L’euro avec une parité de 1,18/1,19 contre le dollar est devenu une monnaie chère. Mais la monnaie européenne s’est aussi renchérie face à toutes les monnaies puisque le taux de change effectif de l’euro est revenu à un niveau qui n’avait pas été observé depuis la fin de l’année 2014. L’alignement des planètes ne peut plus compter sur un euro qui se déprécie. Cela complique la tâche de la BCE puisque l’euro fort permet d’importer de la désinflation, éloignant ainsi la possibilité pour l’inflation de la zone de converger rapidement vers la cible de 2% fixée par la banque centrale de la zone.
On peut faire trois remarques préliminaires.
La première est que la hausse rapide de la monnaie de la zone apparaît comme une restriction monétaire. La politique monétaire est devenue plus contraignante et la BCE doit avoir un message confirmant le souhait d’une politique accommodante dans la durée afin de ne pas renforcer une éventuelle anticipation de changement de cap. La deuxième remarque est qu’un euro fort est cohérent avec l’excédent extérieur très élevé de la zone Euro. C’est la baisse de l’euro qui n’était pas compatible avec cet excédent. La dernière remarque est que le dollar est faible. Son taux de change effectif est à un plus bas depuis la fin de l’année 2016. L’Amérique ne va pas bien.
Une fois ces remarques faites, il y a trois explications pour comprendre ce mouvement des monnaies.
La première est politique.
A la fin de l’année 2016, les investisseurs s’attendaient à un euro plutôt faible. La raison principale venait des perspectives politiques très différenciées entre les Etats-Unis et la zone Euro. Outre-Atlantique l’élection de Donald Trump et sa volonté d’une politique budgétaire ambitieuse pour relancer l’économie contrastait avec le risque de populisme observé dans la vieille Europe. Les élections à venir en Autriche, aux Pays-Bas et surtout en France ne laissaient que peu de doutes quant à l’arrivée d’un parti populiste et anti-Euro dans l’un de ces trois pays. Le possible emballement de la conjoncture américaine avec un durcissement rapide de la politique monétaire était arbitré contre un risque d’éclatement de la zone. Le dollar avait toutes les raisons d’être fort et l’euro de passer sous la parité face au billet vert.
Ce n’est pas cependant le scénario qui a été constaté.
La politique économique est aujourd’hui inexistante à la Maison Blanche et le cycle économique s’épuise en dépit d’un taux de chômage très bas. C’est un point de curiosité d’ailleurs pour les historiens : 6 mois après l’accession d’un président à la Maison Blanche il n’y a toujours pas de mesure de politique économique. C’est un désastre et probablement un épisode unique.
En zone Euro, le scénario qui a prévalu a écarté tout populisme du pouvoir. Le risque d’éclatement de la zone est désormais très réduit car les européens veulent l’Europe. C’est ce que montrent ces élections, notamment en France, mais aussi tous les sondages qui peuvent être faits. L’équilibre politique a changé de façon spectaculaire en l’espace de six mois. L’euro n’a plus de raison politique d’être faible et le dollar n’a aucune raison politique d’être fort.
La deuxième raison découle de la première.
Les initiatives politiques, prises notamment par Macron et Merkel, suggèrent la volonté de renforcer les institutions de la zone afin d’en améliorer la pérennité et l’efficacité. La zone Euro apparaît comme une région potentiellement stable. Dans le même temps, l’instabilité s’est installée au Royaume Uni où la négociation pour le Brexit apparaît désormais très incertaine. Elle est aussi marquée aux Etats-Unis où le pouvoir politique fédéral s’oppose aux pouvoir des Etats. On voit aussi les Etats-Unis remettre en cause des engagements américains et être belliqueux parfois sur des accords commerciaux (menaces récentes vis à vis de la Chine). La zone Euro apparaît comme une zone de stabilité politique et de stabilité financière avec la BCE. C’est un aspect majeur pour les investisseurs qui renforce la monnaie européenne.
La troisième raison résulte de la politique monétaire.
La Federal Reserve est apparue plus hésitante quant à la nécessité de remonter ses taux d’intérêt. L’équilibre entre politique budgétaire et politique monétaire n’est pas celui qui était anticipé en début d’année. Si la politique budgétaire manque d’une volonté pour soutenir l’activité alors la politique de la Fed doit continuer d’être accommodante. Dans le même temps, en zone Euro, la croissance se confirme et pourrait encore s’accélérer. Les investisseurs imaginent donc désormais que la politique monétaire accommodante aura une fin. Ce point de vue a été validé par l’interprétation sans doute excessive des propos de Mario Draghi lors du séminaire de la BCE à Sintra. Il y parlait de normalisation à venir de la politique monétaire. Même si le président de la BCE est revenu sur ces propos, il n’empêche qu’une étape a été franchie en zone Euro. Si la croissance continue, la BCE à un moment, qui n’est plus aussi éloigné dans le temps que ce qui était imaginé précédemment, devra durcir le ton.
Cette différenciation nouvelle dans les anticipations de politique monétaire plaide pour une monnaie européenne un peu plus forte que ce qu’elle était.
Ainsi la zone Euro apparaît-elle plus volontariste sur le plan politique, plus unie, plus cohérente et plus stable aussi que les Etats-Unis.
Cette réorientation s’inscrit dans la durée car on ne voit pas comment Donald Trump changerait radicalement au cours des prochains mois alors que l’on a envie de croire à une zone Euro plus intégrée. La monnaie européenne va continuer de rester forte et pourrait s’apprécier encore. C’est pour cela qu’il ne faut pas attendre une politique moins accommodante de la BCE dans les mois qui viennent. Le message sera même dans le sens inverse afin de ne pas heurter la reprise robuste de la zone Euro.
Ceci est la version in extenso de ma chronique hebdomadaire pour Forbes. Le texte original est disponible ici