La stratégie de l’Europe a rapidement changé durant l’été.
Le rapport Draghi avait provoqué un enthousiasme sur la capacité de l’Europe à devenir plus autonome pour créer de nouveaux revenus. L’innovation insuffisante était l’élément clé pour comprendre le retard européen et le remède pour l’inverser. Investir, à hauteur de 5 points de PIB, était le moyen. La mobilisation de nouvelles ressources était la clé pour engendrer de nouveaux revenus, une plus grande autonomie et une habileté à faire face à un monde changeant.
Pourtant, ce monde a en partie basculé cet été.
Les Européens ont décidé d’accroître leurs dépenses militaires dans le cadre de l’Otan. Ils devront acheter davantage de matériel aux États-Unis. Au cœur de l’innovation dans les années 1960, le complexe militaro-industriel se reforme outre-Atlantique. Les subventions militaires permettaient des innovations utilisées ensuite dans l’industrie. Cette dynamique sera beaucoup plus limitée en Europe.
En conséquence, la possibilité de créer des revenus supplémentaires via l’innovation sera moindre qu’espéré. La faible progression du revenu global devra se partager entre les actifs, qui créent ces revenus et des inactifs de plus en plus nombreux. Ce sera une source de tensions.
Le deuxième élément est la négociation commerciale avec les USA. Outre les droits de douane, l’Europe s’est engagée à acheter 750 milliards de gaz naturel liquéfié dans les trois prochaines années. L’engagement de décarbonation rapide de l’Europe n’apparait plus comme un objectif majeur alors que l’Europe, avec une très forte progression du renouvelable, était en très bonne position pour gagner en autonomie énergétique. Cet objectif essentiel n’en est plus un.
L’investissement de 600 milliards dans un fonds souverain américain est aussi un terrible frein à l’autonomie des marchés de capitaux et à l’autonomie européenne.
Le troisième élément est la réunion sur l’Ukraine dans le bureau ovale après celle d’Anchorage. Les États-Unis et la Russie ont désormais des relations de bon voisinage. L’absence d’un cessez-le-feu comme préalable aux discussions indique que la paix passera uniquement par un partage géographique. C’est la position de Vladimir Poutine.
L’Europe est marginalisée, elle ne participera pas aux prochaines réunions, mais aura en charge la sécurité et la reconstruction de l’Ukraine. L’Europe va donc devoir mobiliser d’importants moyens pour cela. Le contribuable européen va-t-il consentir à cet effort alors que la progression des revenus sera limitée ?
L’Europe est fragilisée dans un monde qui se reconstruit sans elle. Une volonté politique forte est nécessaire pour innover, décarboner et redonner une dynamique interne robuste, moins dépendante du reste du monde.
C’est un nouveau cadre à définir très vite pour éviter que la marginalisation de l’Europe soit actée au risque d’un démantèlement dramatique pour le continent.