Dans un article paru ce matin dans le Financial Times (lire ici), le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz suggère la mise en place d’une zone Euro à deux vitesses.
Il y a deux points qui sont développés dans l’article. Le premier est l’habituel dénigrement de l’euro de la part de nombreux économistes américains; c’était une très mauvaise idée qui ne pouvait pas fonctionner. Le deuxième aspect est la nécessité d’une zone à deux vitesses. Les économies au sein de la zone n’ayant pas les mêmes caractéristiques ni la même dynamique, les ajustements s’opèrent mal. Dès lors la dynamique globale de la zone est inefficace. C’est pour cela qu’il faut adapter la zone Euro avec deux monnaies selon Stiglitz.
Je ne crois pas qu’une zone Euro à deux vitesses soit une bonne idée. Je crains que cela se traduise par la disparition de la zone Euro.
La création de la zone Euro a eu une dimension historique en 1999. C’était alors l’accomplissement d’un processus institutionnel démarré dans les années 1960. L’euro a été lancé dans une période de croissance très forte avec un taux d’inflation limité. Cette environnement et les anticipations qu’il y avait alors ont permis la fixation des taux de change de référence avec l’euro sans trop de difficultés. Chacun était confiant sur la stabilité de la construction sans la nécessité d’ajustements monétaires forts.
Peut on imaginer que la séparation de la zone Euro en deux puisse se faire sans anicroches alors que la croissance est médiocre et que l’inflation est quasi nulle? Bien sûr que non et c’est pour cela que la proposition est peu convaincante.
Supposons une séparation entre un “euro du nord” et un “euro du sud” pour reprendre le découpage de Stiglitz.
La première question porte sur les pays membres de chacun des groupes. Sur ce point on peut avoir une idée même si l’on ne sait jamais où vraiment placer la France.
La deuxième étape est celle du taux de change entre les deux monnaies du nord et du sud. Celle du nord, avec l’Allemagne, est perçue comme spontanément plus forte que celle du sud.
Pourtant il y a une vraie question portant sur le choix du nouveau taux de change. En effet, les conditions ne sont plus celles de 1999; la croissance est médiocre et l’inflation réduite. On doit imaginer que certains pays souhaiteront profiter de ce moment pour ajuster à la baisse le taux de change de leur économie afin de gagner en compétitivité. On peut d’ailleurs aussi imaginer que le maintien d’un taux de change fort est un rempart contre l’inflation et que certains pays du sud souhaitent conserver cette situation.
On peut imaginer que pour améliorer leurs perspectives, l’Italie, la Grèce et le Portugal (voir le graphe) adoptent une stratégie de dévaluation de leur monnaie. Est ce que la France et l’Espagne dont le parcours est très différent auront la même tentation? Rien n’est moins sûr. Dès lors le taux de change optimal au sein des pays du sud serait probablement très différent d’un pays à l’autre. Il y aurait alors un risque d’avoir un euro du nord sans euro du sud s’il ne peut pas y avoir d’accord entre ces pays du sud.
Mais même pour l’euro du nord la situation sera complexe. Les pays membres du groupe auront ils les mêmes anticipations? Vont ils converger vers un taux de change spécifique? Pas certain. Dans ce groupe du nord il y aura l’Allemagne et l’on peut anticiper que la monnaie allemande aura tendance à s’apprécier. Les autres pays du nord souhaiteront ils une appréciation de leur monnaie?
Lors de la période du Système Monétaire Européen (Mars 1979 – décembre 1998) une seule monnaie n’a pas été dévaluée par rapport au mark, il s’agissait du florin néerlandais. Toutes les autres monnaies ont été dévaluées. On ne pourra pas faire un groupe des monnaies du nord avec seulement deux monnaies.
En d’autres termes, au regard du cadre existant, il serait complexe et difficile de trouver un nouvel équilibre susceptible de satisfaire tous les pays impliqués aujourd’hui dans la zone Euro. Chaque pays essaierait de faire le meilleur choix pour lui. En conséquence la probabilité d’avoir des choix cohérents et compatible parait réduite. L’équilibre serait à mon sens à 19 monnaies plutôt qu’à 2.
On doit se souvenir de la période d’après Bretton-Woods durant laquelle le système monétaire international est passé de change fixe à change flexible. Les européens avaient mis en place un mécanisme permettant des ajustements mieux maitrisés de leurs monnaies. C’était le Serpent Monétaire Européen. Cela n’a pas fonctionné car les ajustements à faire étaient trop importants et trop amples pour s’inscrire dans un cadre aussi contraint. A la fin tous les pays étaient partis sauf l’Allemagne.
S’il fallait recommencer la construction monétaire européenne ce serait très différent et l’on pourrait imaginer deux monnaies européennes. Mais dès que l’on imagine une transition vers un état nouveau à partir du cadre actuel, la probabilité de réussite apparait réduite car les intérêts économiques et politiques entre les pays de la zone ne seraient pas compatibles.
En 1999, le moment était historique et était l’aboutissement de l’architecture mise en œuvre dans les années 1960. A cette époque l’Europe faisait l’unanimité chez les politiques et pour l’ensemble des citoyens européens. Chacun était alors convaincu de la nécessité de cette construction. Ce n’est plus forcément le cas. Le référendum récent sur le Brexit au Royaume Uni montre que quelque chose de profond a changé. Il serait difficile actuellement de trouver un consensus sur les questions monétaires comme cela avait le cas jusqu’à la création de l’euro. Chacun adhère à l’euro comme citoyen européen (pour les voyages notamment) mais mettre en œuvre un nouvel équilibre, un nouveau cadre parait hasardeux au risque d’engendrer de l’instabilité. L’absence de consensus sur ce nouveau cadre monétaire avec de nouvelles parités de change se traduirait par le probable éclatement de la zone Euro et la convergence vers 19 monnaies nationales. Dans ce cas, le marché unique et l’ensemble de la construction européenne seraient fragilisés.
La zone Euro est avant tout une construction politique et les solutions doivent être trouvées au sein même de cet espace sinon il y a un risque politique fort. Chaque pays aurait en effet la tentation de choisir son propre chemin. Cela se traduirait par une dynamique moins coordonnée, moins coopérative au sein de la zone Euro et ce serait sous-optimal pour chaque pays.