Verbatim de ma chronique du jour
Le 1er avril 1988, il y a tout juste 27 ans, je signais mon premier contrat de travail dans le monde bancaire. De nombreux changements sont apparus depuis cette date. J’ai retenu 4 facteurs qui me paraissent pertinents et qui montrent le gouffre qui sépare 1988 et 2015 dans les préoccupations d’un économiste.
Le premier point est qu’en 1988 on regardait l’Amérique de loin. Elle était toujours présente mais pas omniprésente. A l’époque, la préoccupation géographique des investisseurs c’était la France. Les comités de gestion étaient centrés sur ce qui se passait dans l’hexagone. L ‘Allemagne était déjà importante et le Japon était alors l’ogre qui voulait manger l’Amérique toute crue.
Sur les marchés, les Etats-Unis étaient présents notamment lors de la publication du chiffre du commerce extérieur. Nous n’étions pas encore habitué au déficit extérieur structurel des Etats-Unis. C’était d’ailleurs lors de la publication de ce chiffre que le krach d’octobre 1987 s’est mis en branle.
Aujourd’hui la France n’est plus au centre des comités de gestion. La zone Euro a pris sa place et les Etats-Unis sont désormais au cœur des décisions. C’est là une vraie différence. On a le sentiment souvent d’être plus inquiet en Europe de ce qui se passe aux USA que les américains eux mêmes.
L’autre différence est la Chine qui n’était pas visible à l’époque sur le plan économique. Quant aux pays émergents ils n’existaient que par la production de matières premières et de champ d’affrontement Est/Ouest.
En 1988, internet n’existait pas et les emails non plus. Le monde était encore très morcellisé et l’information lointaine n’arrivait qu’avec retard.
La période était euphorique. C’est mon deuxième point.
La croissance repartait spontanément et l’économie française était enfin entrée dans une période d’inflation maitrisée par une bonne dizaine d’années marquées par une hausse des prix élevée souvent au delà de 10% par an. On était dans une situation normale et le krach d’octobre 1987 avait été maitrisé par la Fed qui, forte des leçons de 1929, avait lâché des liquidités pour faciliter les ajustements. Au printemps 1988 la croissance était robuste.
Aujourd’hui on maitrise trop l’inflation et il est impossible de retrouver une croissance forte et robuste dans la durée.Pourtant les banques centrales ont fait le nécessaire.
Le troisième point porte sur la régulation monétaire de l’époque qui était très franco-française mais qui portait aussi une attention particulière à l’Allemagne lors des réunions de la Bundesbank et lorsque paraissaient le chiffre de croissance des agrégats monétaires, le fameux M3. Chacun était attentif à la hausse de M3 car sa progression etait au cœur de la politique monétaire allemande. Une progression ciblée de M3 était censée limiter le risque d’inflation.
Cependant rarement la Bundesbank réussissait vraiment à mettre dans la cible. Ce n’était pas très grave sauf peut être pour les monétaristes qui ne comprenaient pas pourquoi en ratant la cible de hausse de M3 il n’y avait pas plus de perturbations dans l’économie.
Aujourd’hui qui se soucie des agrégats monétaires ? On les regarde lorsque la BCE les publie mais ils ne sont plus au cœur de l’analyse conjoncturelle.
A l’époque la politique monétaire était présente lors des réunions de la Buba, parfois de la Fed et de temps en temps de la Banque de France. Aujourd’hui la politique monétaire est quotidienne. Elle noircit des pages entières dans les journaux. Est elle pour autant plus efficace lorsque la crise dure depuis 2007 ?
Le dernier point est qu’à l’époque il y avait le franc français.
En 1988 il se stabilisait après une longue période d’instabilité consécutive d’abord à la sortie du système de Bretton Woods puis par les débuts volatils du Système Monétaire Européen. En 1988 la politique monétaire n’était pas encore franchement crédible de la Banque de France et les taux d’intérêt un peu excessif au regard des marges de fluctuations du franc. La crise de 1992 montrera que ce système de parités fixes mais ajustables n’était pas la panacée.
Aujourd’hui ces frottements entre les monnaies européennes ont disparu et cela est une très bonne chose car je ne crois pas que les dévaluations récurrentes soient une solution. En outre aujourd’hui la monnaie européenne est la deuxième monnaie globale à coté du dollar américain. Cela donne aux marchés européens un poids considérable notamment sur le marché obligataire.
27 ans c’est long à l’échelle d’une vie mais très court pour une économie. On constate que l’économie a changé de façon spectaculaire à travers les quelques points évoqués. Je ne doute pas que l’économiste qui rentre aujourd’hui dans une banque pour son premier contrat de travail trouvera dans 27 ans des écarts au moins aussi importants. Il y aura peut être beaucoup d’inflation, une croissance mise en œuvre par des robots, un temps de travail de 25 heures et un âge de départ à la retraite à 78 ans ? Qui sait ?
L’histoire n’est pas écrite. C’est à lui, c’est à nous tous de l’écrire car ce qui en résultera nous concernera tous.