La politique veut prendre sa revanche sur les banques centrales. Depuis le début de la crise, au moins, les banques centrales sont au cœur de la régulation conjoncturelle. Elles sont plus présentes et plus réactives que les gouvernements à quelques exceptions près notamment lors de la relance budgétaire coordonnée de 2009.
Cette hégémonie des banques centrales est combattue à différents niveaux par les “politiques”. Il y a d’abord le combat des démocrates qui, par le biais de l’approche MMT (pour Modern Monetary Theory), suggèrent que c’est au gouvernement de gérer la conjoncture. Il y a ensuite la politisation de la banque centrale. Cela vise les tentatives de Donald Trump pour faire nommer des personnes dont la qualité première n’est pas la connaissance en économie. Il y a aussi Erdogan en Turquie qui prend les rênes de la banque centrale ou Modi en Inde qui change de gouverneur tant que celui-ci ne satisfait pas à ses exigences.
Par un effet de balancier, les “politiques” souhaitent récupérer le pouvoir après avoir laissé les banquiers centraux au cœur du processus de régulation. Ce ne sera peut-être pas aussi simple que cela.
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Retour sur l’indépendance des banques centrales
Les banques centrales ont depuis de nombreuses années une forte emprise sur l’évolution conjoncturelle. Au début des années 80, elles ont eu pour mission de réduire l’inflation que les gouvernements avaient laissé filer. Paul Volcker s’en était alors donné à cœur joie. Ce changement d’équilibre des pouvoirs s’est accentué avec le temps. Les acquis théoriques et empiriques validaient cette idée de la nécessité d’une banque centrale indépendante pour faciliter et optimiser la régulation conjoncturelle.
Lors de la construction de la zone Euro, l’indépendance de la banque centrale est devenue la norme pour les pays membres mais aussi dans de nombreux autres pays.
Avoir deux institutions, le gouvernement et la banque centrale, pour réguler la conjoncture et réformer les structures économiques a été considéré comme judicieux. Les travaux sur la coordination des politiques économiques ont approfondi les complémentarités entre les deux afin d’améliorer l’efficacité de la régulation.
Après la rupture de 2008, la gestion de la crise par les banques centrales a accentué leur emprise. Aux Etats-Unis et en Grande Bretagne, la mise en place de politiques monétaires non orthodoxes a donné un avantage majeur aux autorités monétaires. Elles permettaient aux gouvernements de s’endetter, pour amortir dans la durée le choc de la crise et de ses effets, tout en prenant en charge cette dette par le biais d’achats massifs (Quantitative Easing). La mise en place d’indications prospectives (forward guidance) sur l’allure attendue des taux d’intérêt dans un futur proche a permis aux banques centrales d’infléchir les anticipations des investisseurs dans la durée afin de limiter les orientations intempestives que ces taux auraient pu prendre.
En zone Euro, la BCE a pris son indépendance avec l’arrivée de Draghi. Il a transformé l’autorité monétaire en véritable prêteur en dernier ressort, a autonomisé l’euro et a sorti la banque centrale de l’équilibre politique qui embarrassait son prédécesseur au détriment des véritables questions économiques. Le Quantitative Easing et la procédure des indications prospectives ont aussi permis d’asseoir cette plus grande indépendance.
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Cette indépendance est remise en cause
Les “politiques” trouvent désormais que la réalité leur échappe et que les banques centrales ont pris un pouvoir trop important dans la régulation économique.
Donald Trump a vite expliqué que des taux d’intérêt trop élevés pénalisait la croissance américaine mais Jay Powell, le président qu’il avait lui-même nommé, a résisté aux pressions. Désormais, le locataire de la Maison Blanche tente de saborder le comité de politique monétaire en faisant nommer des membres qui n’ont pas la carrure suffisante. Cela a été le cas notamment de Stephen Moore et plus récemment de Herman Cain, avant que celui-ci ne se rétracte. Les nominations par la Maison Blanche doivent être validées par le Congrès et rien n’est fait. On peut penser néanmoins qu’une nouvelle victoire de Trump en 2020 modifierait ces équilibres en profondeur en raison des renouvellements à venir. C’est un risque fort pour l’indépendance de la banque centrale américaine au cours des prochaines années.
Dans un passé récent déjà, les républicains du Congrès voulaient inscrire le comportement de la Fed dans un cadre bien défini du type fonction de Taylor. Une telle situation limiterait nécessairement la capacité d’interprétation de la conjoncture par la banque centrale au risque de provoquer des mouvements de taux d’intérêt excessifs susceptibles de perturber durablement l’allure de l’économie.
A plus courte échéance, la principale remise en cause des banques centrales vient du parti démocrate américain et notamment de ses potentiels candidats à l’élection présidentielle les plus à gauche.
Bernie Saunders et Alexandria Ocasio-Cortez (AOC), notamment, veulent réhabiliter le politique face à l’économique. Le premier, le politique doit être celui oriente alors que le second, l’économique, ne fait que gérer. Ils s’appuient sur la Modern Monetary Theory (MMT) qui suggère que la taille du déficit importe peu si la dette est financée en monnaie locale. Dans ces conditions, les ajustements conjoncturels s’opèrent via des mouvements sur les dépenses et la fiscalité et non plus principalement par des mouvements de taux d’intérêt.
La croissance et l’inflation seraient donc mieux régulés par le gouvernement que par la banque centrale. Beaucoup d’économistes doutent de cette approche qui n’a de théorie que le nom et qui inquiète puisque par le passé, la prise en main de l’économie par le gouvernement au détriment de la banque centrale s’est souvent achevée par des phases d’instabilité marquées. Le premier souvenir qui me vient à l’esprit est l’hyperinflation allemande même si cela peut paraître excessif avec des élus raisonnables.
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Une inflexion inscrite dans la durée
Ce qui compte ici n’est pas tant l’approche théorique que le basculement que cela peut traduire en termes de hiérarchie des autorités régulatrices. La banque centrale aurait, dans ce changement de hiérarchie, une action qui serait conditionnelle à celle du gouvernement. C’est un renversement radical par rapport aux 40 dernières années. On peut faire plusieurs remarques
Pour la BCE, le remplacement de Draghi et d’autres membres du board sera à suivre avec intérêt avec ce schéma à l’esprit d’autant que cela aura lieu après les élections européennes.
Les banques centrales disposent malgré tout d’un avantage majeur. Elles ont systématiquement présenté, par le passé, une solidarité forte et durable dans les périodes de crise afin de limiter les risques sur la liquidité. Cette capacité à réagir et à s’allier en dehors de tout schéma politique a permis de réduire la longueur et la profondeur des crises. On ne peut pas attendre spontanément un même comportement des gouvernements dans la durée. La solidarité de la relance de 2009 n’a été que de courte durée, cela n’a pas été le cas pour les banquiers centraux.
Dans un livre récent, Paul De Grauwe suggère que l’économie évolue selon un mouvement de balancier entre une prépondérance pour les marchés et une prépondérance du gouvernement dans la régulation globale. L’excès de régulation par le marché se traduisaient par des déséquilibres qui, in fine, étaient corrigés par une intervention plus forte du gouvernement. Celui-ci reprenait la main, provoquaient des déséquilibres qui ne se corrigeaient qu’en acceptant davantage le rôle des marchés….
Un tel mouvement de balancier parait a priori improbable mais ne soyons pas incrédules, les politiques en Chine et aux USA ont repris du pouvoir, davantage d’ailleurs en Chine. Le mouvement populiste en Europe est avant tout un mouvement politique. Il ne semble pas devoir s’interrompre rapidement tant que la classe moyenne ne bénéficiera pas pleinement de la croissance.
Ce post est disponible en version pdf Ma chronique hebdo du 23 avril