L’interview de Christine Lagarde dans le Financial Times est étrange. Elle était interrogée sur la politique commerciale que le nouveau président américain Donal Trump pourrait mettre en œuvre.
Rappelons que cette politique s’articule autour d’une hausse des droits de douane pour tous les produits entrant sur le territoire américain. Le taux serait de 10 à 20 % en général mais de 60% pour les produits chinois et 25% pour le Mexique et le Canada qui sont pourtant membres de l’Accord de Libre Echange Nord-Américain (ALENA).
Face à une telle stratégie, la réponse habituelle est celle de représailles. A une hausse de taxe sur l’automobile répond une taxe sur les whiskys ou les Harley Davidson. C’était la stratégie de l’Europe en 2018 lorsque déjà Trump voulait pénaliser l’économie européenne. Cela avait bien fonctionné.
C’est la méthode habituelle qui si elle est bien ciblée permet de limiter l’ambition de la taxe initiale avant qu’elle ne soit mise en œuvre.
Le complément à cette stratégie est de recourir à l’Organisation Mondiale du Commerce pour arbitrer et limiter les contraintes, lorsque les décisions sont prises, limitant ainsi l’impact sur le commerce mondial. Mais cette stratégie n’est pas du goût des Américains qui délaissent l’OMC.
L’autres stratégie est celle qui pourrait être celle de la Chine. C’est la stratégie de la pénurie, en indiquant que le produit ne sera pas disponible aux Etats-Unis. C’est une stratégie crédible compte tenu du poids considérable de la Chine dans le secteur manufacturier (35% de la production manufacture contre 12% aux US).
L’Europe ne peut pas se permettre une stratégie similaire à celle de la Chine, faute de moyens.
La décision du nouveau locataire de la Maison Blanche reflète le rejet du multilatéralisme qui est la règle dans les échanges internationaux. Celui ci repose sur des échanges d’informations, sur des règles communes et sur des procédures identifiées en cas de conflit.
Il en découle qu’un pays doit accepter les mêmes règles pour tous les autres pays. Il ne peut pas y avoir de clause préférentielle pour un pays. Les Etats-Unis considèrent que ce mode de fonctionnement, et le libre échange qui y est attaché, ne leur est pas favorable, expliquant que c’est la source principale de leur désindustrialisation.
Les Républicains préfèreraient un système où leur puissance de négociation soit reconnue. La relation doit alors être bilatérale. C’est le mode de fonctionnement souhaité par Donald Trump. Il veut récupérer le pouvoir de négociation associé à la puissance économique des USA pour faire pencher la balance du côté américain plutôt que d’accepter le multilatéralisme et une négociation équitable.
Dans son interview, Christine Lagarde fait le choix de valider la puissance américaine dans les choix européens. Elle propose d’acheter davantage de gaz liquéfié et d’avions militaires et d’autres choses encore.
Elle considère que rentrer dans une bataille commerciale serait pénalisant pour tous au risque d’entrainer un reflux global de l’activité. Cependant, pour ne pas subir les foudres de la Maison Blanche et avant même que des décisions aient été prise outre-Atlantique, la présidente de la BCE est déjà prête à accepter une plus grande dépendance de l’Europe vis à vis des Etats-Unis.
Timothy Snyder, dans “de la Tyrannie” parle de l’obéissance par avance comme l’acceptation de l’autoritarisme de son plein gré. C’est à ce thème que j’ai pensé en lisant l‘interview.
Cela traduit aussi le sentiment que l’Europe n’a pas la capacité d’être un acteur indépendant dans le jeu des grandes nations. Il y a les Etats-Unis, la Chine, l’Inde, la Russie et l’Europe. Christine Lagarde fait l’hypothèse que l’Europe devra rallier une de ses grandes puissances pour être protégée. Il faut avant tout donner des gages à l’Amérique alors que l’Amérique qui vient fera tout pour démanteler l’Europe.
C’est donc une position étrange alors que les représailles avaient fonctionné dans le passé, alors que l’Europe veut valider le rapport Draghi sur le renouveau européen. On peut y voir une dimension politique pour que Donald Trump soit plus attentif au sort de l’Europe plutôt que de la démanteler ou de la fragiliser si l’arrêt de la guerre en Ukraine souhaité par Donald Trump ne se traduise par un pouvoir excessif de la Russie. C’est globalement faire l’hypothèse que l’Europe ne peut pas dessiner sa propre trajectoire et définir son horizon.
C’est étrange pour la patronne de son institution la plus puissante.