- Le rattrapage du printemps 2021 montre la résilience des économies des pays développés et l’aide efficace des politiques économiques pendant la crise sanitaire.
- Pour autant, cette phase enthousiasmante nous renseigne peu sur l’après crise.
- On peut imaginer trois allures possibles. La première est celle, souvent évoquée, de retour aux années 1920. La croissance et l’emploi sont forts dans la durée.
- La deuxième trajectoire possible est le retour à la croissance d’avant crise. C’est le scénario habituelle de sortie de récession.
- Le troisième profil prend en compte la nécessité de lutter contre le changement climatique. Le risque est alors d’écorner la croissance et l’emploi.
- Du choix de la trajectoire dépendra l’allure des politiques monétaires. Le risque est une stratégie monétaire accommodante pour très longtemps.
L’enthousiasme des ménages et la reprise de l’activité par les entreprises alimentent l’optimisme sur la croissance et l’emploi. Ce n’est pourtant que l’image inversée des inquiétudes de l’année dernière lorsqu’au deuxième trimestre 2020 les interrogations sur l’avenir se lisaient partout.
Le rebond actuel, s’il est plus plaisant que la baisse d’activité de l’an dernier, ne nous renseigne cependant pas beaucoup sur la tendance de la croissance après la crise sanitaire.
Dans cette dynamique où le choc positif suit le choc négatif, la politique a eu un rôle majeur pour limiter, in fine, l’impact permanent de la pandémie. L’objectif était de mettre en place les mesures nécessaires pour revenir rapidement sur la tendance antérieure après la fin de la crise épidémique et éviter les effets d’hystérèse.
La méthode a été préventive en Europe avec la mise en place d’un filet de sécurité sur l’emploi dès le départ, principalement sur l’emploi salarié. L’Etat s’est substitué en partie aux entreprises pour financer les emplois.
La méthode a été curative aux Etats-Unis puisque l’ajustement a d’abord eu lieu dans le secteur privé sur le marché du travail (rappelons les 20.7 millions d’emplois perdus en avril 2020 dont 19.8 dans le privé). L’Etat est ensuite intervenu pour réparer les conséquences du choc négatif.
Les modes d’intervention n’ont pas été similaires mais les montants engagées ont été conséquents de part et d’autre de l’Atlantique. Les politiques économiques se sont ajustées aux façons de faire de chaque région. On note cependant, que l’interventionnisme de l’Etat est désormais un fait majoritaire dans l’esprit des américains.
Avec les chiffres et les enquêtes dont on disposera pour le deuxième trimestre et compte tenu du rebond très marqué qui devrait se lire dans les comptes nationaux, le niveau du PIB en 2021 ne devrait pas être trop éloigné du niveau moyen observé en 2019. Une première étape du rattrapage sera franchie.
En l’absence de 4ème vague épidémique, la deuxième partie de l’année devrait être robuste. Elle permettrait alors dans la plupart des grandes économies d’avoir un acquis de croissance élevé pour 2022.
La question qui doit tarauder les économistes est celle du profil de l’économie après cette phase de rattrapage.
On peut faire quatre hypothèses de trajectoire.
La première reposant sur l’idée d’un renouvellement de la croissance.
La deuxième sur un retour à l’allure d’avant crise sanitaire.
La troisième est plus pessimiste si l’on fait l’hypothèse de la mise en œuvre rapide des mesures de lutte contre le changement climatique.
Vers un renouveau de la croissance ?
Dans l’hypothèse du renouveau de la croissance, la référence est généralement celle des années 1920 après la première guerre mondiale et après la grippe espagnole.
Cette période connue sous le nom de la “Belle Epoque” est caractérisée par une forte croissance de l’activité, un niveau d’emploi élevé et une progression rapide des revenus.
C’était une période perçue comme celle où tout est possible.
Le parallèle avec les années 1920 est excessif. La raison principale est que le choc de la première guerre mondiale sur le niveau du PIB avait été beaucoup plus marqué que lors de la pandémie de 2020.
Entre le point haut de 1912 et le point bas de 1918, le PIB en France avait reculé de près de 40%. Le pays était alors en partie détruit avec la nécessité de reconstruire les logements, les infrastructures et les usines. Cette reconstruction faite sur financements américains a effectivement créé des effets multiplicateurs considérables sur l’emploi et les revenus. Le PIB est revenu à son niveau de 1912 en 1923. Sur la décennie 1918-1928, le taux de croissance annuel moyen était voisin de 7%.
L’insouciance de la Belle Epoque repose sur cet environnement économique très particulier.
On peut souhaiter une telle trajectoire pour l’activité et les revenus mais il parait prématuré de tabler sur une allure de ce type car il faudrait trouver une origine à ce rattrapage, une source d’impulsion. L’investissement en infrastructure qui est dans les plans de relance américain et européen n’a pas le caractère d’urgence ni l’aspect multidimensionnel d’une reconstruction d’après guerre. Le parallèle est donc excessif.
La crise sanitaire et ses contraintes appellent à un renouvellement de la croissance potentielle. Le choc sanitaire a provoqué une recomposition de la structure de la croissance en fonction des chocs sectoriels dont les impacts seront persistants (voyages, hébergement, tourisme par exemple) mais aussi des souhaits de rapatriement d’activité (pharmacie par exemple). En dépit des vertus de la dynamique à la mode sur la destruction créatrice, les expériences passées ne suggèrent pas une accélération de la croissance en sortie de crise. On constate même que les chocs successifs depuis la seconde guerre mondiale au sein des pays développés se sont généralement traduits par une érosion de la croissance.
Une recherche de Blanchard, Cerutti et Summers de 2015 montrait que, sur 122 épisodes de récessions dans 23 pays développés depuis les années 1960, la période cette érosion de la croissance.
Sur un autre plan, le premier choc pétrolier a obligé à repenser la structure de l’activité économique. Le prix du pétrole rendait alors plusieurs secteurs d’activité, non compétitif et non profitables. La recomposition de la structure de l’économie s’est traduit par une sortie relative de l’activité industrielle au bénéfice des services. Une conséquence est le ralentissement du taux de croissance. Doit on imaginer le retour vers une économie plus industrielle pour trouver une impulsion de productivité et de croissance ? L’opuscule d’Anaïs Voy-Gillis et Olivier Lluansi, “Vers le renaissance industrielle” apporte des pistes intéressantes à explorer pour favoriser un renouveau territorial et réduire la polarisation sociale. Celles-ci pourraient passer par l’industrie avec potentiellement un effet macroéconomique positif.
Un cas particulier est celui où le PIB rejoint dans un temps fini sa tendance d’avant crise sanitaire. Le choc sanitaire a eu un effet négatif sur l’activité et l’emploi. La convergence vers la tendance d’avant crise suggère une accélération de la croissance le temps de revenir sur les conditions d’avant la pandémie. Cela se traduirait alors par un taux de croissance plus rapide, au moins le temps de la convergence, que celui observé avant la crise.
On peut prendre le cas des Etats-Unis et la convergence du PIB US vers sa tendance calculée sur la période T2 2009 – T4 2019. Sur ce cycle, le taux de croissance moyen par trimestre est de 0.57% (taux non annualisé).
Pour converger vers la tendance à l’horizon de la fin 2025, comme décrit dans le graphe, il faudrait une croissance moyenne de 0.75% par trimestre.
Un schéma similaire est observable en France où le rythme de rattrapage serait de 0.7% par trimestre alors que la tendance d’avant crise est inférieure à 0.4%. On observe des situations similaires sur le marché du travail.
La convergence vers la tendance antérieure demande donc des efforts considérables et un rôle forcément actif de la politique économique. Mais ces chiffres très forts suggèrent une probabilité limitée un coût permanent de la crise sanitaire, qui serait mesuré comme l’écart entre le PIB et sa tendance.
Retour au taux de croissance tendanciel
La deuxième hypothèse est celle selon laquelle, le PIB retrouve la pente de la croissance qui était celle constatée avant la crise sanitaire. Le choc a provoqué une baisse de l’activité et l’activisme de la politique économique permet de retrouver le rythme de croissance d’avant la crise mais sans revenir sur la tendance d’alors. Le coût de la crise est permanent puisque jamais on ne revient dans le cadre qui prévalait auparavant.
Lors de la récession de 2008/2009, par exemple, le taux de croissance est très vite revenu sur le niveau moyen d’avant crise. Il n’y a pas d’effet de rattrapage durable. Le tableau en annexe présente les métriques autour de la crise financière.
La croissance conditionnée par le changement climatique
La troisième hypothèse est celle qui intègre la nécessité de converger plus rapidement que ce qui est fait jusqu’à présent vers la trajectoire garantissant la neutralité carbone à l’horizon 2050.
Il y a au moins deux points importants à souligner.
Le premier est la convergence vers les objectifs de réduction des émissions de Gaz à Effets de Serre (GES). Il faut d’abord réussir à converger vers les objectifs fixés à 2030 (-55% des émissions de 1990 pour l’UE) avant de réussir ceux à l’horizon 2050.
Dans le rapport annuel du Haut Conseil pour le Climat publié en juin 2021, et pour prendre le cas français, il est noté que la trajectoire suivie pour la réduction des émissions de GES est trop élevée par rapport aux objectifs fixés par la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC). La réalisation des objectifs obligera à une réduction plus rapide des émissions dans les prochaines années.
La France se targuant d’être dans les meilleurs élèves, ces réflexions ne se limitent pas au cas français. Sur le cas français spécifiquement, un décret de février 2020 reporte sur la période 2024-2028 l’effort majeur à faire pour réduire les émissions de GES limitant l’effort pour la période 2019-2023.
La lutte contre le changement climatique va devenir plus exigeante pour tous et modifier les repères à l’échelle microéconomique.
Le deuxième point important est la rénovation et la mise en place d’une fiscalité carbone plus efficace à partir de 2025 tant à l’échelle française qu’européenne. L’objectif est de fixer un prix du carbone suffisamment élevé pour forcer les comportements à changer et pour favoriser les investissements et les innovations qui faciliteront la transition énergétique. Ce nouveau cadre qui doit encore être défini et mis en place va modifier en profondeur la formation des prix.
Il y a plusieurs questions associées. les mesures prises jusqu’à présent paraissent insuffisantes au regard des objectifs fixés et des exigences de la neutralité carbone à l’horizon 2050 en Europe et aux USA et à 2060 en Chine. Il faudra à un moment mettre en œuvre des stratégies suffisamment fortes pour tenir les objectifs définis.
Cela passe par des contraintes plus marquées pour les entreprises, sur le transport ou encore sur le bâtiment et l’immobilier. Il faudra certainement intervenir de façon plus importante sur les automobiles ne respectant pas les normes, ou pousser à la réduction des passoires thermiques dans l’immobilier.
La vitesse à laquelle ces mesures seront adoptées un peu partout dans le monde aura pour conséquence de créer des tensions sociales puisque le risque des bâtiments souffrant de la caractéristique de “passoire thermique” est de voir la valeur de ceux ci baisser de façon importante si aucune rénovation n’est effectuée. Le risque social vient de ce que ceux qui sont les plus pénalisés par ces mesures sont généralement ceux qui sont loin de leur emploi parce que l’immobilier y est moins cher mais pas forcément performant.
Le dernier aspect est celui de la mise en œuvre de la taxation carbone. Tous les économistes valident ca cadre. C’est une incitation forte pour réduire les émissions si le prix de la tonne de carbone est suffisamment élevé et s’accroît dans le temps. Cette taxe carbone est au cœur du rapport récent remis au Président de la République par Olivier Blanchard et Jean Tirole. S’il existe d’autres mesures dans le rapport, le point principal tient à cette taxation directe et à la taxation carbone aux frontières pour limiter les biais lorsqu’un produit veut rentrer sur le territoire européen alors que sa production n’est pas soumise à une contrainte carbone similaire.
En outre, est ce que cette taxation carbone sera suffisante pour converger vers la neutralité carbone en 2050 ? Il semblerait que ce soit une condition nécessaire mais pas forcément suffisante pour converger rapidement. Il faudra probablement agir plus directement.
Il y a dans la taxe carbone, l’idée selon laquelle, il sera possible de connaitre une croissance raisonnable tout en réduisant les émissions de GES. Une telle situation s’observe à l’échelle d’un pays (Suède, Danemark et quelques autres) mais pas à l’échelle mondiale. Au moins temporairement, la croissance pourrait être écornée.
L’autre remarque est que l’efficience énergétique ne fait pas tout. La croissance a gagné en efficacité énergétique mais le rythme d’amélioration n’est pas suffisant. Des innovations doivent être mises en place pour changer de régime si l’on veut croître et réduire les émissions carbone en même temps de façon significative.
Dans le rapport Blanchard – Tirole il est évoqué la nécessité d’inciter massivement à l’investissement et à l’innovation pour lutter contre le changement climatique. John Kerry, l’émissaire de Joe Biden sur le climat, expliquait dans un interview au Guardian que 50 % des baisses des émissions nécessaires pour parvenir à la neutralité carbone en 2050 viendront de technologies non encore découvertes.
Comment ne pas se demander s’il n’est pas trop tard pour concilier croissance et lutte contre le changement climatique ?
Ce qui nous intéresse ici est de suggérer que le respect des engagements dans la lutte contre le changement climatique va se traduire par un changement de cadre avec des contraintes et des risques plus élevés qu’aujourd’hui.
Les contraintes vont se faire plus fortes parce que l’opinion va aussi manifester son intérêt pour réduire l’ampleur du changement climatique. Les fonctions de production vont donc être profondément modifiées par rapport à celles existant jusqu’alors.
Associé aux contraintes et risques supplémentaires, il ne me paraît pas pertinent de penser que la croissance pourrait s’accélérer dans les années qui viennent. Chacun d’entre nous, salariés ou entrepreneurs devra s’adapter et la coordination ne sera pas nécessairement aussi efficace que par le passé.
C’est l’acceptation de cette rupture qui posera problème.
Allure des quatre trajectoires
- La première a un sur-ajustement par rapport à la tendance d’avant crise (1)
- La seconde converge rapidement par le bas vers cette tendance (2)
- La troisième allure progresse au même rythme qu’avant la crise mais à un niveau plus bas (3)
- La quatrième s’écarte par le bas de la tendance d’avant crise. Elle reflète le changement de modèle résultant des mesures d’urgence à mettre en œuvre pour lutter contre le changement climatique (4)
Elles sont représentées sur le graphe.
La trajectoire qui me parait la plus probable sera une combinaison des allures 3 et 4.
Par la suite, les innovations tant attendues permettront peut être de réfléchir différemment. Mais pour les années à venir et si les engagements sur la lutte contre le changement climatique sont respectés, cette combinaison me parait la plus pertinente.
L’importance de ces trajectoires pour les banques centrales
La dynamique macroéconomique est en phase de rattrapage. Les chiffres et les allures seront très robustes au cours des prochains mois. C’est par exemple ce qu’indiquaient les projections de la Commission Européenne pour 2021 et 2022. S’il n’y a pas de crise sanitaire supplémentaire, ce scénario parait pertinent.
Cependant, il est peu probable que l’épisode actuel de rattrapage nous renseigne sur la trajectoire sur laquelle l’économie des pays développés va se caler par la suite.
J’ai défini 4 trajectoires possibles avec, associée à chacune, une explication rationnelle.
C’est la trajectoire qui prendra forme à partir de la mi-2022 qui sera importante et qu’il faut commencer à anticiper.
Les banques centrales sont en première ligne dans l’appréhension de la nouvelle trajectoire. Leur politique monétaire actuelle dépendra des choix qui seront faits.
Si le scénario est très optimiste, elles auraient raison de durcir la stratégie monétaire rapidement. En revanche, si le choix retenu porte sur celui lié au changement climatique, les banques centrales devront maintenir le caractère accommodant de leur politique monétaire même si les facteurs immédiats pourraient les inciter à un autre choix.
Mon anticipation est que la nécessité de lutter contre le changement climatique sera de plus en plus forte. Les exemples sont quotidiens et la nécessité d’intervenir le plus rapidement possible doit désormais être inscrit dans toutes les politiques économiques, en France, en Europe et dans le monde.
Avec une trajectoire faible pour l’activité économique pour les années qui viennent, cela signifie une politique monétaire accommodante pendant longtemps et des politiques budgétaires actives pour compenser les effets négatifs sur l’activité et l’emploi.
Annexe
* * *
Ce post est disponible en format pdf