Oui…
En tout cas, c’est la réponse faite par Mario Draghi lors de la conférence de presse qui a suivi la réunion du comité de politique monétaire le 7 septembre dernier. Il indique ainsi la nécessité de maintenir une politique monétaire accommodante afin d’être encore un soutien à l’activité en dépit d’une reprise récente de la croissance. Cependant, l’économie n’arrive pas à retrouver le chemin d’une inflation plus élevée et cela traduit l’existence encore d’un déséquilibre.
De façon plus générale, je crois que l’économie mondiale, notamment la partie des pays occidentaux, est toujours dans une phase de crise si celle-ci se définit comme la période de transition entre deux trajectoires stables.
Je ne parle pas ici de crise financière résultant d’un abus de crédit pour financer l’accumulation d’un bien. Ces crises financières, comme celle de 2007/2008, existent depuis toujours.
Au-delà de cet aspect financier, deux sources majeures de déséquilibres se distinguent. Ces sources persistent et maintiennent l’économie globale dans une configuration de crise.
Déséquilibre technologique
Le premier déséquilibre est technologique. L’économie globale est dans une période où l’innovation bourgeonne mais durant laquelle les gains de productivité sont faibles. Cette situation n’est pas banale puisque l’on sait depuis Schumpeter que les périodes d’innovations sont aussi celles qui permettent le démarrage d’un cycle long via de forts gains de productivité. Actuellement, malgré les innovations impressionnantes parfois qui surgissent, le cycle long tarde à se manifester et les gains de productivité restent réduits. Les gains de productivité sont un surplus qu’engendre le processus productif. Plus ils sont élevés, plus les revenus réels peuvent l’être.
Sur ce point, on peut probablement faire le même constat que celui qui était fait du temps de l’électrification des pays occidentaux. A l’époque, la révolution n’est pas venue d’une substitution de l’électricité au charbon mais de la mise en œuvre d’un processus global de production prenant en compte l’électricité. C’est pour cela que l’impact de l’électricité a été long à se dessiner et que les gains de productivité ont été longs à apparaître.
Nous nous trouvons probablement dans un processus similaire. Des travaux récents ont indiqué que la faiblesse des gains de productivité venait notamment d’une répartition très inégale des innovations. Coexistent désormais des entreprises de grandes tailles pour lesquelles les gains de productivité sont très élevés car elles bénéficient de rendements croissants et des entreprises de taille plus réduites qui sont soumises aux rendements décroissants, qui n’intègrent pas des innovations avec la même rapidité et la même efficacité que les grandes entreprises. Cette coexistence implique une croissance moyenne des gains de productivité qui est réduite alors que l’on observe l’émergence rapide d’innovations. Cela veut dire que le processus productif n’a pas encore été redessiné pour prendre en compte, à tous les étages, ce progrès technologique spectaculaire.
On est donc ici dans une phase de transition qui pourra être encore longue mais qui peut être différenciée par pays même si cela ne l’est pas trop pour l’instant si l’on fait référence aux gains de productivité.
Déséquilibre provenant de l’élargissement du monde
La deuxième source de déséquilibre résulte de l’élargissement du monde. Il y a vingt ans, le cadre de la croissance mondiale se limitait à celui des pays occidentaux. Les Etats Unis, le Japon et l’Europe donnaient l’impulsion à cette croissance globale. Il pouvait y avoir des pays émergents en devenir mais l’essai n’a jamais été franchement transformé. C’était le cas longtemps du Brésil ou de l’Iran dans les années 70. Il pouvait y avoir des phases d’instabilité lors, par exemple, de périodes d’accélération à la hausse du prix du pétrole. Mais tout cela n’était que temporaire.
Aujourd’hui, le monde n’a plus du tout ces caractéristiques et les pays émergents ont désormais un rôle majeur dans la dynamique de la croissance mondiale. On peut voir sur ce graphe que la situation a bien changé depuis les années 90 lorsque la Chine ne jouait pas un rôle aussi important. L’Empire du Milieu, en raison notamment de sa taille mais pas seulement, a créé une dynamique spécifique et de grande ampleur dont ont bénéficié de très nombreux pays émergents.
Pour les pays développés c’est un changement d’environnement spectaculaire avec une dynamique de concurrence qui a changé profondément et durablement. Cette situation nouvelle n’est pas encore stabilisée car la Chine n’a pas encore un développement auto-centré au sein duquel sa croissance serait beaucoup plus dépendante de sa demande interne qu’elle ne l’est aujourd’hui. Les pays développés ont vu leur pouvoir économique et politique rogné au cours des deux dernières décennies sans pouvoir y remédier. Notamment parce que depuis dix ans, les gains de productivité sont faibles et ne laissent pas de marges de manœuvre suffisantes.
La crise des pays occidentaux est la superposition de ces deux phases de transition. L’une est technologique et l’autre géographique. Ces périodes sont difficiles à vivre pour les pays développés car rien ne fonctionne plus comme avant. La tentation populiste peut alors être forte pour s’isoler de ces troubles que l’on ne maîtrise pas. L’élection de Trump, la tentation qu’il y a eu en Europe de plonger dans cette voie traduisent l’attrait du repli sur soi et des excès qui pourraient accompagner une telle situation. De ce point de vue, l’Europe s’en est bien sortie pour l’instant.
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Version in extenso de ma chronique hebdomadaire pour Forbes – A retrouver ici