Quelle est notre, votre, attitude vis à vis du changement climatique? Êtes vous plutôt conservateur, cornucopien ou révolté ? Chaque attitude correspond à un aspect de la transition énergétique. On a chacun tendance à privilégier une partie des efforts à faire pour converger à terme vers la neutralité carbone (pas d’émission nette de carbone en 2050).
Dans l’absolu, il faut inscrire ces trois dimensions en même temps, dans la même dynamique. C’est en cela que cette période de rupture est complexe car chacun utilise les moyens qui sont les siens pour faire valoir son point de vue.
L’attitude peut être plutôt passive chez le conservateur, traduire la puissance du pouvoir en place chez les cornucopiens ou encore provoquer des réactions violentes, à la limite de la démocratie parfois chez les révoltés. La justification alors est de considérer que c’est le seul moyen possible pour prendre en compte leur point de vue.
Ce que montre aussi cette décomposition est que chacun n’a pas la même échelle de temps, la même échelle de l’urgence face au changement climatique. Il ne faut pas alors hésiter à être en rupture face à l’ampleur de l’enjeu.
Peut on être conservateur ?
On est conservateur lorsque l’on pense que l’homme finira par s’en sortir. Il l’a toujours fait et ce n’est qu’une question de temps. En conséquence, il n’est pas question de rupture mais plutôt d’arbitrage aujourd’hui et dans le temps.
L’élément clé est l’efficacité énergétique qui montre que depuis des décennies les besoins d’énergie par unité de production ont franchement diminué. Il suffit alors de continuer sur cette lancée et d’améliorer ici ou là pour que finalement une solution puisse être trouvée à la question du climat. On change de voiture pour passer à l’électrique, on installe des panneaux solaires ou encore on trie les déchets. Tous ces facteurs sont importants pour changer de cadre et permettre une bonne adaptation au monde nouveau qui nous attend. Mais ce n’est pas suffisant.
L’outil privilégié des conservateurs est la taxe carbone, ou taxe Pigou pour les économistes. En jouant sur le prix du carbone, elle va, dans la durée, altérer les choix mais pas engendrer les ruptures nécessaires pour se caler sur la bonne trajectoire. C’est la discussion entre croissance et émission. La France et de nombreux autres pays développés continuent de croître (hausse du PIB par tête) tout en réduisant leurs émissions de Gaz à Effet de Serre (GES).
Les pays développés sont vertueux au regard de cette statistique. La taxe carbone permettrait d’accentuer l’arbitrage en faveur d’une baisse supplémentaire des émissions afin de converger vers les objectifs nécessaires à la neutralité carbone.
En France, la rupture a eu lieu en 2005. Depuis les émissions baissent en tendance à un rythme un peu inférieur à 2% par an.
Cette vision qui a une dimension rassurante n’est cependant pas suffisante. En suivant les tendances, la France, pour prendre un exemple, ne converge pas vers les objectifs qu’elle s’est fixé à l’horizon 2030. Pour se caler sur les objectifs européens, il faut réduire les émissions de GES de 55% par rapport à 1990. On voit sur le graphe que la trajectoire à suivre (bleu) est bien inférieure à la tendance constatée depuis 2005. Il faut aller plus vite.
Les politiques mises en œuvre ne sont pas suffisantes pour penser converger vers la neutralité carbone en 2050. Elles sont dans l’ajustement alors qu’une rupture parait nécessaire.
Etre conservateur n’est pas suffisant pour rester dans une univers soutenable.
Peut on être cornucopien ?
On est cornucopien, pour reprendre un terme anglo-saxon, lorsque l’on pense que le génie humain permettra de faire face aux limites rencontrées.(voir ici l’article fascinant de Aurélien Boutaud et Natacha Gondran)
Cornucopia, en latin, est la corne d’abondance, celle qui ne se tarit pas. C’est le génie humain, ressource ultime et inépuisable, qui permettra de faire face à toutes les situations dans lesquelles les ressources sont limitées.
C’est la technologie, résultat de ce génie humain, qui permettra de contrecarrer les limites physiques. La problématique ne provient alors pas de ces limites mais de la capacité à les exploiter. C’est la technologie qui le permettra en améliorant le capital.
Pour produire, il faut du capital et du travail. Le progrès technique va être intégrer dans le capital. Le capital pourra se substituer au travail voire au capital naturel. Dès lors, puisque le capital peut croître de façon infinie, la croissance peut s’inscrire dans la durée.
La réponse au changement climatique est alors à deux niveaux:
- S’il faut réduire la densité de carbone dans l’atmosphère alors il faut développer rapidement et fortement les investissements dans les technologies de récupération de ce carbone. Cela peut se faire soit par captation de celui ci dans l’atmosphère (technologie DAC pour Direct Air Capture), soit par captation du carbone à la sortie des usines (technologie CCS pour Carbon Capture and Storage). J’avais évoqué cette question dans un post du mois de juillet (“Innovations et Changement Climatique”).
- Il faut favoriser les énergies nouvelles qui se substitueront aux énergies fossiles qui sont à l’origine des émissions carbonées.
Ces deux points sont importants.
A – D’abord parce que les gouvernements (US, France, UK notamment) mettent des moyens considérables pour développer les technologies de récupération du carbone. Ce qui pose quatre questions:
- Pourquoi ne pas porter plus d’attention aux puits de carbone naturels que sont les océans et les forêts ? Ils sont beaucoup moins coûteux.
- Pourquoi passer systématiquement par les compagnies exploratrice de pétrole pour les mettre en œuvre ? Il y a des milliards en jeu. On l’a vu récemment avec le projet Cypress en Louisiane confié au pétrolier Occidental Petroleum. L’opération bénéficiera d’une subvention publique d’1.2 mds de dollars et d’une manne de 120$ par tonne séquestrée. Cerise sur le gâteau, le carbone réinjecté permettra de faire jaillir le pétrole difficile à exploiter.
- La technologie n’est pas très efficace. Dans le projet Cypress, le volume capté sera de 1 millions de tonnes par an. C’est la taille des émissions des deux roues en France sur une année. Cela fait cher la tonne séquestrée, beaucoup plus chère qu’une tonne séquestrée dans la forêt. La grosse usine d’Islande pour récupérer le carbone via la technologie DAC permet de capter l’équivalent des émissions de 800 voitures sur un an !!!!!
- Cela sans compter sur les incertitudes technologiques associées. L’injection de carbone est elle fiable dans le temps, en d’autres termes, y aura-t-il des fuites comme avec le méthane? Quelles conséquences sur la stabilité des lieux où le carbone sera injecté ? Lors des expériences de fracking sur le gaz et le pétrole ce point de fragilité a souvent été mis en avant. Faut il continuer ?
B – Sur le second point, on observe dans le passé que les énergies ont été davantage complémentaires que substituées. En d’autres termes, les énergies nouvelles, si l’on suit les évolutions passées, s’ajoutent aux énergies existantes. On ne peut pas écarter cet argument car en 2022, la consommation d’énergies fossiles s’est inscrite encore plus haut alors que les énergies renouvelables progressaient rapidement incitant l’Agence Internationale de l’Energie a un grand optimisme.
Une remarque finale sur ce point: depuis la révolution industrielle, cette vision du monde a gagné. Le monde s’est développé, porté par le progrès technologique. Cependant, les maux dont nous souffrons actuellement ne sont ils pas la mesure des excès engendrés par cette dynamique ? Est ce que l’on est capable de se substituer à la nature de façon infinie ? La question du changement climatique n’est elle pas une remise en cause de ce mouvement constaté depuis la révolution industrielle ?
Peut on être révolté ?
La dernière façon de percevoir le changement climatique est sous la vision révoltée.
L’argument est très direct: puisque les émissions de GES traduisent la consommation sur une grande échelle des énergies fossiles. Pour rester dans un monde soutenable, il faut réduire rapidement les émissions donc la consommation de ces énergies fossiles. C’est une condition nécessaire pour converger vers la neutralité carbone.
Le graphique montre que la consommation d’énergies primaires (pétrole, gaz, charbon, hydro, renouvelable et nucléaire) continue de progresser et que les énergies fossiles ont toujours un poids important.
En 2022, les énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon) représentaient 81.8% de la consommation primaire. Aucune rupture n’est observée dans cette consommation avec la perception que l’utilisation des énergies renouvelables s’additionne plutôt que ne se substitue aux énergies fossiles. Ce n’est pas le bon cas de figure qui voudrait que les nouvelles énergies disponibles (renouvelable) se substituent aux énergies fossiles.
Cet élément est majeur car tendre vers la neutralité carbone en 2050 et rester à peu près dans le cadre de l’accord de Paris suppose que cette consommation d’énergies fossiles soit au moins divisé par 2 à cet horizon (BP a calculé qu’elle ne devrait plus être que d’un peu plus de 20% de l’ensemble de la consommation primaire d’énergies).
S’il n’y a pas de réduction des énergies fossiles et substitution avec les énergies renouvelables personne ne rentrera dans le cadre de l’accord de Paris.
Cette absence de rupture s’observe partout. Le graphe suivant présente le poids des énergies fossiles dans la consommation d’énergies primaires. (Au Japon, la rupture de 2011 correspond à l’arrêt du nucléaire après le tsunami de Fukushima et la France a bénéficié de son large programme nucléaire mis en œuvre lorsque Pierre Messmer était premier ministre au moment du premier choc pétrolier)
Lorsque la question de la consommation des énergies fossiles est mise en avant comme solution nécessaire au réchauffement climatique, il y a deux sortes d’attitudes.
Celle des scientifiques qui depuis longtemps plaident, froidement, pour la réduction de cette consommation. Cela permettrait de réduire vite les émissions de GES et d’avoir toutes les chances de rentrer dans le cadre de l’accord de Paris.
Pourtant ce ne sont pas eux que l’on entend le plus sauf au moment des COP et éventuellement des évènements climatiques.
L’autre attitude est plus révoltée, plus revendicatrice et souvent plus brutale. On connait les interventions toujours piquantes de Greta Thunberg, mais ce que l’on retient souvent ce sont des graffitis sur les tableaux des musées, des sit-in sur le périphérique d’une métropole ou des positions plus radicales et franchement violentes.
Il y a chez les révoltés, la nécessité d’une prise de parole sur un point urgent alors que le reste de la société ne semble pas s’alerter. Les conservateurs, la majorité de la population, s’inquiète mais sans excès, les gouvernements sont plutôt cornucopiens et optimistes. Dès lors il faut sortir du cadre habituel des sociétés pour être entendu.
Albert Hirschman dans “Défection et Prise de Parole” indiquait que lorsque le processus d’ajustement naturel (défection) au sein des sociétés, il fallait être plus radical via des prises de position plus fortes (prise de parole). Les révoltés prennent la parole dans des sociétés qui ne bougent pas assez vite selon eux. Le processus est suffisamment vaste, en nombre de personnes, pour qu’il soit significatif.
Ces révoltés ne forment pas un groupe homogène. Il y a ceux qui sont franchement préoccupés par le changement climatique et il y a ceux pour lesquels la question du climat n’est qu’un moyen pour changer la société de façon radicale. C’est pour cela que les mouvements ne sont pas très clairement identifiables créant des confusions entre des choix franchement associés au changement climatique et ceux reflétant d’abord des prises de position politique.
Réduire brutalement les émissions de GES c’est réduire vite la consommation d’énergies fossiles avec un risque fort de recul marqué et durable du PIB et de l’emploi. C’est un peu ce que l’on avait vu en 2020. Mais l’année de la pandémie était particulière car il était fait l’hypothèse que le risque sanitaire ne serait que temporaire. En conséquence, les Etats pouvaient intervenir pour éviter une rupture. Cela a plutôt bien fonctionné. En revanche, si l’ajustement s’inscrivait longtemps dans la durée, le risque sur l’activité et l’emploi pourrait être fort avec un important risque social associé. Ce point est difficilement acceptable pour la majorité mais c’est le support de nombreuses vues sur la mise en place d’une nouvelle société ou d’une dynamique de décroissance (je vais revenir très vite sur ce point).
Conservateurs, cornucopiens et révoltés sont les trois composantes de la société face au changement climatique. Les points de vue et la valeur du temps ne paraissent pas compatibles, l’urgence n’est pas la même. Pour les conservateurs infléchir les comportements actuels dans la durée sera suffisant, pour les cornucopiens le temps s’accorde avec l’émergence du génie humain alors que pour les révoltés et les scientifiques la rupture doit avoir lieu très vite.
Et vous où vous situez vous ?