La Chine a eu un rôle majeur dans l’ensemble des fluctuations observées sur les marchés boursiers depuis quelques jours. Cependant il faut être discriminant dans l’analyse. Ce n’est pas l’économie chinoise qui d’un seul coup s’effondre mais le marché boursier de Shanghai qui s’ajuste brutalement à la baisse.
Il faut bien distinguer les deux phénomènes et avoir à l’esprit que les fluctuations boursières sont toujours excessives par rapport aux mouvements économiques. Paul Samuelson, probablement l’économiste le plus influent de l’après-guerre, indiquait que les marchés boursiers avait prévu 9 des 5 dernières récessions.
L’économie chinoise n’est plus celle qui, durant deux décennies, connaissait une croissance de 10% par an. Le développement d’une classe moyenne importante, conséquence de ce développement, a modifié en profondeur le modèle de croissance. Cette classe moyenne a d’autres besoins que ceux que l’on constate dans une économie qui décolle. C’est dans cette transition que se trouve la Chine aujourd’hui. Il lui faut adapter son économie vers une croissance plus diversifiée avec une part plus importante pour les services.
Cette transition se traduit et se traduira par un taux de croissance plus faible. Si le profil de l’économie chinoise suit celui du Japon ou de la Corée du sud alors, dans une dizaine d’année, le PIB progressera dans une fourchette allant de 3 à 5 % par an.
Ce passage vers une économie plus avancée est complexe et engendre des bouleversements. L’économie change de forme, de nouvelles activités se créent éliminant les anciennes. De telles ruptures créent forcément des résistances. Dans un pays comme la Chine, les institutions d’Etat sont très présentes notamment via les entreprises publiques. Or celles-ci manquent d’efficacité et les changements qui s’opèrent modifient grandement leur positionnement dans la chaine de décision. En d’autres termes, il y a des résistances aux changements et les politiques favorisant l’endettement ont cherché à maintenir la situation ante plutôt que de faciliter le développement d’une nouvelle dynamique. Cela n’a pas fait mieux fonctionner les entreprises publiques qui manquent de productivité et de profitabilité et cela a bridé le développement de nouvelles activités. La crise chinoise est dans la difficulté de ce passage. Les résistances, politiques notamment au niveau local, sont fortes car ces ruptures modifient la structure du pouvoir.
Le dernier signal des autorités a été la dépréciation de la monnaie chinoise ou comment tenter de créer un choc positif sur l’activité en essayant de retrouver de la compétitivité dans un modèle trop ancien pour réagir.
Le marché boursier de Shanghai a bénéficié d’un changement de règlementation en novembre 2014. Il était devenu plus facile de s’endetter pour acheter des actions. Les chinois, qui aiment le jeu, se sont précipités et le marché s’est envolé. Au pic du 12 juin 2015, le marché de Shanghai avait augmenté de 92% par rapport à la moyenne de l’indice au cours du dernier trimestre 2014.
Cette hausse ne reflétait pas les perspectives économiques puisque les interrogations sur la croissance étaient déjà dans les esprits et la valorisation des actions chinoises apparaissait excessive selon tous les critères des analystes.
Le 12 juin les autorités ont changé la règlementation et les facilités financières ont été réduites. Dès lors ceux qui avaient parié sur une hausse supplémentaire du marché pour emprunter se sont retrouvés contraints et obligés de liquider leurs positions. Le marché s’est retourné brutalement. Le marché de Shanghai a connu alors des ajustements de grande ampleur sans pour autant que cela n’affecte les bourses occidentales.
Les autorités chinoises ont tout fait pour bloquer l’ajustement du marché. L’objectif était de préserver les chinois ayant investi. Mais ces blocages sont inefficaces en limitant la réallocation des ressources des investisseurs. Une “task force” avait conclu en 1987 après le krach de Wall Street qu’il était plus efficient de laisser le marché converger vers une valeur d’équilibre (que l’on ne connait pas a priori) tout en adoptant une politique monétaire accommodante. Les chinois ont bloqué l’ajustement qui devra de toutes les façons s’opérer. Les replis brutaux récents traduisent cette nécessité de réajuster les prix pour allouer les capitaux de façon plus efficace en fonction des contraintes d’endettement qui affectent les particuliers chinois.
C’est la combinaison de l’ajustement du yuan à la mi-août et de ces fluctuations récentes qui a provoqué ces mouvements spectaculaires des marchés boursiers mondiaux.
Ceux-ci ont traduit à la fois l’incertitude relative à l’économie chinoise mais aussi l’idée que la croissance globale pourrait être lente plus longtemps que ce qui était estimé jusqu’alors.
Sur le premier aspect, il y a eu une assimilation entre la baisse du marché boursier et une inflexion forte de la situation économique chinoise. C’est abusif au regard de ce qui a été développé plus haut. Cela ne signifie pas que l’économie chinoise va bien, elle est en phase de transition mais cela ne veut pas dire qu’elle s’effondre. Lundi 24 au soir les commentaires étaient impressionnants assimilant la baisse du marché boursier à la rupture de la dynamique économique. Cela n’était pas cohérent. Le marché chinois sera encore volatil et l’on ne peut exclure des effets ponctuels de contagion. On ne peut pas échapper à une poussée d’incertitude qui ne manquera pas de se produire à un moment ou à un autre.
En revanche, cette situation a mis à jour de façon plus nette le fait que la croissance chinoise allait converger vers des rythmes de progression plus lents de son activité et que la croissance modérée de l’économie mondiale allait s’étendre sur une période plus longue que ce qui était anticipé.
Cela veut dire que les analystes ont commencé et vont devoir réviser leurs perspectives de résultats des entreprises pour les prochaines années à la lumière de ces évolutions attendues sur la croissance mondiale. Cela va forcément engendrer des incertitudes sur les marchés.
Il a beaucoup été question de contagion économique et d’impact sur la croissance européenne.
La croissance chinoise ralentit en tendance et clairement il faut que le reste du monde ait cette tendance à l’esprit. Cela veut dire que l’on ne pourra plus compter sur la Chine comme moteur survitaminé de la croissance mondiale comme cela a été le cas depuis son entrée à l’Organisation Mondiale du Commerce. Dès lors, comme je l’ai évoqué récemment sur mon blog (ici), la croissance de chaque zone sera davantage conditionnée par la gestion qui sera faite localement de la demande interne. Le modèle d’équilibre change et doit effectivement, mais en tendance, prendre en compte le ralentissement de l’économie chinoise.
Cependant, cette perception d’une croissance globale plus lente s’est traduite par une baisse rapide du prix des matières premières industrielles et du pétrole. Cela est équivalent à un spectaculaire transfert des pays producteurs aux pays consommateurs. Les marges des entreprises, notamment industrielles, vont s’en trouver confortée et le pouvoir d’achat des ménages en bénéficiera.
L’effet sera positif pour l’Europe et pour la France. Le consommateur en France ou en Europe est plus sensible à la hausse de son pouvoir d’achat provoqué par la baisse du prix de l’énergie que par le recul des marchés boursiers.
Le prix du pétrole peut encore descendre par rapport aux 40-45 dollars le baril constaté ces derniers jours.
Lors de la crise asiatique à la fin des années 90, le prix de l’or noir avait chuté à moins de 10 dollars. Cela avait provoqué la faillite de la Russie mais avait été un formidable catalyseur de la croissance en Europe et en France en 1999 et 2000. Si les européens ne contraignent pas la demande interne par des stratégies restrictives alors 2016 pourrait être pour l’Europe et pour la France une année de véritable reprise.