La victoire de Donald Trump a été sans ambiguïté. Les investisseurs ont d’ailleurs salué ce succès : le dollar s’est revalorisé et le Dow Jones a grimpé à son plus haut historique.
Pourtant, les propos du nouveau président américain sont porteurs d’interrogations voire d’inquiétude et d’incertitude pour les marchés financiers.
Il y a trois domaines sur lesquels la situation pourrait évoluer. Le premier est la relation entre la Maison-Blanche et la Federal Reserve, le deuxième est la moindre régulation appliquée au Bitcoin et le troisième est celui de la dette publique.
“Ma seule question est de savoir qui est notre plus grand ennemi, Jay Powell ou le Président Xi” (D.Trump sur X).
Durant son premier mandat, Trump pestait contre la hausse des taux de la Fed, considérant que la banque centrale ne devait pas être la seule à décider du niveau des taux d’intérêt. Durant la récente campagne électorale, il a réitéré sa défiance vis à vis de l’institution et de son président.
Il n’est pas le premier président à s’emporter contre la banque centrale. Nixon, Reagan et bien d’autres l’ont fait. Cependant depuis le premier mandat de Clinton et à l’exception de Trump, la Maison-Blanche s’abstient de tout commentaire sur l’institut monétaire, respectant ainsi l’indépendance de ses choix.
Dans son bras de fer éventuel avec la Fed, le nouveau locataire de la Maison-Blanche dispose de plusieurs armes
- Jay Powell quittera la Fed en Mai 2026. Trump peut attendre cette date pour ensuite placer un de ses affidés.
- Un seul autre membre du FOMC (hors les présidents des banques régionales) va quitter la Fed pour fin de mandat pendant la période Trump. Ce n’est pas suffisant pour inverser les choix qui seront faits.
- Des membres du FOMC pourraient démissionner avant la fin de leur mandat pour permettre un autre choix. Cela s’est déjà vu.
- Trump pourrait démettre Powell de ses fonctions. Celui-ci a répondu, par avance, qu’il ne le ferait pas si Trump le lui demandait. Si le nouveau président décidait de démissionner Powell, l’affaire se terminerait à la Cour Suprême.
On ne connait pas la stratégie qui sera menée par Donald Trump mais la relation pourrait s’envenimer si, en raison des mesures de politique économique du nouveau président, l’inflation menaçait de repartir à la hausse.
La baisse massive des impôts va alimenter la demande et les taxes douanières feront pression sur les coûts des entreprises. La combinaison des deux sera inflationniste obligeant la Fed à relever son taux d’intérêt de référence.
C’est à ce moment là que les tensions pourraient apparaître puisque Trump souhaite à tout prix des taux d’intérêt bas.
Une banque centrale conservatrice est, généralement, la garantie d’un taux d’inflation réduit et peu volatil, un peu à l’exemple des 30 dernières années avant la pandémie.
Les banques centrales sont indépendantes pour éviter toute interaction avec le pouvoir politique, réduisant ainsi le risque d’une inflation élevée et persistante.
Si la Maison-Blanche mettait la bride sur le cou de la Fed, la crédibilité de la banque centrale à satisfaire à son objectif de stabilité des prix et à celui de favoriser la croissance pourrait en être affectée en profondeur.
La question des relations entre le pouvoir centrale et la banque émettrice n’est pas nouvelle mais elle prend une acuité nouvelle avec ce second mandat de Trump. D’abord parce que le nouveau président a une attitude de défiance vis à vis des capacités régulatrices de la banque centrale, ensuite parce que Trump dispose de tous les pouvoirs à Washington. Il pourrait disposer alors des moyens d’infléchir la destinée de l’institution monétaire.
On ne peut écrire l’Histoire en avance mais si ce pion de réduction de l’indépendance de la Fed était avancé, cela créerait forcément de l’incertitude à la fois sur sur l’allure de l’inflation à venir et sur la capacité à la juguler. Cela alimenterait les anticipations d’un taux d’inflation plus fort qui se traduirait en prime de risque sur les taux d’intérêt. Pendant tout la période de l’épisode inflationniste qui a démarré au printemps 2021, la Fed et les autres banques centrales ont réussi à stabiliser les anticipations inflationnistes, permettant de stabiliser l’économie.
Dans une économie qui va profondément évoluer, prendre le risque d’avoir un taux d’inflation élevé et volatil n’est certainement pas le bon choix. Une telle menace serait génératrice d’incertitude et donc de réduction de l’horizon économique. A un moment où il faut investir massivement, ce serait indéniablement la mauvaise option.
C’est pour cette raison que je serai attentif à ces développements. Car si la Fed perd en indépendance, le mouvement pourrait être lancé…
Le rôle des cryptomonnaies
Donald Trump est devenu un adepte des cryptomonnaies. De ces déclarations on perçoit la volonté de reconnaitre et de réguler ce marché via la SEC. Il a même évoqué la possibilité de mettre 10% des réserves de la Fed en cryptomonnaies.
Ces éléments ont été suffisants pour porter le bitcoin vers un niveau record juste après l’élection.
Ces ouvertures résultant de l’élection présidentielle posent plusieurs questions puisque d’un seul coup ce type d’actif pourrait être légitimé.
Le point majeur porte sur la réflexion associée à la création de ces cryptomonnaies. L’idée généralement admise est, après les travaux anciens d’Hayek, de mettre les systèmes monétaires en concurrence. Il peut y avoir plusieurs systèmes monétaires qui sont concurrents et non plus un système centré sur une banque centrale régulatrice qui a le monopole d’émission.
La mise en concurrence de systèmes monétaires permet de limiter le risque puisque chaque système est autonome et peut faire faillite. En outre, l’absence de banque centrale implique qu’il n’y a plus de prêteur en dernier ressort alors que c’est l’élément distinctif de l’institution d’émission.
Autrement dit, le système monétaire actuel est remis en cause et le dollar n’aurait plus le monopole de la création monétaire. Ce serait un changement radical.
La capitalisation des cryptomonnaies est de l’ordre de 10% de la capitalisation des TBonds.
La validation de ces monnaies et une régulation souple permettraient de gagner en volume et en valorisation et donc d’être un substitut à la monnaie officielle.
J’ai un doute sur la mise en œuvre de ces types de monnaies. On peut toujours s’interroger sur la question à laquelle la création de ces actifs est sensée répondre. La seule réponse macroéconomique est que ce système concurrentiel viendra remplacer un cadre de monopole d’émission de la monnaie présenté comme à bout de souffle. L’équilibre monétaire américain en serait bouleversé.
La question de la dette publique
L’irruption de ces nouveaux actifs pourrait poser un véritable problème de cohérence dans le financement de l’économie américaine.
A un moment où le programme économique de Donald Trump est ambitieux avec un coût considérable (entre 7 500 et 8 000 Mds sur les 10 prochaines années) les changements possibles sur la Fed et la dérèglementation des cryptomonnaies jettent un voile d’inquiétude.
Le déficit public associé entrainera une hausse significative de la dette publique américaine. Celle ci représente déjà 122% du PIB américain.
Si la Fed est fragilisée, les taux d’intérêt seront plus élevés en raison notamment d’une prime de risque plus importante.
Si les cryptomonnaies se développent, les actifs alternatifs à la dette publique pourraient être attractifs au regard de l’endettement public.
Ces deux facteurs pourraient alors fragiliser l’architecture financière des Etats-Unis et de l’économie globale compte tenu de la taille du marché américain et parce que la dette publique américaine est intrinsèquement associée à l’actif sans risque.
Les questions restent ouvertes, Donald Trump n’est pas encore assis derrière le bureau ovale, mais on pourrait assister à un bouleversement financier qui n’était prévu dans aucune projection macroéconomique pour les 5 à 10 prochaines années.