existe donc une inertie importante et un déterminisme fort au sein des pays occidentaux. Tous sont touchés sans franchement de discrimination.
Ils subissent une triple contrainte sur leur activité.
1 – Il y a déjà les effets liés à l’arrêt du secteur manufacturier chinois. L’activité faiblit et les mesures de confinement accentuent ce phénomène. Les salariés ne peuvent plus se rendre sur leur lieu de travail, provoquant une rupture de l’activité. A très court terme, le capital machine ne peut pas se substituer aux salariés manquants. Ce ralentissement est un frein majeur au commerce mondial qui ralentit brutalement depuis le début de l’année.
2 – Il y a une deuxième source de fragilité qui est l’arrêt des échanges, que ce soient des échanges de biens, les prix du fret maritime s’est effondré depuis le début de l’année, ou que ce soit dans le transport de personnes, plus personne ne souhaite se rendre en Asie ou ne vient d’Asie. Ces secteurs des transports sont dans une situation très difficile et parfois catastrophique pour les compagnies aériennes. La contrainte est de ne pas déplacer le virus. Cela a une traduction immédiate sur le tourisme et les activités qui s’y rattachent (restauration, hôtellerie, loisirs). En Espagne, le tourisme représente 11% du PIB et son effondrement est une préoccupation majeure de la conjoncture ibérique.
3 – Le troisième facteur est celui du confinement avec fermeture des écoles. De manière directe, les hommes qui entrent dans la fabrication d’un produit, au côté des machines, ne sont plus là (ils gardent leurs enfants), poussant la production à la baisse. Le confinement est étendu au-delà de la fermeture des écoles car les boutiques sont fermées et les personnes qui ne travaillent pas ont l’obligation de rester chez eux. Les restaurants et les bars, déjà fragilisés par le recul du tourisme, sont fermés, les manifestations culturelles ou sportives de plus de 50/100 personnes sont interdites. La consommation sociale (dépenses dans tous les lieux de la sociabilisation) s’effondre. La dynamique interne n’a plus le rôle moteur qui est le sien dans la croissance. Les dépenses des ménages se limitent aux dépenses contraintes (loyer, téléphone, internet, électricité, …) et à la consommation alimentaire. Le reste est remis à plus tard. D’abord parce que les enseignes sont fermées mais aussi parce qu’en raison de l’incertitude les ménages repoussent leurs achats.
La demande qui, généralement est conditionnée par la dynamique des exportations et la robustesse de la demande interne, suit désormais une trajectoire plus basse et n’est plus un franc soutien à la croissance.
Le processus sera plus long qu’attendu
L’impact du repli de l’activité en Chine se propage dans le monde et s’amplifie quand il arrive en Europe et aux USA. Le ralentissement est accentué par les mesures prises par les autorités, notamment celles portant sur le confinement. Il y a donc un double choc sur l’activité, externe et interne.
Cette situation se couple d’une grande désorganisation puisque les pays, tous bien plus intégrés qu’au moment du SRAS en 2002, sont touchés à des moments différents. Chaque économie est contrainte par la dynamique globale et par son propre cycle économique.
Même si la situation venait à s’éclaircir et les incertitudes à s’atténuer, le retour à la normale serait long pour chaque pays et la coordination globale provoquée par la globalisation de l’activité serait encore plus longue à mettre en œuvre.
Ce le sera d’autant plus qu’il n’existe pas de coordination des politiques économiques à l’échelle internationale. De ce point de vue, la dynamique globale est beaucoup moins homogène qu’en 2009 après le choc Lehman. Il est difficile d’imaginer et d’anticiper un G20 équivalent de celui de Londres en 2009 durant lequel d’importantes décisions collectives avaient été prises pour favoriser le retour de la croissance.
L’ampleur du choc reste néanmoins conditionnée par la longueur du confinement. Chacun a envie de faire l’hypothèse que cette période de quarantaine sera limitée et qu’elle pourra être levée bien avant l’été. C’est implicitement l’hypothèse dans les mesures de politique économique prises. Cependant, si la question sanitaire ne trouve pas de solution dans les prochaines semaines, le coût de la crise s’allongera.
Actuellement il est fait généralement l’hypothèse que le confinement pourrait s’achever à la fin avril en France. Pourtant, les modèles sur les épidémies suggèrent que la période de confinement pourrait être plus long, tant qu’il n’y aura pas de vaccin ou d’immunité collective. Ces modèles indiquent que le nombre de contaminés pourrait se stabiliser tant que le confinement est effectif. L’arrêt du confinement se traduirait par une reprise à la hausse du nombre de contaminés.
C’est la difficulté de cette période marquée par une forte incertitude sur le moment où la situation pourra enfin s’améliorer dans la durée. Tant que la fin de l’épidémie ne sera pas connue avec certitude, des mesures contraignantes resteront à l’œuvre. L’économie ne retrouvera pas une allure normale avant un bon moment.
La crise sera sévère et l’activité se contractera
Les ruptures observées dans les systèmes productifs rendent difficiles les estimations sur la trajectoire de l’économie. Il y a plusieurs éléments à prendre en compte.
Le premier est que les chiffres d’activité du premier trimestre sont rapidement révisés à la baisse. On a vu pour la France la révision de la croissance à 0.1% contre 0.3% précédemment pour la Banque de France. Le chiffre pourrait être plus faible au voisinage de 0% car c’est le mois de mars qui a été le plus affecté. L’interrogation majeure porte sur le 2ème trimestre. Les estimations sont dégradées partout puisque les usines se sont arrêtées (Renault, Peugeot et d’autres) et que les avions restent sur le tarmac. Le chiffre chinois sur la production industrielle de février doit permettre de caler les attentes. On doit s’attendre à des replis de l’ordre de -2 à -10% en rythme annualisé au cours des 3 mois du printemps. Ce n’est pas précis mais on ne dispose pas encore d’information pertinente.
Les seuls éléments disponibles sont le repli très profond de l’enquête ZEW en Allemagne et des enquêtes de la Fed de New York et de celle de Philadelphie.
Le choc brutal d’une épidémie a été estimé à partir de modèles et ils suggèrent que sur l’ensemble de l’année, l’impact pourrait être une contraction du PIB entre 2 et 6% selon les hypothèses faites sur le confinement et sur les comportements de demande.
Si l’épidémie touche la population mais qu’elle ne nécessite pas de confinement, alors le repli de l’activité pourrait être de 1 à 2% sur une année entière. Des personnes ne peuvent pas travailler et la fonction de production de l’économie est perturbée dans la durée. Un trimestre de repli, même sévère, pourrait ensuite être compensé par un ajustement progressif.
Si l’hypothèse de confinement est retenue et que les écoles sont fermées quelques semaines, alors la fonction de production de l’économie est perturbée dans la durée. Le repli de l’activité pourrait être de 3 à 4% et cela pourrait être allongé en fonction de la durée du confinement.
La fin du confinement sera suivie d’une phase d’amélioration de l’activité. La question est celle de l’allure de la demande qui y sera associée. Au regard de l’incertitude provoquée par la crise, la demande ne progresse pas aussi vite qu’attendue et limite l’ampleur du rebond.
L’économie de la zone Euro, compte tenu du confinement de la France, de l’Italie et de l’Espagne sera en récession en 2020, probablement autour de 2%. Les Etats-Unis aussi seront en récession. La Californie à l’arrêt avec le confinement va peser très lourd dans la dynamique conjoncturelle américaine. Je fais l’hypothèse d’un chiffre autour de 2% également.
Face à une contraction temporaire de l’activité économique, les politiques économiques doivent limiter les risques sur le système économique. Comme le système de production est à l’arrêt, il ne peut être question de relancer la demande par des dépenses supplémentaires. L’objectif de la politique économique est de maintenir en ordre de marche l’appareil productif.
Des politiques budgétaires très accommodantes
pour passer le cap
En zone Euro mais aussi au Danemark, la politique économique des gouvernements est de tout faire pour passer le “trou d’air” de la façon la moins périlleuse possible. En effet, dans une situation d’arrêt de l’activité, l’ensemble du système productif est à risque. Il ne faudrait pas qu’en raison de cette situation particulière, les entreprises fassent faillites ce qui pénaliserait l’économie dans la durée et l’empêcherait de repartir rapidement à la fin de l’épidémie.
Les mesures typiques dans ce type de situation sont celles prises en France avec le report de paiement des charges et des impôts, la garantie des prêts de trésorerie aux entreprises et la prise en charge par l’Etat du chômage partiel. Les premiers éléments ont pour objectif de limiter les déséquilibres au sein des entreprises afin qu’elles ne soient pas immédiatement pénalisées alors que le chiffre d’affaire s’effondre. On doit permettre aux entreprises de retenir leur souffle le temps de cette passe difficile. La prise en charge par l’Etat du chômage partiel permettra aux entreprises de conserver leurs emplois sans être obligées de licencier. En cas de reprise, les compagnies auraient alors la capacité de repartir immédiatement sans avoir à mettre en œuvre un processus coûteux d’embauche. C’est la solution qui avait été adoptée en Allemagne en 2009 pour 1.5 millions de salariés et cela avait été efficace.
L’Allemagne n’a pas exactement la même stratégie. Il n’y a pas eu de confinement mais l’économie est très affectée et le gouvernement est prêt à soutenir l’activité et les entreprises même si cela se traduit par un renoncement temporaire aux exigences budgétaires habituelles.
La relance aux Etats-Unis risque de manquer d’efficacité en raison du type de la crise qui se caractérise par une contrainte forte sur l’offre. Distribuer du pouvoir d’achat n’est pas très efficace surtout si la Californie n’est pas le seul état américain à adopter une stratégie de confinement. Des mesures en passe d’être adoptées par le Congrès permettraient de lisser la situation des entreprises mais sans que celles-ci aient une dimension proche de celles prises par les Européens.
La conséquence immédiate de cet environnement est une hausse spectaculaire des déficits publics. Au regard des attentes sur le profil de l’activité et en raison des engagements de dépenses des gouvernements, ceux-ci vont aller probablement au-delà de 5% du PIB. Les dettes publiques vont croître très rapidement.
Des politiques monétaires qui prennent
en charge le coût de l’ajustement
Les politiques monétaires vont avoir un rôle essentiel en complément de ce qui est mis en œuvre par les Etats. Elles ont toutes adopté des stratégies similaires visant à limiter les coûts pour faciliter le passage de la période de transition.
La première mesure est de réduire le coût des financements. La Fed a ainsi effondré son taux de référence dans le range [0%; 0.25%], la Banque d’Angleterre a ramené son taux d’intervention à 0.1% alors qu’en Zone Euro les taux étaient déjà très bas (cela n’a pas empêché les autorités monétaires de la zone Euro d’abaisser le coût des opérations bancaires vis-à-vis des entreprises).
Le deuxième type de mesure est la réactivation ou l’accentuation des opérations d’achats d’actifs. La Fed a ainsi indiqué qu’elle achèterait 500 milliards de T Bonds et 200 Mds de titrisation, la Banque d’Angleterre relance son QE pour un montant de 200 Mds de sterling et la Banque du Japon aussi accentue ses achats. Le plus intéressant est ce qui se passe en zone Euro. La BCE a indiqué le 12 mars accroître son QE de 120 Mds jusqu’à la fin 2020 (en plus des 20 Mds mensuels et du réinvestissement des revenus de son portefeuille). Le 18 mars, elle a décidé d’urgence de la création d’un nouveau programme (PEPP) de 750 Mds sur des actifs qui sont ceux du quantitative easing.
L’opération de la BCE traduit la volonté de la banque centrale de se mettre en face des gouvernements qui vont émettre des montants considérables de dette publique. Cela permettra le maintien de taux d’intérêt bas pour l’ensemble de la zone Euro.
Le montant des opérations mises en œuvre par la BCE sera de l’ordre de 1000 Mds pour 2020. La banque centrale se substitue au marché sur la dette publique. Cela peut être un facteur de stabilisation du marché des actifs risqués en poussant les investisseurs vers ces actifs.
Conclusion
La crise épidémique est associée à une crise sanitaire de grande ampleur dont les conséquences, sans intervention des Etats, seraient catastrophiques. Le rôle des Etats est d’en limiter l’ampleur et d’en dissiper le coût dans la durée.
En Chine, en Europe et désormais en Californie, le confinement est l’arme adoptée par les autorités afin d’éviter une contagion du virus. Le coût associé est néanmoins très élevé car il se traduit par l’arrêt de l’activité dans de nombreux secteurs. La croissance reculera fortement dans de très nombreux pays.
Les politiques économiques ont donc pour objectif de passer cette période difficile sans détruire les fondements des économies.
La question majeure néanmoins reste celle de la durée de la crise. Sera-t-elle suffisamment courte pour que les dommages soient limités et que l’économie puisse retrouver rapidement ses repères ? Ou sera-t-elle plus longue au risque de fragiliser la capacité de l’économie à repartir de l’avant ?
Le document en format pdf est disponible