L’élection présidentielle française est avant tout un choix politique sur la place que les français souhaitent donner à la France. Le premier tour de ces élections a bien montré que les français n’étaient plus très à l’aise avec l’image qu’ils avaient de la France. Les partis de gouvernement traditionnels ont été exclus du deuxième tour. Il y a un besoin profond de changer et de choisir la trajectoire de la société française. Ce malaise se reflète dans le choix en faveur de ou contre l’Europe. Ce choix écarte tous les autres. On ne peut pas comparer des programmes si cette appartenance à l’Europe n’est pas éclaircie. C’est pour cela que la dimension économique n’est pas décisive et que les choix ne se feront pas la-dessus. D’ailleurs il a été très peu question d’économie depuis le début de la campagne, les candidats évoquent davantage le cadre dans laquelle la France devrait s’inscrire.
La prééminence du politique sur l’économique a été observée encore récemment lors des élections présidentielles aux USA mais aussi lors du référendum britannique. Les supporters du maintien dans l’Union Européenne parlaient principalement des conséquences économiques d’une sortie alors que les défenseurs du Brexit parlaient de la Grande Bretagne, de ses habitants et de leur place dans le monde. L’élection présidentielle américaine s’est inscrite dans la même logique. Donald Trump ne s’est pas fait élire sur le programme économique celui-ci ne reflétant que l’idée de moins d’Etat mais d’un Etat fort et rassurant. C’est cette vision politique de l’Amérique, seule contre le reste du monde, qui a porté Donald Trump à la Maison Blanche. Ces éléments doivent nous faire réfléchir en ne nous focalisant pas que sur les questions économiques.
La dimension politique qui traverse l’élection française est celle de l’Europe. C’est le facteur le plus discriminant entre les deux candidats du deuxième tour. Le caractère politique, au sens de la gestion de la maison commune, de ce choix est très marqué puisque l’un souhaite l’approfondissement et le renforcement des institutions européennes en renouant avec l’Allemagne pour faire, à nouveau, du couple franco-allemand le cœur de la dynamique européenne. L’autre candidate fait porter à l’Europe les dysfonctionnements de la société et de l’économie française. C’est pour cela qu’elle souhaite renégocier la place de la France dans les traités et appeler à un référendum sur la sortie des institutions européennes en cas d’échec. Cela se traduirait alors par la création d’une nouvelle monnaie française.
La distinction des deux programmes est on ne peut plus clair.
Ces visions de la France dans le monde traduisent des ambitions très différentes pour la France et des politiques qui ne se ressemblent pas du tout.
A l’échelle européenne cette immersion passe par un approfondissement des relations et des interdépendances entre les pays. La France peut s’appuyer sur ses partenaires pour développer des projets communs donnant ainsi à l’Europe une capacité d’autonomie dans ses choix. Cette dynamique coopérative et coordonnée donne à la France le poids nécessaire pour peser sur les affaires du monde.
Le choix opposé, exposé par Marine Le Pen, porte sur la remise en cause des relations de la France avec ses partenaires européens. Il est souhaité une remise à plat des Traités pour repenser la place de la France. Qui peut imaginer que les pays partenaires de la France accepteront une telle logique? Si tel n’est pas le cas, un référendum sera organisé sur la sortie de la France de l’Union Européenne et donc de la zone Euro. Il faudrait créer alors un cadre monétaire nouveau. C’est d’ailleurs cette dernière dimension qui distinguerait la sortie de la France du Brexit à l’oeuvre au Royaume Uni. La monnaie apporte une dimension de complexité et d’incertitude susceptible de provoquer une inquiétude forte des français sur la situation de la France. La monnaie et le choix de la rupture avec les institutions européennes impliqueraient une politique de la part du gouvernement qui viserait à réduire les interactions de la France avec le reste de l’Europe et avec aussi le reste du monde. La dynamique de production ne passerait plus de la même façon par le France. Cela pourrait être terrible en termes d’emplois.
Dans le premier choix, celui de Macron, l’objectif est d’approfondir les relations au sein de l’Union et surtout au sein de la zone Euro. Cela se traduirait par une accentuation des liens économiques et des interdépendances. En termes économiques, le marché unique a favorisé la mise en place de chaînes de valeur denses: un bien n’est plus seulement fabriqué en France seulement mais une partie de sa fabrication est faite dans d’autres pays de la zone. Ce maillage économique de l’Europe via ces chaînes de valeur serait ainsi densifié et garantirait une croissance plus robuste dans la durée. Cette capacité à s’adapter passe par l’éducation, la formation et l’investissement. L’économie doit être capable de répondre à des formes diverses du cycle économique. Ce choix européen est exigeant mais il est capable de créer les conditions d’une croissance de l’activité et de l’emploi dans la durée.
La tentation du repli sur soi aurait pour conséquence de rompre les chaînes de valeur puisque celles-ci ne passeraient plus de la même façon par la France. Les entreprises italiennes, allemandes ou espagnoles trouveront d’autres moyens pour produire comme elles le souhaitent mais sans passer désormais par la France. Elles n’auraient pas non plus intérêt à la faire en raison de l’incertitude relative au cadre monétaire qui ne sera pas mis en place spontanément. Il serait par ailleurs illusoire de croire que la France a la capacité à produire tous les biens dont elle a besoin. Elle a besoin des autres pour sa production, cela n’a jamais été aussi vrai. Prendre ce constant à rebours créerait un coup d’arrêt spectaculaire pour la France.
Derrière cette logique de repli sur soi, il y a une approche nostalgique et un peu rêvée des trente glorieuses. A l’époque, dans les années 50 et 60, la croissance française était forte, supérieure à 5% en moyenne. La France était au plein emploi et l’économie était peu ouverte et était davantage autosuffisante dans la production de ses biens. Les chaînes de valeur étaient majoritairement franco-françaises. Mais le monde a changé et la France n’a plus la capacité de produire tous les biens et tous les composants dont elle a besoin. C’est un fait. La réduction proposée des relations avec les autres pays européens suggère le retour à des ressorts qui sont imaginés comme ayant fonctionné à cette période. C’était l’époque aussi où les usines étaient remplies de cols bleus. Les technologies sont passées par là et l’emploi industriel a chuté. Faire croire que la fermeture des frontières permettra de créer à nouveau des tas d’emplois dans l’industrie est au coeur de la nostalgie. L’économie ne fonctionne pas comme cela et il serait criminel de le faire croire.
A cette époque, dans les années 50 et 60, la France faisait feu de tout bois pour que de nouvelles institutions européennes existent afin d’éviter un nouveau conflit militaire. C’est cette dimension politique qui portait aussi l’espoir de tous les français et qui explique la croissance forte de l’activité et de l’emploi. L’objectif de paix porté par l’Europe donnait de l’enthousiasme. Aujourd’hui le projet de se couper de l’Europe revient à imaginer que la France puisse faire toute seule ce que l’Europe lui a permis de mettre en œuvre. L’objectif des années 60 était l’ouverture à l’autre et le gain à l’échange. Cela a bien fonctionné et c’est une explication majeure de la prospérité de l’Europe et de la France. Le repli sur soi ne peut provoquer une dynamique ayant la même allure puisque la France entrerait en défiance systématique avec ses partenaires commerciaux et politiques. Est-ce que l’on pourrait y gagner ? Sûrement pas.
La dimension politique est donc celui du choix de la place de la France dans l’Europe. Le choix de l’ouverture et de l’approfondissement traduit l’exigence d’être à la hauteur des enjeux. C’est la raison pour laquelle il faut être en capacité d’investir beaucoup sur l’éducation et la formation. Chaque français doit pouvoir recevoir une formation en cours de vie pour changer le cours de celle-ci ou pour accompagner le changement de la forme de l’économie.
Le choix du repli sur soi est celui de la limitation des interactions de la France avec le reste du monde. Peut-on accepter un tel choix qui risque de pénaliser la France d’aujourd’hui et celle de nos petits enfants? Peut-on imaginer être capable de faire tout, tout seul puisque la dynamique globale ne passerait plus par la France.
Le choix est donc politique avant tout, il est celui de l’ouverture à l’autre contre celui du repli sur soi. Il est celui de la coopération contre le chacun pour soi. Il est celui de la capacité à infléchir sur les affaires du monde contre celui de se retrouver seul abandonné de tous.
Version in extenso de ma chronique hebdomadaire pour Forbes. La version originale est ici