Les banques centrales sont-elles devenues des sources de confusion pour les investisseurs ? C’est ce que l’on pourrait penser après les propos tenus par Mario Draghi, le président de la Banque Centrale Européenne, et par Mark Carney le gouverneur de la Banque d’Angleterre. Lors d’un séminaire organisé par la BCE, la semaine du 26 juin, l’un et l’autre ont eu des propos pouvant suggérer un changement rapide de la politique menée par ces deux institutions.
Mario Draghi s’est appuyé sur la plus grande robustesse du cycle économique en zone Euro pour signifier que la BCE devait en prendre compte dans la détermination de sa stratégie. Il a ainsi évoqué la disparition du risque déflationniste et l’apparition d’une situation de reflation. Ces propos ont immédiatement été interprétés comme le signal d’une fin programmée de la politique monétaire accommodante avec un arrêt dans un temps fini des achats d’actifs. Cela s’est traduit par une hausse de la monnaie européenne face au dollar et une remontée rapide des taux d’intérêt de long terme. La BCE a indiqué que ces mouvements étaient excessifs et traduisaient une sur-interprétation des propos de son président.
Du côté de la Banque d’Angleterre, Mark Carney a évoqué la possibilité d’une remontée des taux directeurs de la banque centrale anglaise alors qu’il avait tenu des propos différents quelques jours plus tôt. En outre, le gouverneur canadien de la banque centrale anglaise avait, lors du dernier meeting de politique monétaire, opté pour le statu quo. Cela s’est traduit par une hausse de la livre sterling et du taux d’intérêt à 10 ans.
On peut discuter plusieurs points sur ces évolutions
1 – Est-ce un ballon d’essai, une façon de signaler aux investisseurs qu’à un moment dans le futur la politique monétaire accommodante s’arrêtera. Possible mais c’est une explication banale puisque tout le monde a en tête que l’amélioration de la conjoncture impliquera la fin progressive de la politique monétaire accommodante. Si c’est l’explication alors pourquoi le faire maintenant et avec quelles justifications? Rien a priori d’autant que Draghi n’a à aucun moment évoqué une date de fin des achats d’actifs.
2 – Du côté de la BCE, Draghi avait conditionné, lors de sa dernière conférence de presse, le changement de politique à la convergence de l’inflation vers la cible de 2%. Y-a-t-il des informations suggérant que la convergence sera plus rapide?
3 – Du côté de la Banque d’Angleterre, le sujet des taux est plus controversé puisque lors du dernier comité de politique monétaire le statu quo l’a emporté par deux voix d’écarts (5 à 3 pour une remontée). Carney plaidait alors pour le maintien. La seule explication est que le gouverneur s’est calé sur le profil attendu par la BoE sur l’impact temporaire et limité du Brexit sur l’activité britannique. Si effectivement c’est le cas la banque centrale devra remonter son taux de référence dans un temps fini. La reprise rapide au Royaume Uni n’est cependant pas le cas le plus probable.
4 – Il y a à mon avis, sur la BCE, une sur-réaction des investisseurs. Ils attendent, depuis un moment déjà, un arrêt des achats d’actifs dans un temps fini et les propos de Draghi ont pu les inciter à aller dans ce sens. Cela s’appuie sur un argument technique de titres insuffisant en quantité. En Allemagne et dans quelques autres pays, le montant des achats va poser problème si les règles sont inchangées. C’est pour cela que pour beaucoup d’investisseurs il sera rapidement nécessaire de réduire drastiquement le montant des achats.
5 – Cet argument technique n’est pas suffisant. Le cycle économique n’est pas encore assez robuste pour justifier un changement d’allure de la politique monétaire. La demande interne privée n’est revenue qu’au premier trimestre au niveau observé avant la crise de 2008. Vouloir modifier les anticipations des investisseurs en instillant l’idée de taux rapidement plus haut est prendre le risque d’avoir un impact négatif sur l’activité. Cet argument, de l’asymétrie de la politique monétaire, qui a longtemps été celui de la Federal Reserve américaine doit aussi être celui de la BCE. Une remontée ou l’anticipation d’une hausse des taux d’intérêt serait pénalisant pour la croissance et la BCE ne veut pas et ne doit pas prendre ce risque surtout lorsque l’inflation est aussi réduite (1.3% au mois de juin).
6 – Personne n’a intérêt à modifier trop rapidement les anticipations des acteurs de l’économie. En mai 2013 Bernanke avait, sans trop de précautions, appeler à une normalisation de la politique monétaire puisque la situation américaine étaient meilleure. Au regard de la hausse des taux d’intérêt américains, notamment des taux sur l’immobilier, il a vite fait machine arrière. Je doute que la BCE n’ait pas pris bonne note de ce comportement des investisseurs.
Conclusion
La BCE va maintenir ses taux d’intérêt très bas tant que l’inflation ne convergera pas vers 2% et que la croissance n’est pas suffisamment bien installée. L’inflation n’accélèrera pas avant 2019 avec l’impact haussier des pressions salariales sur les prix. Elle va réduire le montant de ses achats en 2018 afin de prendre en compte l’amélioration de la conjoncture mais je doute qu’elle fixe une date de fin. Comme c’est le cas actuellement, elle indiquera qu’elle conditionnera l’arrêt de ses achats à la convergence des anticipations d’inflation de long terme vers 2%. Sans cela elle continuera avec probablement encore des montants plus réduits. La surinterprétation des propos de Draghi a montré aussi que toute hausse rapide des taux d’intérêt est câpée par le retour très fort d’investisseurs friands de taux d’intérêt plus élevés. De ce fait, je ne suis toujours pas haussier sur les taux obligataires.
Au Royaume Uni, l’arbitrage de la politique monétaire est entre un choc persistant sur l’activité et l’accélération de l’inflation. La BoE avait opté pour limiter l’impact du premier à court terme mais en inscrivant le Royaume Uni dans une reprise cyclique après les effets négatifs temporaires du Brexit. C’est l’interprétation qu’il faut faire des propos de Carney, sauf que les effets du Brexit seront plus longs et plus douloureux que ce qu’anticipent les autorités anglaises.
Les banquiers centraux européens n’ont pas d’intérêt à intervenir trop rapidement car leurs économies ne sont pas encore stabilisées. Il y aura du changement dans le futur, et c’est souhaitable, mais il est trop tôt pour en fixer la date et le profil sur le prix des actifs. Les mouvements observés ont donc été davantage une sur-réaction qu’un changement de tendance.
Ceci est la version in extenso de ma chronique hebdomadaire pour Forbes. Vous pouvez la retrouver ici