Sur le troisième graphe on observe une cohérence assez marquée entre le durcissement de la
politique monétaire et la possibilité d’une récession. Les trois récessions recensées sur le graphe sont toutes précédées par une politique monétaire plus restrictive. Est-ce le cas encore aujourd’hui ? Cette question rejoint le point précédent sur la relation entre le taux de la Fed, la politique monétaire et l’activité. Ce n’est pas l’attente de la Fed.
On pourrait alors rapprocher la situation actuelle de la phase de normalisation de la politique monétaire de 1994. A l’époque, la Fed avait commencé à durcir sa stratégie (un 4 février d’ailleurs) pour lutter contre un éventuel retour de l’inflation, retrouver des marges de manœuvre et rendre la politique monétaire plus compatible avec le cycle économique. On observe cependant, que ce recalage n’a rien à voir avec celui observé actuellement puisque le taux d’intérêt réel était voisin de 4%.
La recherche de fondements économiques à la décision de la Fed ne sont pas conclusifs. La Fed reste optimiste sur le cycle américain mais adoucit le ton. C’est une configuration nouvelle aux USA mais dont la rationalité reste à découvrir sauf à penser que la Fed dispose d’informations qui ne sont pas disponibles pour le public ou qu’elle cherche à prolonger le cycle quoiqu’il arrive.
Les données sur l’ISM ou encore l’emploi au mois de janvier ne suggèrent pas la nécessité d’un arrêt rapide du processus de normalisation de la politique monétaire.
La lecture du communiqué et l’écoute de la conférence de presse montrent cependant un élément nouveau. Si la Fed n’explique pas l’arrêt de la normalisation par des critères internes c’est parce que l’environnement international est suffisamment préoccupant pour engendrer des risques susceptibles de pénaliser l’économie US. Cet argument n’avait jamais été utilisé à ce stade.
On se souvient, qu’en 2016, Janet Yellen avait reporté une hausse de taux en raison de tensions et d’interrogations sur la Chine. Mais il ne s’agissait alors que d’un report. La décision du 30 janvier 2019 est un arrêt de la normalisation. C’est une mesure beaucoup plus radicale et un argument très étrange car le degré d’ouverture de l’économie US est très réduit.
Le graphe ci-contre montre le degré d’ouverture de quelques économies.
L’économie US est une grande économie fermée. Son degré d’ouverture n’est pas significativement différent de celui observé il y a 20 ans. Invoquer et évoquer les fluctuations du reste du monde comme facteur explicatif du changement de politique monétaire est clairement excessif. La Fed s’est concentrée depuis toujours sur les problématiques internes pour déterminer sa stratégie et au regard du degré d’ouverture elle n’a pas spontanément à changer de cadre d’analyse.
On voit sur le graphe que la question ne peut être posée de la même façon en zone Euro ou sous l’influence de l’Allemagne notamment le degré d’ouverture est très important. La sensibilité aux situations du reste du monde est plus importante.
Dès lors l’argument des incertitudes à l’extérieur des Etats-Unis n’est pas totalement convaincant non plus même si ces inquiétudes sont réelles pour tous, américains ou non. Personne ne nie l’éventuel impact du Brexit, du ralentissement chinois ou des tensions commerciales sino-américaines mais l’impact macroéconomique sur les USA apparait limité compte tenu du degré d’ouverture de l’économie US
La Fed arrête ainsi la normalisation de sa politique monétaire pour des raisons qui paraissent peu justifiées au regard de la fonction de réaction habituelle de la banque centrale. L’optimisme de la Fed sur la situation économique est en contraste avec l’arrêt de la remontée des taux alors que le taux réel est encore bien inférieur à 1% (le taux réel va remonter avec la baisse de l’inflation mais pas dans les proportions qui rendraient ce taux comparable aux épisodes précédents). Les justifications ne sont pas internes mais purement externes. C’est étrange dans une grande économie fermée.
L’exégèse du mouvement de la Fed privilégie souvent la dynamique négative des marchés financiers (boursiers principalement). Par le passé, cette explication a fonctionné lorsque la banque centrale intervient après une rupture. Elle doit rapidement rassurer les investisseurs. Ce fût le cas à diverses reprises à commencer par octobre 1987. La Fed n’hésitera pas à le refaire dans le futur.
Dans le cas présent, elle aurait regardé les marchés chuter en décembre avant de s’en inquiéter au moment où le marché US fait sa meilleure performance en 30 ans pour un mois de janvier. Cela parait être une explication excessive même si Powell est apparu de plus en plus dovish ces dernières semaines.
Il ne faudrait pas que pour des raisons conjoncturelles, la banque centrale ait à remonter son taux d’intérêt de référence pour une autre raison que l’inflation. Powell a clairement évoqué l’impact de la baisse du pétrole sur l’inflation et la marge de manœuvre que cela dégageait pour les autorités monétaires. Il indiquait aussi que la banque centrale ne remonterait son taux qu’en cas d’accélération de l’inflation, en raison du prix du pétrole notamment, ce qui parait peu probable cette année.
L’impact d’une remontée des taux serait terrible pour la crédibilité de la Fed. Elle ne peut se permettre que d’abaisser son taux de référence pour rester crédible. Sa seule possibilité de remonter son taux tout en conservant sa crédibilité serait une envolée du prix du pétrole.
Cette perspective va se traduire par un dollar dont les possibilités d’appréciation ont été évacuées. Cela est plutôt une bonne nouvelle pour les pays émergents, notamment ceux endettés en dollar.
Cela se traduira aussi par un repli encore à venir des taux d’intérêt de long terme. La crainte d’un choc négatif dans l’avenir, c’est ce que dit la Fed, va donner un avantage toujours plus marqué aux actifs peu risqués comme les obligations d’Etat. Le taux 10 ans aux USA, en Allemagne, au Japon mais aussi en France vont continuer de subir des pressions à la baisse. Ce phénomène va être facilitée par la gestion du bilan de la banque centrale qui ne sera plus en pilotage automatique mais qui sera utilisée par la Fed comme instrument de sa politique monétaire.