La croissance française sera de 1,8% en 2017 et de 1,7% en 2018. Ces chiffres apparaissent aujourd’hui plutôt fort puisque de 2013 jusqu’au 3ème trimestre de 2017 la croissance tendancielle de l’économie française a été d’un peu plus de 1,1% en rythme annualisé. C’est donc un bon cru. Cependant, la comparaison avec la période d’avant-crise est cruelle. De 2000 à 2008 la croissance tendancielle de l’économie française était de 1,8%. Elle pouvait donc aller bien au delà de ce chiffre de 1,8% qui apparaît aujourd’hui comme le point haut du cycle.
Une telle situation cyclique donnait des degrés de liberté pour tous car la croissance pouvait ainsi aller bien au-delà de cette tendance (elle était ainsi de 4% en 2000). Dans la mise en œuvre de la politique économique française, ce point haut du cycle n’était généralement pas perçu comme une opportunité pour adopter une stratégie plus restrictive. Collectivement, les Français ont été incapables de réduire les déséquilibres lorsque la croissance était très forte, notamment sur le plan budgétaire. La cagnotte, concept budgétaire français inventé dans les périodes de croissance élevée, permettait de justifier toute sorte de dépenses puisque les recettes avaient augmentées.
Aujourd’hui les chiffres de croissance nettement plus réduits n’offrent plus ces degrés de liberté. Il faut donc penser la politique économique autrement et en rapport avec cette allure plus limitée.
Cela a deux conséquences :
1- la politique économique doit profiter des périodes fastes pour retrouver des marges de manœuvre, elle ne doit pas utiliser cette situation généralement temporaire pour engager des dépenses qui ne pourront pas être financées dans la durée. Adopter une contrainte budgétaire peu contraignante est généralement peu efficace car souvent les dépenses engagées lorsque le cycle est au plus haut n’apparaissent que comme des dépenses de confort.
2- Ce n’est pas renier une approche keynésienne de l’économie que de dire cela. Keynes ne parlait d’élargir l’intervention publique que lorsque celle-ci venait compenser une demande privée insuffisante. Généralement, ce n’est pas le cas en haut de cycle. Cependant ces dépenses s’inscrivent dans la durée et sont toujours là lorsque les conditions cycliques sont moins porteuses.
Les discussions autour des arbitrages, parfois maladroits, de la part du gouvernement, ressortissent de cette logique. Le cycle est aujourd’hui au plus haut et c’est maintenant qu’il faut faire des arbitrages pour réduire les dépenses de confort. Une telle situation suscite forcément des inquiétudes et des revendications. Mais c’est une nécessité pour ne pas élargir davantage le déséquilibre budgétaire dans le futur. Le cycle est au plus haut et il faut retrouver des marges de manœuvre en créant des changements maintenant.
La reprise a engendré des tensions
Cependant la critique est immédiate au regard d’un taux de croissance qui est limité. La tentation est d’indiquer que ces restrictions budgétaires pénalisent la croissance et qu’une politique budgétaire plus volontariste permettrait de repousser les limites et d’aller vers des chiffres plus élevés que ceux que je citais plus haut.
Une telle stratégie était juste il y a 2 ou 3 ans ou même encore récemment. Elle ne l’est plus. La reprise a engendré des tensions sur l’appareil productif. Le taux d’utilisation des capacités de production dans l’industrie s’est accru de façon significative ces derniers mois suggérant une limite physique à la croissance. Il est au troisième trimestre supérieur à la moyenne observée de 1995 à 2007 alors qu’à l’époque l’économie allait bien. De même, les entreprises ne parviennent pas à recruter comme elles le souhaiteraient. Cette tension sur l’économie qui reflète une dynamique interne plus vive se remarque aussi sur le profil très haussier des importations.
Vouloir aller au-delà de ces tensions très rapidement c’est prendre le risque d’une surchauffe de l’économie française. C’est ici que l’on constate que l’économie française a été fortement pénalisée par la crise et par les politiques qui ont été menées. La période qui débute après 2010 a été très douloureuse pour l’économie française et se traduit aujourd’hui par un retard significatif par rapport à ce qui pouvait être fait par le passé.
Il n’y a pas de fatalité sur ce point mais force est de constater que l’économie française est aujourd’hui contrainte de ne pouvoir aller plus vite. Augmenter la demande via la politique économique, comme cela est préconisé parfois, ne créerait pas d’accélération de la croissance mais une surchauffe.
Assainir les Finances publiques, relâcher les contraintes économiques
Sans action de la politique économique, les chiffres actuels de haut de cycle seront suivis par un retour vers la tendance longue et la croissance potentielle qui est voisine de 1,2%. Cette convergence débuterait en 2019. La politique économique doit intervenir et créer une dynamique nouvelle capable d’infléchir à la hausse cette tendance trop réduite.
Les ordonnances sur le marché du travail peuvent être critiquables et ne seront efficaces qu’avec le versant formation pour la compléter, mais le marché tel qu’il fonctionne actuellement n’apparaît pas susceptible de porter l’économie sur une trajectoire plus élevée. De même, l’effort fait sur l’investissement public va dans le même sens en créant des incitations à investir davantage du côté du secteur privé, d’innover davantage et de créer ainsi une dynamique plus robuste.
L’économie française est à reconstruire car elle n’a plus la robustesse qu’elle avait par le passé. Cela passe par une stratégie différente en matière de politique économique en constatant que l’on est en haut de cycle. C’est maintenant, en 2018, qu’il faut mettre de l’ordre dans les finances publiques tout en mettant en œuvre une politique économique visant à relâcher les contraintes sur l’appareil productif et sur le marché du travail. L’orientation prise par le gouvernement va dans ce sens. La demande va mieux notamment grâce à de nombreuses créations d’emploi et une dynamique des revenus plus robuste qui en découle.
Il faut maintenant desserrer la contrainte sur l’offre tout en évitant l’élargissement des déséquilibres budgétaires supplémentaires. Le pari est fort mais tenable dans la durée.
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