La dynamique du marché du travail en France mérite que l’on s’y arrête car elle peut apparaître contre-intuitive au premier abord. Ainsi, le taux de chômage, à 7% au deuxième trimestre 2020, est il à son plus bas niveau depuis le premier trimestre 2008 alors que le PIB a chuté de 13.8% sur la même période. Dans le même temps, l’emploi sur ces mêmes mois du printemps ne recule que de 0.6%. Il n’y a pas de mystère, ni de complot derrière ces évolutions. Il est, cependant, important de comprendre pourquoi les indicateurs tant suivis du marché du travail ont une allure aussi particulière alors que l’économie française n’a jamais connu une telle contraction de son activité en temps de paix.
Il y a deux point à éclairer. Le premier porte sur le schéma de la politique économique et son impact sur l’évolution de l’emploi et le second porte sur la méthodologie d’une enquête trimestrielle.
1- Le schéma sous-jacent à la politique économique
La politique économique a eu deux contraintes nouvelles avec la crise sanitaire: la première était de stopper la contagion de l’épidémie en réduisant au maximum les contacts et interactions entre les personnes. C’est le confinement. La deuxième a été de limiter l’impact de cet arrêt de l’activité sur l’emploi.
A court terme, l’emploi et l’activité évoluent selon une dynamique similaire. Dès lors prendre le risque d’une baisse de l’activité de 10% c’est aussi prendre le risque d’une baisse de l’emploi de 10%. Pour éviter un impact social catastrophique, la mise en place par l’Etat du chômage partiel permet d’éviter une telle situation. La hausse du chômage partiel, financé par l’Etat, doit compenser la baisse de l’emploi provoqué par le repli temporaire de l’activité. La hausse du chômage partiel est l’évolution en miroir de la baisse de l’emploi résultant du repli de l’activité.
Si tout se déroule bien, l’impact sur l’emploi effectif est nul puisque les personnes en chômage partiel conservent leur emploi (l’idée du chômage partiel est de pouvoir réagir très vite lors du redémarrage de l’activité mais c’est surtout d’éviter les coûts de licenciement lorsque l’activité baisse et les coûts d’embauche lorsqu’elle reprend. (coûts qui ne sont pas que pécuniaires)).
Dans ce schéma, l’emploi en violet sur le graphe est stable puisque la baisse de l’activité est compensée par la hausse du chômage partiel.
Cela n’a pas été le cas parce qu’au premier trimestre, la mise en place du chômage partiel n’a pas parfaitement coïncidé avec le démarrage du confinement. Et puis aussi parce que la dynamique de l’économie ne correspond pas point par point avec le schéma idyllique présenté. Il y a malgré tout des entreprises qui ferment et des entreprises qui licencient. Cependant, ce schéma reste la bonne explication de la faible baisse de l’emploi au deuxième trimestre. (voir ici)
2 – Une question méthodologique
L’évolution du taux de chômage est généralement cohérent avec celle de l’activité. On observe sur le graphe que l’activité mesurée sur l’axe horizontale et le taux de chômage sur l’axe verticale ont une allure similaire. Lorsque le taux de croissance de l’activité augmente, le taux de chômage baisse (et inversement).
Dès lors, le repli de l’activité de -5.7% sur un an au premier trimestre 2020 et de -19% au deuxième aurait dû se traduire par une hausse vertigineuse du taux de chômage. Il n’en a rien été puisque sur les trois premiers mois de l’année le taux de chômage a baissé de 0.3% et sur les mois du printemps de -0.7% à 7% en France métropolitaine.
La raison est technique et je l’expliquais ici.
Pour être considéré comme chômeur au sens du Bureau International du Travail (BIT), il faut être sans emploi, être en recherche active au cours des quatre dernières semaines et disponible dans les deux semaines pour prendre un emploi.
Ces conditions ne fonctionnent pas lorsque l’économie est en confinement. La recherche active n’a pas de sens lorsque des pans entiers de l’économie sont à l’arrêt. Être disponible dans les deux semaines pour occuper un emploi n’est pas opérationnel non plus lorsque l’économie ne fonctionne pas. Dès lors le nombre de chômeurs pendant la période de confinement s’est effondré.
L’Insee calcule ainsi que pendant cette période très particulière, le taux de chômage est tombé à 5% dans le courant du mois d’avril. A la fin du confinement, les comportements se normalisent et les allures sont cohérentes avec ce que l’on a l’habitude d’observer.
Cependant, le confinement a duré presque un mois et demi au deuxième trimestre. Dès lors même si après le déconfinement les allures sont normales, le chiffre moyen est affecté par les 6 premières semaines du trimestre. C’est pour cela que le taux de chômage a baissé à 7%, en moyenne, sur les 3 mois du printemps.
Sur les données hebdomadaires utilisées par l’Insee, le taux de chômage au mois de juin est de 8.1%. En données mensuelles, le taux de chômage a la même allure que toutes les séries mensuelles: un fort repli en avril puis un rebond. Ici le fort repli est lié à la méthodologie évoquée ci dessus.
L’ajustement du marché du travail est donc partiel et d’importantes incertitudes persistent.
1 – Dans le schéma présenté plus haut, il est fait l’hypothèse que l’activité va revenir sur sa tendance à la fin et donc que l’emploi se calera sur cette même tendance. C’est probablement excessif car l’économie pourrait ne pas revenir sur sa tendance aussi rapidement qu’attendu. Dans ce cas, la situation macroéconomique, moins dynamique qu’attendu, provoquerait un ajustement à la baisse du marché du travail. L’emploi d’équilibre serait plus faible que ce qu’il aurait été dans le cas de référence.
Si cet écart résulte d’un manque de dynamisme de l’économie en raison de faillites ou de l’incapacité de certains secteurs à retrouver le chemin de la croissance, parce que l’économie a changé, alors le processus de chômage partiel ne s’applique plus. et l’emploi diminue.
2 – Dans certains secteurs, l’activité subit encore directement les contraintes de l’épidémie. Pour eux, l’Etat a transformé le mécanisme de chômage partiel en une “Activité Partielle de Longue Durée” afin de pouvoir continuer à maintenir l’emploi dans ces secteurs tout en financement les salariés. Dans la durée, on ne peut pas exclure que certaines entreprises fassent faillites si la croissance tendancielle est plus faible qu’avant la crise sanitaire..
3 – Il faut donc répondre à deux questions majeures: comment faire sur le marché du travail lorsque l’économie change et que les secteurs porteurs ne sont plus les mêmes qu’auparavant? Ce schéma classique du cycle est néanmoins accompagné ici d’un choc négatif sans précédent sur l’activité ce qui ne facilite pas l’ajustement du marché du travail. Les secteurs les plus dynamiques seront face à des secteurs qui auront été profondément pénalisés par le choc résultant de la crise sanitaire. Ce grand écart est exceptionnel, créant des distorsions qui fragilisent la dynamique de l’emploi. L’autre question est celle de la persistance qui pénalise les secteurs d’activité encore dépendant de la crise sanitaire. Ce phénomène s’inscrit dans la durée et ne facilite pas le retour à l’équilibre du marché du travail.
L’allure du marché du travail sera donc la clé de l’expansion des prochains mois, ceux qui permettront de se caler sur une situation plus confortable dans la durée. Si les ménages sont rassurés par la trajectoire du marché de l’emploi, le matelas d’épargne accumulé pourrait alors se réduire et l’économie retrouver sa robustesse.