La zone Euro doit s’habituer à une période de taux d’inflation bas, durablement en dessous de la cible de 2% que s’est fixée la BCE.
Au sein même de la zone Euro certains pays seront en déflation. En décembre 2013 c’est déjà le cas de la Grèce et de Malte mais l’Espagne, le Portugal ou encore l’Irlande ont des taux d’inflation faibles. Pour eux on ne peut pas exclure des situations de déflation. D’autres pays pourraient être entrés dans une logique de déflation compte tenu du mode de fonctionnement de la zone Euro.
Au delà des inconvénients habituels de la déflation qui pénalisent la conjoncture, la zone Euro doit s’inquiéter des effets d’un endettement fort des ménages dans certains pays menacés de déflation.
Deux points à souligner
Premier point – La dévaluation interne
Au sein de la zone Euro, les ajustements ont pesé sur la demande interne (consommation des ménages + Investissement + Dépenses du Gouvernement).
Deux mécanismes ont joué dans ce sens:
Le premier repose sur l’idée d’une dévaluation interne pour tous les pays dont les évolutions de prix et de salaires avant la crise avaient été excessives. Cela s’était traduit par un taux d’inflation plus élevé que la moyenne de la zone Euro, une hausse rapide des salaires et un déficit courant important. La dévaluation interne a pour objet et pour effet de peser sur les coûts afin de permettre à l’économie de retrouver de la compétitivité.
Le deuxième mécanisme est la mise en œuvre de politiques d’austérité à partir de 2011. La volonté de rééquilibrer très vite les finances publiques ont miné encore davantage la demande interne. La nécessité de regagner de la compétitivité pour favoriser la croissance s’est faite encore plus forte. Ce regain de compétitivité avait alors pour dessein de favoriser les exportations et de créer ainsi une impulsion sur la production.
En d’autres termes, il y a eu un mécanisme de correction des excès antérieurs (la dévaluation interne) et la pression récessionniste des politiques d’austérité. Ces deux facteurs conjugué ont pesé et pèsent encore sur les coûts de production et notamment sur les salaires.
Deux graphiques illustrent ces deux points:
Le premier montre le profil de la demande interne au sein de plusieurs pays de la zone Euro. On observe bien la rupture à partir de 2011 au sein des pays ayant mis en œuvre des politiques d’austérité. Mais pour eux le mécanisme de dévaluation interne avait déjà commencé à peser sur la demande interne. Cela concerne l’Irlande, le Portugal, l’Italie, les Pays-Bas et l’Espagne.
En Allemagne, la demande interne est dans le prolongement de la trajectoire d’avant crise, elle n’est cependant pas suffisamment forte pour compenser les ajustements au sein des autres pays. En France, la demande interne s’est stabilisée en grande partie grâce aux dépenses publiques.
Le second graphique montre l’évolution des coûts salariaux par unité produite. J’ai pris ici des indicateurs hors inflation et comme période de référence, celle avant le début de la crise. Partout les coûts salariaux se replient et en tout cas progressent moins vite que l’inflation.
Le mécanisme d’ajustement est le suivant: pour de nombreux pays la demande interne est déprimée et le taux de chômage élevé; faire redémarrer le marché intérieur devient alors mission impossible. Un catalyseur est nécessaire pour créer une impulsion capable à terme d’entrainer l’ensemble de l’activité économique.
La stratégie est alors de réduire les coûts en pesant sur les salaires.
Les pays de la zone Euro commerçant beaucoup entre eux, il y a une dynamique concurrentielle forte qui n’incite pas les entreprises à fixer les prix à la hausse. C’est ce mécanisme qui est important.
En outre comme le mécanisme d’ajustement est long, on le voit sur le graphique des coûts, la pression sur le niveau des prix s’inscrit dans la durée. Dès lors, imaginer un retour rapide de l’inflation est dès lors illusoire.
De plus en raison d’un taux de chômage très élevé, il n’y aura pas de pressions immédiates sur le marché du travail ni sur les salaires. L’inflation restera basse.
Des mouvements de matières premières pourraient contrarier ce schéma et modifier éventuellement le mode de fixation des salaires. Ce n’est pas ce que j’attends à court terme sur le prix de ces matières premières notamment sur le pétrole dont l’offre est devenue très abondante.
Second Point – L’impact macroéconomique
Le risque de déflation est loin d’être négligeable dans certains pays de la zone Euro au regard des points qui ont été développés.
Cependant l’analyse ne doit pas s’arrêter là. On connait les conséquences négatives de la déflation sur l’activité économique. Il y a deux aspects majeurs.
Le premier est l’indexation négative des salaires. En déflation, le maintien du pouvoir d’achat se traduit par une baisse du salaire nominal. Même si le pouvoir d’achat est conservé, l’impact sur le comportement du salarié est non négligeable. (Keynes évoquait l’illusion nominale sur le salaire. La hausse du salaire incitait à dépenser davantage même si le pouvoir d’achat était stable. En cas de déflation, le salarié aurait l’impression de s’appauvrir et limiterait ses dépenses).
Le deuxième aspect est le report dans le temps des dépenses puisque “plus tard” les prix seront plus faibles.
Ces deux situations ont tendance à déprimer les dépenses de consommation et peuvent aussi affecter les dépenses d’investissement des entreprises si celles ci s’attendent à une inflexion durable des dépenses des consommateurs.
Pourtant aujourd’hui, l’analyse ne peut s’arrêter là. Dans de nombreux pays, les ménages même après 6 ans de crise sont encore fortement endettés. En cas de déflation, la valeur réelle de leur dette va augmenter et peser sur leurs capacités à dépenser.
Dans les années 70 en France, le mécanisme était inverse. L’inflation très forte faisait que le montant de la dette diminuait dans le budget des ménages. L’indexation des salaires permettaient alors de rembourser en “monnaie de singe”. Le salaire augmentait rapidement à un rythme proche de l’inflation. Mais comme la dette avait un valeur fixe en Franc, sa valeur hors inflation diminuait et n’était plus une contrainte pour les ménages endettés.
Cela veut dire qu’il y a une fragilité des pays dont les ménages sont endettés et où le taux d’inflation est proche de 0% ou négatif.
Le graphique ci dessous retrace d’un coté le taux d’endettement immobilier des ménages en 2012 (endettement immobilier sur revenu disponible) et de l’autre le taux d’inflation en décembre 2013.
Pour la France, l’Allemagne ou l’Italie la situation n’est pas alarmiste. Par contre pour les pays compris dans le cercle rouge, il y a une fragilité importante. Si l’Espagne, l’Irlande ou le Portugal basculent en déflation alors chaque ménage devra rembourser chaque mois le même montant en euros mais avec un salaire qui baisse et des prix qui reculent aussi. Le poids de la dette dans le budget des ménages va augmenter fortement et les inciter à réduire leurs dépenses de consommation. Pour la Grèce et Malte la situation est déjà difficile.
Conclusion
Le mode de fonctionnement de la zone Euro est aujourd’hui plutôt déflationniste parce que chaque pays doit retrouver de la compétitivité pour pouvoir espérer exporter davantage ses produits. L’objectif ultime est que cette impulsion permette de redynamiser la demande interne afin de retrouver une allure plus normale.
Cependant cet ajustement pourrait buter pour certains pays sur un endettement excessif des ménages. En cas de déflation, les efforts mis en œuvre seraient alors peu efficaces et l’espoir d’une convergence rapide vers le plein emploi s’estomperait au risque de générer davantage d’instabilité sociale.
La BCE a un rôle à tenir. Pour de nombreux pays, les produits à l’exportation sont des produits de moyenne gamme. C’est le cas de la France notamment. Dès lors pour des produits de ce type, le prix a une importance majeure dans la capacité à être concurrentiel. Un produit haut de gamme n’est pas forcément sensible au prix; un produit de milieu de gamme l’est davantage.
Dans la configuration actuelle, les pays de la zone Euro se font concurrence entre eux car la valeur de l’euro est pénalisante pour capter les marchés extérieurs. Le graphe ci dessous retrace la valeur de la monnaie européenne vis à vis de celles de ses principaux partenaires commerciaux.
La monnaie européenne n’est pas particulièrement bon marché. La BCE a un rôle à jouer pour faire baisser la monnaie unique. L’objectif serait alors d’améliorer la situation concurrentielle de tous, au sein de la zone Euro, afin que la dynamique des exportations ne se fasse pas au détriment d’un partenaire de la zone.
Si le modèle d’ajustement ne change pas rapidement, le risque de déflation n’est pas nul pour certains pays déjà fragiles. L’amélioration conjoncturelle que l’on connait actuellement pourrait alors faire long feu.