Le gouvernement néerlandais a dépensé 775 millions de dollars pour disposer désormais de près de 13% du groupe Air France – KLM indiquant ainsi la volonté du gouvernement batave de revenir à égalité avec le gouvernement français dans le groupe aéronautique. Les néerlandais ont eu le sentiment que KLM avait été maltraité au sein du groupe dans un passé récent notamment lors de la nomination du nouveau président du groupe. Ce bras de fer est d’autant plus marqué et étonnant que les achats ont été effectués sans prévenir le gouvernement français. Plus récemment, Bloomberg annonçait la possible renationalisation d’EDF afin de gérer au mieux cette branche stratégique de l’énergie en France. L’Allemagne est prête à faire les efforts pour Deutsche Bank si la banque était franchement en difficultés.
Il y a visiblement un changement de doctrine de la part des Etats sur la question du rôle de l’Etat dans le capital des entreprises. La perception de retrouver la notion d’Etat stratège qui avait un peu disparu des manuels mais semble redevenir d’actualité.
Au cours des dernières années, les nationalisations ont été généralement temporaires. Cela avait été le cas de General Motors aux USA en 2009 mais aussi des banques anglaises au plus fort de la crise financière. On peut aussi citer STX en France et cette question est à nouveau discutée avec Ford et Ascoval.
La globalisation n’est plus perçue
comme la solution systématique
La globalisation observée depuis une vingtaine d’années s’est opérée dans un monde ouvert au sein duquel l’allocation des ressources a pu se faire de façon efficace. Cela a bien fonctionné puisque l’industrie est partie dans les pays en développement, notamment en Asie, alors que les pays développés se réservaient les services et les ressources intellectuelles nécessaires pour alimenter le secteur industriel. Une telle allocation de ressources peut être d’une efficacité redoutable si tous les participants jouent le jeu et si chaque pays dans cet environnement a le sentiment de bénéficier d’un tel arrangement.
Une raison du changement en cours est que l’économie globale n’est plus perçue comme coopérative. Lors du vote sur le Brexit, les anglais ont suggéré qu’ils seraient mieux en dehors du cadre européen qu’au sein de celui-ci. C’est ensuite la volonté de Trump et de Xi Jinping de façonner un monde bilatéral et non plus multilatéral.
Le monde qui se met en place n’est alors plus compatible avec la dynamique de globalisation qui était observée dans un passé récent. Le locataire de la Maison Blanche fait un choix plus isolationniste que ces prédécesseurs. Il enraye la mécanique de la globalisation par le biais de droits de douane et de menaces. Du côté chinois la “Belt and Road Initiative” (la Route de la Soie) reflète la volonté de la Chine d’imposer ses propres circuits commerciaux aux conditions dictées par elle.
Dans cet environnement, la dynamique de globalisation change de nature. Si tous les acteurs ne jouent plus selon des règles communes alors chacun peut inventer ses propres règles. C’est ce qui pourrait être en train de se passer.
Une croissance trop réduite
La croissance réduite des pays développés s’ajoute à cette explication. Certains pays veulent reprendre les choses en main afin de pouvoir caler leur économie sur une trajectoire plus élevée. Chaque pays veut pouvoir se donner la possibilité de faire le nécessaire pour tirer son épingle du jeu. Les achats de KLM ressortissent de cette vision des choses. Les néerlandais ont eu le sentiment d’être exclus des prises de décision concernant leur propre compagnie aérienne KLM, ce qui est potentiellement nuisible à l’emploi et au hub de Schiphol à Amsterdam.
L’Etat se veut à nouveau stratège avec l’idée d’être potentiellement plus efficace que le marché. Ceci est très discutable. A la fin des années 70 et dans les années 80 cette approche avait été privilégiée en France avec les résultats que l’on connait. C’est néanmoins à nouveau la volonté du gouvernement français dans le cas d’EDF C’est aussi la volonté de Xi Jinping de reprendre les choses en main. Lors du 40ème anniversaire des mesures de libéralisation prônées par Deng Xiaoping, le président chinois a indiqué que la vertu de l’Etat était plus efficace que les signaux de marché. C’est un choix redoutable en Chine. Cette idée d’Etat stratège est aussi celle du gouvernement néerlandais qui par son action vise l’emploi et l’activité au Pays-Bas et non nécessairement le renforcement de l’efficacité et de la coopération au sein du groupe aéronautique.
Le regain de nationalisme
Enfin, cette volonté de reprendre les rênes s’inscrit dans le regain de nationalisme et de populisme en Europe. De nombreux pays ne veulent plus jouer le jeu des règles de l’Europe sur le plan institutionnel, pourquoi respecteraient-ils ces mêmes règles sur le plan économique ? C’est l’idée que l’on sait mieux faire tout seul qu’en coopération avec les autres. C’est une approche dangereuse car elle désagrège, chacun voulant retrouver son champion national. Cette nouvelle vision au sein de l’Europe peut être liée au Brexit et à l’influence nettement plus réduite des britanniques à Bruxelles. Les Européens retrouvent leurs marottes.
Le monde non coopératif va favoriser le rôle de l’Etat dans le capital des entreprises. Les raisons que j’ai développées ne vont pas disparaitre spontanément. D’abord parce que Donald Trump et Xi Jinping sont au pouvoir pour encore un moment et qu’un changement de doctrine ne parait pas d’actualité. De plus le candidat démocrate Bernie Sanders ne serait pas hostile à un tel processus.
La croissance ne va pas non plus rejaillir violemment dans les prochains mois et donc la tentation de choix plus autonomes et plus stratégiques de la part des Etats seront toujours d’actualité. De ce point de vue, les élections de mai en Europe seront pleines d’enseignements pour voir le degré de basculement de l’Europe vers une économie plus morcelée.
Ce post est disponible sous format pdf Nationalisations