La politique industrielle doit être le support de la transition énergétique et de la convergence vers la neutralité carbone. Ce changement profond dans l’équilibre de la politique économique est aussi un moyen de rendre le politique et l’économique plus cohérents.
Le risque est que l’on demande trop à cette politique industrielle et que les règles qui seront définies, un peu partout dans le monde, limitent l’impact des signaux des marchés.
Un point important est que l’équilibre capital/travail va être altéré et pas forcément au détriment des salariés.
Les gouvernements ont la tentation de reprendre la main de la régulation macroéconomique. L’Inflation Reduction Act aux US ou le projet d’Industrie Verte en France en témoignent.
Les taux d’intérêt très bas depuis très longtemps ont réduit la capacité d’intervention des banques centrales alors que ce sont elles qui, depuis une quarantaine d’années, ont eu un rôle majeur dans la régulation du cycle économique. Le balancier a définitivement changer de sens avec la pandémie lorsque les gouvernements ont eu à faire face à un choc considérable les obligeants à intervenir massivement et à gérer la dynamique du cycle.
Une question à trois niveaux
La problématique est à trois niveaux et la solution passe toujours par la transition énergétique qui est à la fois un moyen et un but. Un objectif en raison des engagements pris lors de l’accord de Paris sur le climat, un moyen car c’est le support de la reconquête.
La problématique de premier niveau a une dimension conjoncturelle. Les gouvernements ont été fortement sollicités lors de la pandémie et pendant la crise énergétique en Europe. Pendant quelques mois, la solidité de l’activité et de l’emploi a été davantage conditionnée par l’action des gouvernements que par celle des banques centrales. C’est un changement fort qui redonne un rôle majeur aux Etats.
Le deuxième niveau est la nécessité de disposer d’une plus grande autonomie économique. La volonté de Washington de suspendre les transferts de technologies vers la Chine est une rupture. Il faut alors se donner les moyens de produire localement parce que, de fait, l’équilibre avec la Chine est durablement altéré. Le souhait des pays occidentaux est de ne plus être aussi dépendant de la Chine sur les produits de la transition énergétique.
La prime sur les véhicules électriques proposée par le Président Macron sera conditionnée par le bilan carbone de l’automobile en est un exemple tout la prime sur les véhicules assemblés aux USA dans le cadre de l’Inflation Réduction Act. Cela se traduit par le choix de réindustrialiser les économies occidentales pour faire face.
Cette mise à l’écart de la Chine s’est d’ailleurs renforcée avec l’arrivé de Joe Biden à la Maison Blanche puisque c’est l’ensemble de la filière des semi-conducteurs qui est banni et non plus certaines entreprises chinoise comme lorsque Donald Trump était aux commandes.
Cette question ressort aussi d’une dimension sécuritaire. A diverses reprises, la sécurité des démocraties a été mise en jeu notamment lors d’élections. Mais les inquiétudes portent aussi sur la sécurité des données. C’était aussi pour cela que Huawei ou plus récemment TikTok sont bannis totalement ou partiellement. Dans un monde où la donnée est essentielle, la sécurité de celle ci est devenu un enjeu. Il faut au sein des pays développés éviter que cela puisse être une source de fragilité par le biais d’outils technologiques qui ne dépendraient pas d’eux.
Le troisième niveau est la faiblesse des gains de productivité des pays industrialisés. Une inflexion avait été constatée après la crise financière, ce phénomène s’est accentué depuis la pandémie. C’est un vrai casse-tête car les gains de productivité, faire que 1+1 fait un peu plus de 2, conditionne la capacité à distribuer des revenus supplémentaires dans la durée. Ce phénomène est majeur pour des économies qui vieillissent. Il faut être capable de générer des revenus suffisamment attractifs pour inciter les jeunes à travailler et suffisamment importants pour payer les pensions d’une population plus nombreuse à la retraite.
La politique industrielle est perçue comme
la réponse à l’ensemble de ces questions.
L’Etat s’installe dans un rôle nouveau
L’Etat reprend un rôle qu’il avait endossé pendant la pandémie et la crise énergétique. C’est lui qui avait réussi à ne pas voir l’économie trop affectée dans la durée. Les règles qu’il avait définies ont été efficaces, pourquoi ne pas prolonger et renforcer ce nouveau cadre.
Cette légitimité nouvelle est aussi une revanche sur les grandes entreprises et les grands groupes financiers qui, chantres de la globalisation, avaient instillés et installés des règles auxquelles les gouvernements ont été soumis. On pense par exemple à la concurrence des pays sur la fiscalité des entreprises.
Il faut néanmoins définir une armature pour la mise en œuvre de ces nouvelles règles. Il faut proposer un projet qui justifie cette prise de pouvoir. La question climatique est le cadre parfait pour cela. Il y a un objectif clairement défini (+1.5 C au-dessus de la moyenne préindustrielle (1850-1900) dans l’Accord de Paris) et l’urgence nécessite un ordonnancement des changements à mettre en œuvre. Les gouvernements, forts de l’expérience de la pandémie et de la crise énergétique, considèrent que c’est leur rôle que d’en définir le schéma directeur.
Une bataille technologique
Dans la bataille pour la transition énergétique, il faut être capable d’autonomie, de ne pas dépendre du reste du monde sur les éléments nécessaires pour tel ou tel élément du changement. Il faut des batteries, il faut des semi-conducteurs, de l’hydrogène ou tout autre produit qui permettront de se caler sur la bonne trajectoire.
Cette stratégie valide le choix des Américains de ne plus vouloir dépendre des puces chinoises, elle est aussi la conséquence des pénuries constatées pendant la pandémie et par les contraintes d’offre lors de la sortie du confinement. La dynamique de l’économie avait alors été contrainte par la non-disponibilité de certains constituants de produits européens ou américains. Il faut pouvoir ne pas dépendre du reste du monde pour des productions appréhendées comme essentielles.
La question chinoise est alors encore plus importante qu’elle est associée à une rivalité politique avec les Etats-Unis. La dépendance pourrait être plus importante si elle traduit des objectifs politiques et pas simplement économique.
Cette nouvelle phase est en rupture par rapport au passé immédiat. L’échelle n’est plus celle du monde, le cadre n’est plus celui d’une allocation des ressources principalement orientée par les signaux de marché. Il correspond en revanche à ces manques évoquées et par la faiblesse des gains de productivité expliquée par la part moindre de l’industrie.
La réindustrialisation apparaît comme la solution, le moyen de faire face aux pénuries, à la dépendance et aux revenus qui progressent lentement. A l’industrie sont associés d’importants gains de productivité mais aussi la promesse d’une plus grande autonomie. Le monde se jette dans ce nouveau paradigme.
La politique industrielle doit définir des objectifs,
des règles pour y arriver et le mode de financement
de la stratégie ainsi définie.
Que doit faire la politique industrielle ?
L’objectif ultime est la neutralité carbone qui permettra de pas être trop éloigné de l’objectif défini par l’accord de Paris sur le climat
Ce qui va compter ce sont les règles pour y parvenir La décarbonation fait partie des objectifs intermédiaires. Il faut donc définir les moyens de réduire l’utilisation d’énergies fossiles.
Pour maîtriser le profil des émissions carbonées, il faut pouvoir contrôler l’origine de la carbonation. La réindustrialisation est un moyen de ce contrôle qui permet aussi de satisfaire aux besoins d’autonomie de la croissance et aux souhaits de sécurité dans la gestion des données
Définir une trajectoire pour les énergies renouvelables est une étape majeure pour disposer d’une production d’énergie non carbonée. Sur ce point, les européens ont beaucoup avancé puisqu’en 2022, la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables était supérieure à celle issue d’énergie fossile. Il faut aller plus loin car la demande d’électricité croît rapidement et devrait représenter 55% de la consommation finale d’énergie en 2050 contre 27 % actuellement selon RTE pour la France. Sur un autre plan, c’est une question majeure à l’échelle de la France en raison du vieillissement du parc nucléaire en attendant la réalisation des nouvelles unités promises par le President Macron (voir le post que j’avais écrit sur ce point)
La deuxième conséquence est la mise en œuvre de moyens pour satisfaire cet objectif de réindustrialisation Toute production a des contraintes d’approvisionnement. La production de véhicules électriques est ainsi conditionnée par la fourniture de batteries, de logiciels ou encore de semi-conducteurs. Comment réinternaliser ces production ?
Trois remarques sur ce point spécifique
- Il faut créer les conditions pour que la demande soit suffisamment robuste sur ces nouveaux produits. Si la réindustrialisation et la neutralité carbone sont des questions liées à l’offre et à la sphère de production rien ne se fera sans que la demande soit au cœur du processus. Il faut que les produits se vendent. C’est l’effet prime sur l’automobile.
- Une deuxième remarque est celle du standard technologique. La polarisation de l’économie globale, notamment en raison de la réduction des transferts de technologies peut inciter à développer des standards technologiques différents comment s’inscrire dans cette logique ? Des batailles industrielles ont eu lieu par le passé (VHS vs Betamax par exemple) mais elles avaient lieu dans un cadre d’économies qui se concurrençaient. Aujourd’hui la question politique suggère que l’acceptation d’un standard technologique pourrait être plus compliqué à atteindre.
- La dernière remarque est que pour la France, l’échelle est celle de l’Europe. La politique industrielle doit être européenne avant d’être française, allemande ou italienne.
Le volet financement passe beaucoup par les incitations. Faciliter l’investissement aujourd’hui via des crédits d’impôts c’est faire le pari que les revenus issus de ces dépenses en capital seront plus élevés et paieront en retour ces incitations. Il y a aussi une volonté de mobiliser l’épargne. On le voit en France avec le livret à destination des jeunes.
Les investissements considérables qui seront nécessaires pour satisfaire à la transition énergétique va modifier l’équilibre épargne / investissement. Les dépenses vont absorber une plus grande partie de l’épargne qui ne se retrouvera pas systématiquement sur les obligations d’Etat. L’abondance d’épargne mise en avant par Bernanke en 2005 avait poussé les taux d’intérêt de long terme à la baisse.
L’investissement sur le climat va réduire cette abondance
et tirer les taux d’intérêt de long terme à la hausse.
Plusieurs conséquences
La première est d’oublier un peu vite la grande dépendance à la mondialisation et de penser que la volonté politique permettra d’aller très vite. On veut pouvoir sortir rapidement de l’emprise chinoise. Or, les importations chinoises en provenance de la zone Euro sont plus élevées que celles en provenance des US et c’est l’inverse sur les exportations. Les importations venant de Chine représentent plus de 15% des importations de la zone. C’est un chiffre conséquent qui traduit une dépendance à l’économie chinoise. Le modèle ne va pas se départir de la production qui reste globale sur un grand nombre de produits. L’autonomie est possible voire souhaitable mais ne sera jamais aussi rapide qu’espéré. Le risque est aussi à des transferts de technologie moins importants incitant chaque grande région à faire le choix de développer sa propre technologie rendant l’ensemble plus hétérogène.
La seconde conséquence est la tendance protectionniste des mesures qui sont prises. A force de vouloir renforcer les axes et les secteurs stratégiques, le risque est de réduire la fluidité des échanges et orienter davantage l’allocation des ressources vers des éléments internes. Cette situation aura un coût. Dans une tribune récente au New York Times, Krugman indiquait que pour satisfaire l’objectif climatique, écorner les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce ne serait pas bien grave. C’est un choix.
Les deux premiers points soulèvent la question du rapport entre les règles mises en œuvre par les gouvernements dans ce nouveau cadre et la mondialisation qui reste le cadre de référence.
La troisième conséquence est un changement dans la dynamique du marché du travail et de l’équilibre capital/ travail. Dans le monde globalisé, les salariés avaient été pénalisés par l’ouverture de l’économie. Le capital pouvait s’installer où il le souhaitait (“Le monde est plat” disait alors Thomas Friedman) y compris dans des pays où la main d’œuvre était très abondante. La fluidité du capital permettait u e installation là où les conditions étaient les plus favorables notamment par un marché du travail très large et peu régulé.
Les salariés des pays développés ont alors perdu en pouvoir de négociation. Un système économique plus polarisé aura pour conséquence de limiter la taille du marché du travail redonnant aux salariés un pouvoir de négociation plus important. Le capital pourrait être moins mobile parce que la concurrence fiscale ne sera plus aussi prégnante. Le rapport entre le capital et le travail va forcément évoluer. Les salariés ne seront pas forcément perdants.
Conclusion
La réindustrialisation est au cœur des problématiques de la politique économique. C’est probablement souhaitable au moment où l’économie entre dans une phase de rupture nécessaire pour satisfaire à la neutralité carbone.
Pourra-t-elle néanmoins tout faire ? Probablement pas. Les objectifs qu’ont assigné à cette politique industrielle sont trop nombreux. Ce qui est certain néanmoins est la reprise en main de l’économie par les gouvernements. ce sera un changement d’équilibre majeur et il commence déjà à se dessiner.