La politique économique française est sur le grill.
La première mission de Michel Sapin sera de négocier, à Bruxelles, un délai pour la réduction du déficit public puisque le seuil de 3% ne semble pas atteignable en 2015. Dans le même temps, les négociations continuent sur le pacte de responsabilité et notamment sur le fait de savoir s’il faut, en compensation des réductions de charges, baisser les dépenses publiques de 50 milliards.
Ces questions vont aussi être au cœur du discours de politique générale de Manuel Valls, mardi prochain.
Il peut être pertinent de s’interroger sur les contraintes pesant sur cette politique économique en regardant la dynamique de la croissance française.
Sur longue période le profil du PIB est déterminé par la demande privée
Le graphe ci-dessous présente le profil du PIB français de 1999 à 2013, soit sur toute la période depuis la création de l’euro. C’est la courbe en violet.
Le PIB c’est aussi la somme de la demande privée (consommation des ménages et investissement des entreprises et des ménages), de la demande publique (y compris les investissements) et de la demande extérieur. Dans le graphe ci-dessous j’ai retracé dans la durée la contribution de chacune de ces trois composantes. (j’ai ignoré les stocks).
Toutes les composantes sont à 100 au premier trimestre 1999. J’ai ensuite accumulé les contributions trimestrielles de chaque composante.
On observe sans surprise que le profil du PIB est conditionné par celui de la demande privée. La demande publique a une contribution positive qui progresse de façon stable tout au long de la période alors que la demande externe a une contribution négative. Pour les observateurs de l’économie française, ces profils ne sont pas une surprise.
Ce schéma a changé depuis le début de la crise. J’ai repris la même méthode mais en indiquant une base 100 au premier semestre 208 soit juste avant la faillite de la banque Lehman Brothers.
La hiérarchie n’est pas du tout la même
Le PIB revient au dernier trimestre 2013 au dessus de son niveau du premier semestre de 2008. Cependant, la demande privée n’a plus du tout le même rôle que sur la période longue examinée sur le premier graphe. Sur cette période d’après crise, la demande privée n’est pas revenue à son niveau d’avant crise et sa contribution est légèrement négative à la fin 2013. La demande externe a, sur l’ensemble de la période, une contribution neutre. En revanche, la demande publique a progressé de façon stable, contribuant de façon significative à la croissance du PIB français sur la période.
En d’autres termes, sans une demande publique soutenue, le PIB aurait certainement chuté et n’aurait pas retrouvé à la fin 2013 son niveau d’avant crise.
C’est cette hiérarchie nouvelle qui interroge. Doit elle être maintenue. ou doit elle être bouleversée pour retrouver une allure plus proche de celle constatée sur longue période.
Durant la période de crise, la demande publique s’est substituée à la demande privée. .
La question de la politique économique porte sur l’action à mener désormais.
Une pression trop vigoureuse sur les dépenses publiques aurait un impact négatif sur le profil de la demande publique et donc sur celui du PIB sauf à imaginer un redressement rapide de la demande privée.
On voit bien ici comment la négociation sur la taille du déficit est complexe. La demande privée ne parait pas suffisamment robuste pour prendre le relais d’une réduction de la demande publique. Mais une croissance soutenue principalement par la demande publique n’est pas tenable quand les dépenses publiques atteignent le record de 57.1% du PIB en 2013. Faut il aller au-delà? Certainement pas répondront certainement Bruxelles et certains partenaires européens.
Dans ce cadre, le pacte de responsabilité a pour objet de favoriser l’amélioration de la demande privée, via l’investissement, afin de retrouver une dynamique du PIB tirée principalement par celle ci. Dès lors, la baisse de 50 milliards d’euros des dépenses doit être diluée dans le temps pour que la demande privée puisse effectivement prendre de la consistance et finalement se substituer à la demande publique comme contributeur majeur à la croissance du PIB.
On ne peut pas faire l’hypothèse d’une croissance dont le profil serait durablement conditionné par la demande publique. Ceci n’est pas viable dans le temps car le niveau des dépenses est sûrement excessif à 57.1%, et ce n’est pas la hiérarchie habituelle et normale comme le montre le premier graphe. Cependant, réduire trop rapidement la demande publique aurait un effet fort et négatif sur le profil du PIB.
Il faut mettre en œuvre les incitations pour inverser la tendance sur la demande privée et la renforcer. On avait vu en 2013 que les mesures en faveur du déblocage de l’épargne salariale n’avaient eu qu’un effet marginal. Les ménages sont encore trop inquiets pour dépenser. Toute mesure en leur faveur se traduirait par une épargne supplémentaire. Le levier passe donc par le pacte de responsabilité et l’investissement des entreprises. C’est le seul moyen de renforcer la demande privée et de rétablir la hiérarchie des contributions à la croissance du PIB. Une fois cette demande privée plus robuste, les risques sur la croissance française seront beaucoup plus réduits.
L’enjeu de la politique économique qui sera définie par le premier ministre sera donc de limiter les risques durant la période de transition et de favoriser la substitution progressive de la demande privée à la demande publique sans à-coups excessifs sur la croissance et l’emploi.