Un endettement élevé et une faible inflation ne font pas bon ménage.
J’avais évoqué cette question ici il y a quelques semaines. Paul Krugman en parle aussi dans son blog ce week-end (voir ici). Sur ce thème et en se référant à la Suède, Lars Svensson a une contribution récente importante qui doit nous faire réfléchir en zone Euro.
Endettement et déflation
La question posée est simple: lorsqu’il y a déflation, la valeur réelle de l’endettement augmente provoquant de nouveaux arbitrages dans le budget des ménages.
L’impact est d’autant plus fort que les ménages sont très endettés et que la déflation est souvent associée à une baisse de salaire nominal. Ces arbitrages obligent les ménages à réduire leurs dépenses en biens et services puisqu’ils doivent faire face à leurs engagements financiers.
L’impact macroéconomique provient de ce que la propension à dépenser des ménages est plus forte que celle de l’organisme de crédit vis à vis de qui le ménage s’est engagé. En conséquence, la réduction des dépenses des ménages peut engendrer un choc négatif et persistant sur la demande. C’est la question que je posais dans le graphique ci dessous publié dans mon post de fin janvier.
L’apport de Svensson
Dans un article récent sur son blog, Lars Svensson (lire ici et ici) indique que le risque de déflation et son impact négatif sur l’activité guettent aujourd’hui l’économie suédoise. Le taux d’inflation est déjà négatif (-0.6% en mars 2014 et -0.35% en version européenne harmonisée).
La baisse continue de l’inflation et son passage en territoire négatif pénalise les ménages notamment ceux qui sont endettés. Le raisonnement est simple mais persuasif : le crédit que les ménages ont demandé est calé sur des anticipations d’inflation plutôt stables et proches de l’objectif fixé par la Banque de Suède à 2%. (C’est ce qu’il indique dans le premier graphe ici)
Un emprunt fait avec cette anticipation de 2% n’a plus la même charge réelle lorsque l’inflation flirte avec zéro ou devient négative. En d’autres termes, même si l’évolution des prix n’est pas négative, un taux d’inflation durablement inférieur à la cible de la banque centrale renchérit le coût du crédit et pénalise de ce fait la dynamique de dépense des ménages.C’est ce qu’il indique ici dans le cas de la Suède.
Svensson part d’un exemple concret avec un emprunt d’un million de couronnes suédoises contracté en novembre 2011. La divergence entre l’évolution de la valeur réelle anticipée de l’emprunt avec un taux d’inflation de 2% et la celle observée en prenant en compte l’inflation observée représente, en novembre 2013, un écart de 40 000 couronnes. En d’autres termes la valeur réelle attendue de l’emprunt en cas d’inflation à 2% aurait du chuter de 40 000 couronnes en 2 ans. Cela n’a pas été le cas du fait d’une inflation inexistante. C’est cet accroissement du montant à la charge des ménages qui oblige à des arbitrages nouveaux et potentiellement pénalisants pour la demande et l’économie.
Ce qui est intéressant est que la Suède ne fait pas partie de la zone Euro. Pourtant elle est contrainte par ce risque de déflation. La déflation n’est pas une caractéristique spécifique à la zone Euro. Le mode d’ajustement de la zone Euro peut être une source de déflation mais ce n’est surement pas suffisant. La Suède, non contrainte par l’euro, est elle aussi en déflation parce que sa banque centrale a cru que la dynamique de l’activité était robuste et capable de supporter une hausse des taux d’intérêt.
Ce n’est pas ce que pense Svensson qui attribue cette évolution au relèvement des taux suédois parce qu’il était considéré par la Riksbank que l’économie était stabilisée. Svensson qui était sous-gouverneur à l’époque prônait le maintien d’une politique très accommodante. Il avait été mis en minorité et était parti de la Banque de Suède en mai 2013.
(La remontée des taux en Suède ne peut empêcher de rappeler les deux hausses de taux d’intérêt inutiles et pénalisantes de la BCE en avril et juillet 2011)
Le point à retenir en suivant Svensson est que même si l’économie n’est pas en déflation, le fait d’avoir un taux d’inflation durablement au dessous de la cible de 2% a une incidence qui peut être forte sur l’activité via le renchérissement de la dette et une demande plus limitée.
Les ménages demandent un crédit avec une anticipation de taux d’inflation stable, généralement au voisinage de la cible de la banque centrale. Si l’inflation est durablement plus basse que ce 2% alors il y a un impact à la hausse sur la valeur réelle de la dette par rapport à ce qui était anticipé. Cela pénalise la dépense. Ce phénomène est d’autant plus important lorsque l’économie est en déflation et que les ménages sont endettés.
Cela veut dire que ce n’est pas parce qu’il n’y a pas déflation effective que la banque centrale doit rester sans agir.
Si la BCE n’anticipe pas de convergence du taux d’inflation vers sa cible de 2% avant la période 2017-2020 (elle anticipe 1.5% d’inflation en 2016) alors la dynamique de l’économie va être pénalisée durant toute cette période même s’il n’y a pas de déflation effective.
C’est aussi pour cela que la BCE doit agir afin de limiter le temps passé sous l’objectif d’inflation et réduire l’impact négatif de la faible inflation, qui caractérise la zone Euro, sur la croissance.