L’attention des investisseurs et des économistes s’est portée sur l’évolution mensuelle du marché du travail américain pour mieux anticiper le profil de l’inflation et l’éventuelle réaction de la Federal Reserve.
La hausse des créations d’emplois constatée notamment depuis le mois d’avril 2014 est souvent perçue comme un signal inéluctable d’accélération à venir du taux d’inflation et donc de la nécessaire remontée des taux d’intérêt par la Fed. Pourtant cette équation ne fonctionne pas. Pour l’instant les salaires n’augmentent pas en dépit de ce marché du travail plus réactif.(voir ici pour une description du marché du travail américain)
La dynamique de l’inflation ne viendra pas directement du marché du travail même s’il y a un grand nombre d’emplois créés. Deux graphes permettent de comprendre pourquoi.
Le premier graphique montre la cohérence entre l’évolution des Coûts Salariaux Unitaires (CSU) et les créations mensuelles d’emplois. Les CSU sont plus pertinents que l’indice du coût du travail (Employment Cost Index) publié récemment car il corrige les coûts salariaux de la productivité et sont donc plus représentatifs de ce qui pèse effectivement sur l’entreprise. L’emploi est pris en variation mensuelle. Il est avancé de 12 mois.
Les deux indicateurs représentent la dynamique du cycle économique américain. Les inflexions et les retournements sont cohérents entre les deux séries. Il y a cependant de fortes accélérations sur les CSU. Ils ne viennent pas de l’emploi mais de chocs externes à celui-ci. Il faut noter qu’ils ont généralement une faible persistance.
Si l’on suit ce graphe, même avec la hausse récente des créations d’emplois, le risque de voir spontanément les CSU s’accélérer est réduit au cours des 12 prochains mois.
Le deuxième graphe lie les CSU et le taux d’inflation sous-jacente (calculé à partir des dépenses des consommateurs. C’est l’indice dits PCE).
Les CSU et le taux d’inflation sous-jacente suivent une dynamique commune. Les CSU sont plus volatils mais s’il n’y a pas d’accélération durable de ceux-ci, le risque de voir le taux d’inflation s’accélérer est réduit.
Il y a des chocs sur les CSU mais ils sont temporaires. Pour que le coût du travail ait un impact fort et durable sur l’inflation il faudrait que les chocs sur les CSU soient forts et persistants.
La dynamique de créations d’emplois ne donnent pas de signaux d’accélération excessive des coûts du travail, c’est ce que montre le premier graphe. Les écarts constatés sur ce graphe montre des chocs sur les couts salariaux qui ne sont pas liés à la dynamique intrinsèque du marché du travail.
D’où pourrait venir l’inflation?
Il faut qu’il y ait de la persistance dans les chocs affectant les CSU pour que l’inflation effectivement s’accélère.
Cela pourrait être le cas s’il y avait un changement à la hausse des anticipations d’inflation ou une modification profonde dans le fonctionnement du marché du travail ou encore un choc sur la productivité.
Les anticipations d’inflation évoluent peu. C’est ce que montrent les deux graphiques ci dessous. Les consommateurs américains sondés par l’Université du Michigan n’anticipent pas de bouleversement du profil du taux d’inflation à un horizon de 5 ans, pas plus que les investisseurs dont on peut mesurer les anticipations à long terme via l’inflation à 5 ans attendue dans 5 ans.
Sur le marché du travail, les rigidités susceptibles de créer de la persistance dans les comportements, ne semblent pas s’être renforcées. Sur le chômage de court terme, la dynamique a retrouvé une allure proche de celle d’avant crise. En revanche sur le chômage de long terme la dynamique a changé et pourrait être une source de dysfonctionnement. C’est un point à regarder mais qui ne semble pas aujourd’hui être une source de hausse des CSU. (voir ici pour plus de détails sur l’ensemble de ces questions)
La moindre dynamique de la productivité peut être, à terme, une source majeure d’inflation. L’évolution récente de celle ci est une source d’interrogation. Sur le graphe ci dessous j’ai fait figurer l’évolution annuelle et celle du 4 ans de la productivité. Sur une période plus longue (4 ans) le profil du cycle apparait davantage et facilite la lisibilité. Au début de 2014 la croissance de la productivité est réduite.
Cela a deux conséquences:
l’une sur la capacité de l’économie à accroitre sa productivité dans la durée. En d’autres termes, l’économie est elle toujours capable d’innover? Pour plus de détails sur cette question essentielle voir la discussion entre Robert J Gordon et Joël Mokyr postée sur ce blog ici. Voir aussi dans l’onglet “Nouvelles Technologies” dans les vidéos notamment les deux publiés sur Ted de Gordon et de Brynjolfsson
L’autre conséquence est qu’une productivité réduite limite la capacité des entreprises à dégager un surplus. La baisse de leur profitabilité pourrait être un signal pour essayer d’ajuster leurs prix (comme dans les années 70 même si en raison de la globalisation cette capacité à fixer les prix est plus réduite). La question clé est sur cette question de la capacité à dégager du surplus et donc sur l’investissement humain et en capital.
Il va y avoir encore des chocs sur les CSU mais qui comme dans un passé récent ne présentent pas de persistance. Parmi les trois facteurs explicités, si l’un générait de la persistance alors il faudrait s’alerter rapidement car le profil de l’inflation en serait durablement affecté. C’est ce que je regarde lorsque j’essaie d’appréhender l’évolution à venir de l’inflation.
Néanmoins, et au regard des éléments énoncés, la Fed va, pour les mois à venir, rester davantage conditionnée par la dynamique de l’activité que par celle de l’inflation et cela ne la forcera pas à remonter ses taux d’intérêt rapidement.