Les mesures prises par le gouvernement Macron au cours de sa première année sont-elles en phase avec les changements constatés à l’échelle globale ? C’est la question à laquelle doit répondre une interrogation sur la première année du président français car il est trop tôt pour faire un bilan.
Dans la partie une, j’évoquais la nécessité de rendre la croissance plus autonome même dans un monde qui reste globalisé. J’expliquais la nécessité d’améliorer les innovations associées à l’investissement et de rendre le travail plus réactif. Un travail récent de Gilbert Cette et alii suggère, à partir, d’une large comparaison internationale, que la rigidité du marché du travail en France est une source de substitution entre le travail et le capital. Cela expliquerait un taux d’investissement élevé en France. Par contre les auteurs constatent que l’innovation associé à cet investissement est insuffisante et ne permet pas d’augmenter la productivité de façon satisfaisante. Une autre conclusion de ce travail est qu’une plus grande réactivité du travail peut être associée à une meilleure qualité du capital.
C’est cette équation qui est au cœur de la question de l’offre en France : il faut rendre le capital plus efficace et faciliter la réactivité du marché du travail. J’indiquais que les mesures prises sur l’investissement public ainsi que les ordonnances sur le marché du travail permettaient certainement de desserrer ces contraintes facilitant ainsi l’ajustement de l’offre.
Il y a deux autres ruptures majeures dans l’économie mondiale auxquelles l’économie française doit répondre pour s’intégrer encore davantage: celle de la localisation de la production et celle de l’innovation.
La deuxième rupture est celle de la localisation géographique de la production
Le centre de gravité s’est déplacé en Asie au cours des années d’après crise. Ces pays ont développé une dynamique industrielle et manufacturière spectaculaire. De simples assembleurs ils sont devenus aussi concepteurs avec une qualité de production qui s’est accrue de façon rapide et efficace. Les programmes notamment en Chine (“Made in China 2025”) ont pour objectif d’accentuer cette dynamique en niveau et en qualité puisqu’une des clés du programme chinois est de créer les innovations de rupture qui seront le support de cette allure industrielle. Cela donnera une avance supplémentaire à la Chine et l’Asie. C’est une des raisons des mesures prises par Donald Trump face à la Chine.
Pourquoi ce court développement ?
Parce que les trois grandes zones qui ont forgé la croissance de l’économie mondiale depuis la seconde guerre mondiale ont, depuis une dizaine d’années, laissé la place à l’Asie. Le graphe ci-dessous est impressionnant. Il montre l’évolution de la production industrielle depuis l’avant crise de 2008. En février 2018, soit sur une période de 10 années, ces 3 grandes zones ont, au mieux, maintenu le niveau de leur production à celui de 2008. En moyenne, les trois grandes zones de la croissance mondiale d’après guerre ont eu en dix ans une contribution nulle à la hausse de l’activité industrielle mondiale. C’est une rupture historique.
Aux Etats-Unis la hausse de 2% (l’indice est passé de 100 à 102) sur 10 ans est médiocre. La production de la zone Euro baisse de 4% et celle du Japon de 11%. L’industrie 4.0, dont on parle beaucoup, se fait ailleurs que dans les grands pays développés. Le détail de la zone Euro montre que la France est en retrait de 8% et l’Allemagne en hausse de seulement 5%.
En revanche l’Asie hors Japon est à 195. Le contraste est impressionnant.
L’accélération de l’activité dans les pays émergents et en Asie en particulier se traduit, pour la France, par un poids qui recule rapidement dans l’activité mondiale. En 1980, la France représentait 4.4% du PIB mondial (en parité de pouvoir d’achat selon le FMI), en 2017 le chiffre n’est plus que de 2.2%. Ce n’est pas spécifique à la France puisque sur la même période le poids de l’Allemagne passait de 6.5% à 3.3% et la zone Euro de 1999 à 2017 a vu sa part se réduire de plus de 6 points de poucentage, elle ne représente plus que 12% du PIB mondial. La zone Euro se réduit relativement car l’Asie progresse très rapidement.
Emmanuel Macron, face à ces bouleversements, tient un discours fort sur l’Europe et sur la nécessité de faire bloc
Dans son propos du 26 septembre à la Sorbonne, le président français indique que l’Europe reste l’horizon de la France à la fois pour ne pas disparaître à l’échelle mondiale mais aussi pour maintenir l’avantage que la construction européenne a donné à l’ensemble de ses citoyens. Dans son discours de Francfort le 10 octobre il réaffirme la dimension culturelle de l’Europe et la solidité des liens avec l’Allemagne.
L’enjeu pour Emmanuel Macron, dans ce monde global, est de créer les conditions pour que l’Europe ait une plus grande capacité à décider par elle-même afin ainsi de gagner en autonomie. De ce point de vue, cette vision est aussi celle qu’il imagine pour la France et que j’évoquais dans la partie 1.
Le discours du président français est avant tout politique. Il considère que des choix politiques doivent être fait pour résoudre les questions auxquels les citoyens européens ont à faire face.
Il y a un premier niveau dans son discours de la Sorbonne. Il indique que de nombreux sujets doivent être traité à l’échelle européenne pour être efficace : c’est le cas de la transition écologique, de la lutte contre le terrorisme ou encore des flux migratoires et bien d’autres encore. Disposer d’une dynamique commune sur ces sujets permettrait d’avoir une plus grande cohérence interne mais aussi de signaler au reste du monde la position européenne. Celle ci serait forcément plus unifiée et donc plus écoutée par nos partenaires du reste du monde.
La dimension politique ici est majeure, chaque gouvernement doit engager son pays dans la gestion de problématiques larges allant au delà des frontières nationales.
Sur le plan économique, c’est aussi cette idée de créer une dynamique commune plus autonome qui prévaut. Un budget commun, bien plus important que celui d’aujourd’hui, doit créer les conditions d’une plus grande cohérence dans les choix qui sont fait à l’échelle du continent. Ce budget doit avoir aussi une dimension contra-cyclique, c’est à dire une implication plus grande dans la gestion conjoncturelle de chacun. Il y a une dimension fédérale dans cette option et forcément un nouvel équilibre des pouvoirs entre l’Europe et les Etats comme dans tout état fédéral.
La dynamique sous-jacente ne fait pas l’unanimité en Europe
Les pays, plutôt dans le nord de l’Europe, considère que les gouvernements doivent rester maîtres de leur politique budgétaire et de la gestion conjoncturelle. Ils ne veulent pas d’intégration supplémentaire à l’échelle européenne
Une deuxième approche, allemande, est de favoriser tous les facteurs qui permettront un ajustement endogène de la zone Euro, notamment via l’Union Bancaire.
La troisième approche est celle du président français qui veut une dose de politique et d’engagement supplémentaire de chaque pays avant de modifier encore davantage les institutions. Les choix politiques engagent dans la durée car y sont associés des transferts de souveraineté. Dès lors les autres institutions (Union Bancaire par exemple) peuvent se développer sans trop d’incertitudes.
Les européens devront choisir entre ces trois formes très différentes d’engagement vis à vis de l’Europe et de sa construction. Ils pourraient le faire lors du Conseil de l’Europe les 28 et 29 juin. Ces choix seront très attendus en raison des incertitudes qu’il y a aujourd’hui dans l’évolution européenne. Les orientations suivies par l’Italie, par exemple, ne cessent de nous inquiéter.
Il me semble que le choix plus politique du président français est le plus raisonnable dans le nouvel équilibre que je décrivais en introduction. Il ne suffit pas de produire, il faut aussi peser sur les décisions qui seront prises ailleurs et il n’y a que le politique capable de faire cela.
Ceci est ma chronique pour Forbes – Vous pouvez la retrouver ici