La dynamique émergente est en train de changer de façon dramatique. Jusqu’à la mi avril, ils avaient le sentiment d’avoir une monnaie forte et c’était une aubaine. Leurs taux d’intérêt plus élevés dans un contexte de dollar faible permettaient d’attirer des capitaux puisque le spread était rémunérateur. Le jeu était d’un seul côté: on pouvait gagner à tous les coups. Ce n’est plus le cas désormais car les règles sont bouleversées.
Les choses changent à partir du moment où le dollar change de statut et s’apprécie de façon rapide. Le graphe que j’ai déjà évoqué lundi dernier et que j’ai remis à jour montre ce changement de tendance.
Le changement d’allure est significatif.
Cela traduit une inflexion dans les attentes de ce que fera la Fed au cours des prochains mois. J’évoque, dans le même document, la nécessité pour la Fed de durcir le ton pour compenser les excès de la politique budgétaire de la Maison Blanche et limiter ainsi l’apparition de déséquilibres importants.
Cette stratégie de la Fed est d’autant plus marquante que les autres grandes banques centrales ne souhaitent pas faire évoluer leur politique monétaire dans le même sens au cours des prochains mois. La BCE est claire dans son message comme l’est la Banque du Japon. L’éventuelle incertitude vient de la Banque d’Angleterre mais désormais les investisseurs sont convaincus qu’elle ne fera rien dans les prochaines semaines et surtout pas lors de sa prochaine réunion le 10 mai en raison du net ralentissement de l’activité et de la convergence de l’inflation vers 2%.
Généralement, lorsque l’attitude de la Fed est perçue comme volontariste alors on assiste à un rapatriement de capitaux vers les USA. La hausse certaine des rendements à court terme sur le marché américain est un bon attracteur avec un risque réduit.
Janet Yellen avait une stratégie très transparente de telle sorte qu’aucun investisseur n’était surpris par les changements de taux de l’autorité monétaire US. Janet Yellen est partie et Jerome Powell apparaît moins transparent.
En outre, la politique budgétaire a aussi radicalement changé. Cela plaide donc pour une remontée rapide des taux US d’autant que Powell et le FOMC ont fait état de leur perception d’un taux d’inflation voisin de l’objectif (la Fed n’a alors plus besoin d’être trop accommodante puisqu’alors cet objectif spécifique est atteint).
Au delà de cet effet mécanique, l’attitude de Donald Trump est susceptible d’engendrer de l’incertitude après le retrait des USA de l’accord nucléaire iranien. L’équilibre politique du Moyen Orient change de façon importante et les nouvelles inquiétudes s’ajoutent à celles relatives à la guerre commerciale remise au goût du jour par Trump.
La hausse du prix du pétrole qui en résultera pèsera sur la croissance globale et l’interdiction faite notamment aux entreprises européennes de commercer ou d’investir en Iran doit être interprétée comme une autre dimension de cette guerre commerciale (voir ici).
Ce regain d’incertitude est aussi une raison pour les investisseurs de retrouver leur “habitat préféré”, celui où ils perçoivent que le risque est plus limité en fonction de leurs objectifs. Cela devrait donc pénaliser les pays émergents et favoriser l’appréciation de la monnaie US.
La contrepartie est alors une dépréciation des monnaies émergentes. Je l’avais souligné ici et je reprends le graphe que j’avais alors publié. La baisse continue des monnaies émergentes reflète la hausse du dollar.
La difficulté est que les investisseurs vont être prudents dans leur attitude vis à vis des émergents. Si la monnaie continue de se déprécier le pari du financement émergent est risqué. Dès lors tant que la monnaie américaine ne sera pas perçue comme devant se stabiliser rapidement les investisseurs resteront réticents à y investir. Pour faire face à une telle situation, les banques centrales émergentes pourraient être tentées de relever leurs taux.
Le mouvement de baisse des taux n’avait pas crée de différenciation majeure entre les pays, la phase de remontée mettra à l’épreuve la crédibilité de chaque banque centrale. Ce sera plus compliqué comme a pu le constater l’Argentine récemment avant de faire appel au FMI.
L’autre point à surveiller est l’endettement en dollar. Si le billet vert est fort dans la durée, ce que l’on ne peut pas exclure en raison du rapatriement des capitaux, alors l’endettement en dollar va peser pour l’ensemble des pays émergents.
La dette internationale des entreprises non financières des pays émergents est principalement en dollar comme le montre le graphe.
La dépréciation des monnaies émergentes altère durablement l’attitude vis à vis de la dette car la charge de remboursement en dollars va s’accroître de façon significative. Ce point a souvent été, par le passé, une source de fragilité majeure des émergents.
En d’autres termes, les pays émergents ont pu s’endetter en dollars de façon impressionnante notamment depuis 2009. L’attitude très mesurée de Bernanke, Yellen et Obama limitait le risque. L’administration américaine souhaitait intervenir à l’échelle internationale avec une certaine bienveillance (du type accord avec l’Iran) alors que la Fed ne voulait pas brusquer l’économie et les investisseurs américains ou étrangers. Depuis, la situation a changé. Le déficit public se creuse et restera élevé dans la durée (voir ici) et l’attitude belliqueuse de la Maison Blanche sur de nombreux dossiers inquiète. La Fed devra remonter ses taux pour éviter l’apparition de déséquilibres trop importants aux USA et les investisseurs américains, face à cette nouvelle politique monétaire et aussi parce que l’incertitude s’est accrue brutalement, auront tendance à rapatrier leurs capitaux aux USA et à ne plus en sortir, faisant ainsi monter le billet vert.
La situation des pays émergents change ainsi de façon considérable. La hausse du dollar est pénalisante et le biais haussier de la monnaie américaine va rendre les investisseurs réticents à y aller.
Tous les pays ne seront pas touchés de la même façon mais ils le seront tous néanmoins. Le monde a changé pour les émergents.