La pandémie est un choc économique plus terrible que la guerre. Si le choc peut être de même ampleur, la trajectoire en sortie d’épidémie est forcément plus lente. Les années 2020 ne ressembleront pas, en France, aux années folles.
La guerre est un choc majeur sur l’économie. L’activité recule de façon spectaculaire. Sur le graphe on constate effectivement que durant les deux guerres mondiales, en grisé, le niveau de l’activité a chuté de façon très importante. Au regard des anticipations à -10 ou -15% concernant l’évolution du PIB français en 2020, il est tentant de vouloir faire un parallèle entre les deux types de chocs (ces chiffres sont ceux après la publication de l’estimation du PIB français au T1 (-6%) par la Banque de France).
En effet, sur la période, il n’y a pas de choc aussi sévère. Même dans les années 1930, un choc annuel de cette ampleur n’avait pas été observé.
Durant une guerre, le fonctionnement de l’économie est bouleversé. En temps de paix, l’objectif premier est de faire des profits, en temps de guerre, l’objectif est de produire le matériel nécessaire pour que la guerre puisse être gagnée. La réflexion est du même ordre lors d’une pandémie. L’objectif doit être de maintenir l’économie à flots pour qu’elle puisse repartir rapidement à l’issue de la pandémie.
Dans les deux cas il y a une mobilisation considérable pour satisfaire à l’objectif. La dette publique augmente toujours plus et les banques centrales sont prêtes à dévier de l’orthodoxie pour faciliter le financement de l’économie.
Cependant, entre les deux, la logique du temps n’est pas la même. Dans le cas d’une guerre, il faut mettre les moyens pour l’emporter le plus rapidement possible. Dans une pandémie, il faut mettre les moyens pour maintenir l’économie à flots dans la durée.
Sur le plan économique, il y a deux différences majeures. La première est que la pandémie ne détruit pas le capital productif alors que la guerre le fait. La seconde est que l’on sait de façon formelle qu’une guerre est terminée. On ne sait pas quand s’achève une épidémie parce que les comportements sont durablement affectés. Ce sera au moins le temps du maintien de la distanciation sociale dans les économies développées.
Pendant une guerre, le capital productif est détruit ou au moins très endommagé. Cela provoque après un besoin de reconstruction validant ainsi le Plan Marshall de l’après seconde guerre mondiale. Il faut reconstruire les usines, les bureaux, les commerces et les infrastructures de transport pour que l’économie puisse retrouver le chemin de la croissance. De tels investissements initient un cycle de productivité qui irradie dans l’ensemble de l’économie, permettant d’inscrire l’économie sur une trajectoire durablement haussière.
Une telle destruction n’existe pas lors d’une pandémie. Les usines existent toujours, elles peuvent être obsolètes mais elles ne sont pas à reconstruire. Les autoroutes ne sont pas détruites et les ponts de chemin de fer n’ont subi que l’usure du temps. Le cycle de productivité n’existe pas en sortie de pandémie.
Dès lors, un plan Marshall n’est pas pertinent puisque le capital est toujours là.
Néanmoins, ce capital, si la pandémie dure, est en partie obsolète puisque durant le temps de l’épidémie et du confinement, l’effort d’investissement a été nul. Cela veut dire qu’après une pandémie, il n’y a pas besoin de reconstruire le capital mais l’économie a perdu en efficacité (cela peut d’ailleurs provoquer des problèmes de soutenabilité de la dette (voir ici).
En sortant de guerre, la mobilisation de la reconstruction provoque un choc positif sur l’accumulation du capital, créant une dynamique forte sur la productivité. A la sortie d’une pandémie rien de tel. On ne peut donc pas s’attendre à ce que l’économie retrouve spontanément une allure qui est celle des périodes d’après-guerre. Cela veut dire que si l’on souhaite redonner de l’efficacité à l’économie c’est par le biais de l’investissement public que ce doit s’opérer.
La pandémie a des effets psychologiques importants puisque l’on ne sait qu’avec beaucoup de retard que celle ci est terminée. En outre, les comportements sont affectés par la pandémie. Il n’y a pas la coordination que l’on retrouve à la fin de la guerre lorsque le traité de paix est signé et qu’un plan d’investissement et de reconstruction est signé.
Généralement, en sortie de pandémie, les performances économiques sont médiocres pendant longtemps alors qu’en sortie de guerre, le coup de fouet permet de retrouver rapidement un essor important. Les années 1920 ou les années 1950 sont des périodes de forte expansion dans la plupart des pays européens.
La divergence des comportements en sortie de guerre et de pandémie est bien montrée dans un article d’Òscar Jordà, Sanjay R. Singh et Alan M. Taylor: “Longer-run economic consequences of pandemics”
Les auteurs montrent qu’il y a vraiment des comportement très différents de l’économie selon que l’on sort d’une guerre ou d’une pandémie. La courbe bleue est l’allure du taux réel en sortie de pandémie, traduisant une dynamique macroéconomique médiocre alors que la courbe rouge reflète la sortie de la guerre avec une reprise forte et un cycle de productivité très porteur pour l’ensemble de l’économie.
Leur période de référence est celle qui vient après la peste noire de 1347 à 1353. Ils dénombrent 15 pandémies depuis cette date dont la mortalité a été supérieure à 100 000 personnes dans le monde.
La sortie de pandémie sera longue
Actuellement, les mauvaises nouvelles cycliques s’accumulent. Les chiffres américains sur l’emploi sont inquiétants et le PIB français a reculé de 6% au premier trimestre selon la Banque de France.
Est ce que le profil actuel s’inscrit dans sa trame historique ou est ce que cette fois ci ce sera différent ?
Pour répondre à cette question on part de deux observations: la première est que depuis le début des années 80, l’économie mondiale a bâti un modèle fondé sur les échanges. On dispose d’une économie globalisée avec une répartition de l’activité qui a été plutôt efficace. Selon la Banque Mondiale, le taux de pauvreté n’a jamais été aussi réduit. De nombreux pays, pas seulement la Chine, ont été intégré à l’économie mondiale et ont été tiré vers le haut par ce phénomène. Cela veut dire que face à cela les entreprises de taille mondiale se sont développées.
Le deuxième point est que les économies vont rester contraintes par la distanciation sociale qui altèrera durablement les comportements.
Aujourd’hui, en raison de la crise sanitaire, les échanges se sont effondrés. Les chaines de production intégrées à l’échelle mondiales ne fonctionnent plus. Les produits dont l’approvisionnement est global ne peuvent plus être fabriqués et les productions dont le marché est global n’ont plus de raison d’être produites.
Les signaux enregistrés sur les échanges sont négatifs, le commerce mondial a très certainement reculé en mars. Même en Europe, les mouvements de personnes ne se font plus, loin s’en faut, avec la fluidité qui était constatée dans un passé récent.
En conséquence, dans la reprise de l’économie mondiale, il faudra que les frontières s’ouvrent à nouveau, que les espérances d’échanges reprennent pour que l’activité redémarre. Ce redémarrage dans les usines peut être très long à coordonner.
Il faut par exemple 4 millions de pièces pour fabriquer un Airbus A380. Elles sont produites par 1 500 compagnies dans 30 pays dans le monde. Cela demande à la fois une très grande coordination mais aussi de la possibilité de construire ces avions parce que le marché existe à nouveau car les frontières ont été ré-ouvertes.
Le modèle global a changé, au moins temporairement. On ne peut plus attendre que le monde aille bien pour aller mieux. Cela veut dire qu’il faut localement retrouver une dynamique plus autonome. Ce sera long parce que les entreprises globales ne pourront plus déployer une activité aussi importante que par le passé (comment évoluera le Sud-Ouest français si Airbus met beaucoup de temps à repartir?). En outre, la dynamique interne ne va pas retrouver rapidement la dynamique antérieure. La distanciation sociale va faire partie de nos comportements encore un bon moment tant qu’il n’y aura pas de vaccin ou d’immunité collective. Le déconfinement pourra être mis en œuvre mais avec toujours la nécessité de la distanciation sociale et la menace d’une reprise de l’épidémie. En Europe, en outre, les frontières se sont fermées. La dynamique des échanges restera confinées tant que ces frontières resteront fermées. A quel moment une coordination pour l’ouverture des frontières aura-t-elle lieu ?
Le choc subi par les économies a fait reculer l’activité d’une ampleur jusqu’ici inconnue en dehors des périodes de guerre, au moins en France. Cela se traduira par une reprise lente car le modèle de l’économie mondiale était porté par les échanges. Les échanges sont désormais très réduits et les entreprises mondiales sont contraintes par ce phénomène. Il faudra, au moins pour un temps, reconstruire les économies en mode local car le déconfinement à l’échelle international prendra un temps que l’on ne peut pour l’instant pas estimé.
Les années folles après la première guerre mondiale avaient bénéficié d’une croissance forte et frivole. Un siècle après, la frivolité a disparu.