Ce post est disponible en format pdf Ma chronique du 6 novembre
La croissance de l’emploi américain est robuste. Est-ce un effet Trump ?
L’économie US a créé 250 000 emplois en octobre. C’est un peu plus que la moyenne (213 000) observée depuis le début de l’année. Cependant, généralement, le mois d’octobre est un mois plutôt généreux en nouveaux emplois, l’an dernier le chiffre était de 271 000 et depuis 2013, 246 000 emplois sont créés en octobre contre 206 000 en moyenne pour tous les autres mois.
Globalement le marché du travail va bien et traduit une économie dont le taux de croissance est soutenu mais qui n’a cependant rien d’excessif à 2.25% par an en moyenne depuis 2011.
Ce mouvement haussier est-il lié à la politique mise en œuvre par Trump ?
Non si l’on regarde la tendance car le mouvement observé sur l’économie US se cale sur le cadre qui avait été mis en place par le duo Obama Yellen. La présidente de la Fed avait créé les conditions d’une reprise sans choc alors que l’inflation était réduite. Cela a permis une trajectoire peu volatile de la croissance favorable au marché du travail.
La politique de Trump s’inscrit dans le prolongement de ce profil. La hausse de l’emploi un peu plus marquée en 2018 est l’effet de la politique volontariste menée par le locataire de la Maison Blanche et qui se traduit par une demande domestique soutenue, via la réduction des impôts et la hausse des dépenses publiques. Cela se traduit d’ailleurs par un déficit public au-delà de 5% du PIB.
Le risque inflationniste ne s’accroît-il pas avec la progression plus rapide des salaires ?
L’évolution du salaire moyen dans le secteur privé est repassée au-dessus de 3% pour la première fois depuis 2009. Les pressions nominales s’accroissent enfin avec l’accentuation et l’allongement du cycle économique. On retrouve des territoires cohérents avec davantage de pressions inflationnistes d’autant que la productivité reste limitée. Cela, pour autant, ne se traduit pas pour l’instant par une hausse des coûts salariaux unitaires qui sont toujours autours de 2%.
N’est-ce pas la bonne politique à adopter si l’on veut créer davantage d’emplois ?
L’Amérique a adopté avec l’arrivée de Donald Trump une politique très expansionniste alors que la politique monétaire de la Federal Reserve l’était aussi. Comme l’économie US est peu ouverte, l’impact sur le cycle conjoncturel a été plutôt positif. La croissance est soutenue et les emplois créés sont nombreux ce qui se traduit par un taux de chômage très faible à 3.7% de la population active. Il pourrait baisser encore davantage puis le nombre de personnes (en % de la population en âge de travailler) qui ont un emploi ou qui en cherche un est toujours inférieur à ce qui était constaté avant la crise.
C’est la recette miracle alors ?
Hélas non. D’abord et chacun d’entre nous l’a constaté, la banque centrale américaine a changé de régime depuis l’instauration de cette politique. Les taux de la Fed remontent et son président Jay Powell n’a aucune envie de s’arrêter là puisqu’il considère que la politique budgétaire n’est pas soutenable à moyen terme. Il faut réduire l’aspect accommodant du policy-mix pour que l’économie US suive une trajectoire d’expansion à moyen terme.
La Fed craint l’apparition de déséquilibres qui seraient pénalisants. On doit toujours s’attendre à des pressions inflationnistes un peu plus fortes indépendamment du prix du baril de pétrole. L’accentuation de la demande domestique devrait se traduire par des tensions haussières. C’est d’ailleurs sur ce point que l’on perçoit le mieux le changement de stratégie de la banque centrale. Par le passé, sous la présidence de Janet Yellen, l’inflation était bien inférieure à la cible de 2%. La Fed n’avait alors aucune raison de durcir le ton puisque cela aurait été prendre un risque sur la croissance alors que l’inflation ne menaçait pas. Aujourd’hui Jay Powell veut intervenir de façon préventive pour limiter le risque d’une accélération de l’inflation qui proviendrait d’une demande domestique excessive.
L’autre risque est de voir le déficit extérieur s’accroître. On observe déjà que, depuis la prise de pouvoir de Donald Trump, les importations en volume et hors pétrole progressent plus vite que les exportations. La demande interne plus forte provoque une hausse des importations, c’est un phénomène traditionnel observable dans la plupart des pays. En outre et de façon plus récente, on ne peut exclure qu’une partie de cette hausse des importations traduise des achats de précaution au cas où les droits de douane viendrait encore à augmenter. Ce phénomène n’est pas viable.
C’est pour cela que la Fed préfère peser lourdement sur l’activité plutôt que de laisser se développer ces déséquilibres.
Le dernier point est qu’une telle politique n’est possible que parce que les Etats-Unis ont et créent la monnaie mondiale. Cela est un avantage considérable dont ne bénéficie aucun autre pays.
La zone Euro ne pourrait-elle pas aller dans le même sens ?
Ce n’est pas aussi simple. D’abord parce que le cadre institutionnel de la zone ne permet pas une politique budgétaire aussi expansionniste. On a bien vu lors des discussions récentes qu’il n’existait pas de consensus sur le rôle de la politique budgétaire. Entre les pays de la ligue hanséatique qui veulent garder une politique budgétaire indépendante, l’Allemagne et quelques autres qui souhaitent un équilibre budgétaire presque permanent et la France et quelques autres qui veulent disposer d’une politique budgétaire commune et active, on voit qu’il n’y a pas d’homogénéité entre les composantes de l’Union Européenne ou de la zone Euro. Il n’y eut alliance dans le passé que lors du choc de 2008. C’est un cas bien particulier.
Par ailleurs, l’euro n’est pas la monnaie de référence et ne donne pas à la zone Euro une capacité d’intervention similaire à celle des Etats-Unis. On voit bien, au moment de la mise en œuvre des sanctions américaines sur l’Iran, que la zone Euro ne peut que s’aligner sur les desiderata de l’Amérique sauf à prendre le risque de ne plus avoir accès au marché du dollar. Aucun pays ou aucune entreprise de la zone n’a envie de prendre ce risque. L’Europe et la zone Euro en particulier ne sont pas les Etats-Unis et ne bénéficient pas de l’avantage particulier de pouvoir choisir plus facilement.
Mais n’est-ce pas un avantage qui disparaîtra bientôt ?
Il disparaîtra le jour où le pouvoir politique américain ne sera plus capable d’imposer ses vues. Jusqu’à présent le président américain conserve cette capacité. L’Amérique est bousculée par la Chine sur le plan économique, ce n’est pas encore le cas sur le plan politique. C’est ce basculement possible qu’il faudra observer dans le futur. Il est donc un peu prématuré de faire l’hypothèse d’une perte de puissance des USA même si beaucoup en rêvent.
Comment évolue la dynamique conjoncturelle cet automne ?
L’enquête Markit pour le secteur manufacturier à l’échelle du monde continue de montrer une croissance qui ralentit. L’indice s’inscrit à 52.1 en octobre contre 52.2 en septembre mais il était à 54.5 en décembre 2017. C’est un marqueur d’une économie globale qui n’accélère plus et dont le commerce mondial suit une trajectoire plus modérée.
Parmi les évolutions remarquables de cette série d’enquêtes on notera que la dynamique manufacturière continue de ralentir franchement en zone Euro. C’est pour cela qu’imaginer une inversion de tendance sur la croissance en 2019 est illusoire. Le second aspect est le repli rapide de l’indice britannique. L’indice à 51.1 est le plus bas depuis la période qui a entouré le référendum sur le Brexit. Est-ce que cela intègre la possibilité d’une situation qui ne serait pas aussi favorable pour les britanniques une fois la sortie du Royaume Uni de l’Union Européenne ? On notera que l’indice des services a chuté également.
L’indice ISM américain se modère et les indices émergents sont un peu plus forts qu’en septembre.
Donc pas de rupture mais une économie globale qui ne trouve pas la capacité de retrouver une trajectoire franchement haussière.
Le commerce mondial est-il en phase avec ce schéma ?
En août le commerce mondial a légèrement ré-accéléré lorsque l’on lisse les données sur 3 mois.
Mais le graphique montre que ce mouvement émane principalement des pays émergents et notamment de l’Asie alors que pour les pays occidentaux, la dynamique des échanges reste modeste. Aux USA et au Japon, les échanges sur 3 mois se contractent.
La croissance de la zone Euro peut-elle inquiéter ?
Le rythme de croissance au troisième trimestre a franchement ralenti en zone Euro passant de 1.8% en taux annualisé au T2 à 0.6%. Ce ralentissement ne provient pas de la France puisque la croissance y est un peu meilleure ni de l’Espagne où l’activité progresse à un rythme proche de celui des deux premiers trimestres. Cela provient en partie de l’Italie mais cela n’est pas suffisant pour comprendre l’inflexion européenne. On attend le chiffre allemand avec impatience. (Une analyse plus complète sur la France est développée sur mon blog)
La dynamique confirme que le pic du cycle a été atteint à la fin de 2017 et que désormais l’activité converge vers son potentiel qui est un peu plus réduit que les forts chiffres enregistrés en 2017.
L’acquis pour 2018 à la fin du troisième trimestre est de 1.8% en zone Euro, de 1.5% en France, de 2.4% en Espagne et de 1% en Italie.