La croissance est revenue mais déjà chaque pays veut jouer sa propre partition. L’unité n’est plus de mise et l’économie mondiale est en train de changer rapidement de route.
Pendant la phase de reprise en 2016 et 2017 la situation globale était relativement stable, sans déséquilibres majeurs. Les banques centrales lâchaient du lest quand cela était nécessaire pour absorber les moindres aspérités. Et cela a plutôt bien fonctionné puisque progressivement l’allure des différentes régions du monde est devenue plus cohérente renforçant ainsi la dynamique de l’expansion et des échanges. Les économistes étaient obligés de réviser systématiquement à la hausse leurs prévisions.
Cette période est achevée. Les comportements ne sont plus coopératifs et encore moins coordonnés.
En Europe, Emmanuel Macron apparaît bien seul désormais dans sa volonté de réformer les institutions européennes pour en assurer la pérennité. La chancelière allemande a dû attendre la fin de la consultation du SPD pour savoir si elle serait capable de mettre en place un nouveau gouvernement. Le gouvernement allemand n’a plus la main. L’inquiétude était à la hauteur de la montée de l’AFD dans les sondages. Il est devenu le premier parti d’opposition.
En Italie les partis populistes ont fait plus de 50% aux élections du 4 mars et les interrogations se font chaque jour plus nombreuses sur la capacité à former un gouvernement dont la volonté européenne serait forte et sans faille.
Les interrogations sur la volonté de la Pologne ou de la Hongrie de faire partie intégrante de l’UE affaiblissent aussi les institutions.
La croissance est de retour en Europe mais ses fondements politiques apparaissent affaiblis et l’on peut s’interroger sur ce qui se passera si la croissance est moins vive et les créations d’emplois moins nombreuses. L’équilibre politique risque d’en être bouleversé.
En Chine, la “Belt and Road Initiative” (BRI) est un modelage des échanges de l’Empire du milieu avec des pays tiers. Cela traduit la volonté des chinois de définir leurs échanges selon leurs règles afin de limiter les risques sur leur propre situation. La logique qui y est développée n’est pas forcément directement compatible avec celle de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).
Ce phénomène est important aujourd’hui puisque les Etats-Unis ont décidé la mise en œuvre de tarifs sur l’acier et l’aluminium créant ainsi un risque de contagion à l’échelle globale. Cette situation va créer de nouveaux déséquilibres, en Europe notamment qui est le premier fournisseur de l’acier importé par les américains. Ce qui est nouveau ici est que les USA ciblent des pays qui sont considérés comme des alliés des américains. La logique qui sous-tend la mesure est donc problématique.
Ces mesures provoqueront probablement une augmentation de la production américaine d’acier et d’aluminium car les capacités des usines US ne tournent pas à fond et les productions étrangères seront plus chères. C’est d’ailleurs un argument de Trump : les usines peuvent fonctionner à un rythme plus élevé, dès lors il faut contraindre les importations pour favoriser la production locale. Cela ne sera pas suffisant pour satisfaire à la demande US et cela ne manquera pas d’augmenter les prix pour les secteurs en aval aux USA mais cela va aussi se traduire par moins d’exportations pour l’Europe et des pressions sur les prix pour les productions non US d’acier et d’aluminium qui ne seront plus vendus outre-Atlantique. Cela va déprimer les secteurs européens de ces productions.
Cette initiative américaine est d’autant plus embarrassante qu’elle semble être un élément du puzzle et non une finalité. La Maison Blanche semble vouloir éventuellement aller plus loin à l’exception des pays qui demanderaient des conditions spéciales et qui donc accepteraient les conditions définies par Washington ; pas sûr que ce soit à l’avantage de ces pays négociateurs. Dans cette stratégie, les USA sous couvert de défendre leur activité sont en train de rompre avec les acquis de l’OMC. Cette politique ne peut que renforcer l’initiative chinoise sur ses échanges avec le reste du monde.
L’autre aspect de la politique américaine est de pousser la croissance à la hausse via une politique budgétaire très volontariste alors que l’économie est déjà au plein emploi. Généralement dans ses situations de taux de chômage très bas le gouvernement américain voit son déficit se réduire. C’est logique car les deux indicateurs, taux de chômage et solde des finances publiques, traduisent une mesure du cycle des affaires. En 2018, sous l’impulsion de la Maison Blanche et du Congrès, cette belle régularité observée sur le graphique va être bafouée. Le taux de chômage va rester faible mais le déficit public va s’accroître passant allègrement les 5% et se dirigeant vers les 5.5% voire les 6% et peut être plus.
L’Amérique entre dans une politique autocentrée. Lorsque Reagan avait pris une initiative de relance l’économie était loin du plein emploi alors qu’elle y est actuellement. Cela veut dire que l’objectif de cette politique n’est pas macroéconomique mais de redistribution des revenus vers les plus riches comme le montraient les simulations qui ont été faites sur la période 2018-2027, durée initiale de cette politique fiscale.
Cette politique va soutenir la demande interne et accentuer le déséquilibre du commerce extérieur déjà nettement visible depuis quelques mois. Comme la pression se fera d’abord sur le marché US on doit anticiper des pressions plus fortes sur l’inflation.
Pour éviter ces désagréments, la Fed devra intervenir plus fortement et plus rapidement que ce qui était attendu. Cela veut dire que nous attendons en 2018 un plus grand nombre de hausses de taux de la part de la Fed, au moins 4, pour juguler les déséquilibres provoqués par la politique budgétaire.
Dans le cycle actuel, depuis le deuxième trimestre 2009, l’économie américaine n’avait pas une croissance forte mais cela ne provoquait pas de déséquilibres durables. La croissance aurait pu continuer un bon moment avec la politique monétaire assurant l’équilibre entre les différentes composantes du cycle. La Maison Blanche en a décidé autrement en créant un choc sur la politique budgétaire et un choc sur les échanges via des tarifs douaniers plus élevés.
Cela se traduira par des taux d’intérêt de la Fed plus élevés et un aplatissement de la courbe des taux d’intérêt puisque les investisseurs voudront toujours croire à la crédibilité de l’actions de la Fed et n’intégreront pas de hausse durable des anticipations d’inflation dans les taux de long terme.
L’autre effet est que la politique de la Fed va devoir normaliser plus rapidement qu’attendu sa politique monétaire. C’est pour faire face à cette possibilité que la BCE ne veut pas prendre le risque de signaler au marché le moment où elle changera de stratégie monétaire. Benoit Coeuré a été clair sur cette question ce matin à la radio française. Cela veut dire aussi que la BCE a perdu en indépendance puisque sa stratégie est désormais conditionnée par celle de la Fed.
Cette stratégie de la banque centrale américaine fera remonter le dollar dans les prochains mois. L’écart de taux d’intérêt finira par jouer surtout si la Fed est obligé d’accentuer le mouvement haussier.
En outre et parce que la hausse de taux sera plus rapide et plus forte qu’anticipé, il y aura une hausse de la volatilité sur les marchés d’actions. Il y a toujours un décalage de 18 à 24 mois entre la hausse des taux de la Fed et la hausse de la volatilité. Cela viendra en 2019/2020.
Les trois grandes zones géographiques ont du mal à s’intégrer désormais dans une logique coordonnée et coopérative. Les Etats-Unis et la Chine veulent définir leurs propres règles dans les échanges internationaux au risque de s’écarter des règles de l’OMC. C’est le risque d’un retour du bilatéralisme qui n’est équitable pour personne. En Europe, l’absence d’initiatives politiques créent beaucoup d’interrogations. Les économistes proposent des solutions mais sans support politiques ces propositions sont vaines.
La dynamique de la reprise est désormais derrière nous et l’apparition d’un nouvel équilibre politique crée de l’incertitude sur la capacité de l’économie mondiale à maintenir le rythme de croissance de 2017 et 2018. La crise n’est pas finie car la métamorphose politique n’est pas achevée.