L’Allemagne a annoncé ce lundi avoir dégagé un nouvel excédent budgétaire record de 13.5 milliards de dollars. Une annonce à propos de laquelle le ministre allemand des Finances s’est réjouit, déclarant : “Nous avons un peu de chance, et un bon management”.
Atlantico : Si l’excédent budgétaire de l’Allemagne semble à prime à bord être une bonne nouvelle et attester d’une bonne gestion de l’économie du pays, cet excédent budgétaire ne dénote-t-il pas d’un manque d’investissements publics sur le territoire allemand ?
Philippe Waechter : C’est un peu plus complexe que cela car l’excédent budgétaire n’est pas un gage de bonne gestion.
Il faut avoir à l’esprit la dynamique de l’économie allemande au sein de laquelle deux points sont à souligner. Le premier est que l’économie allemande est très dépendante des échanges avec le reste du monde. C’est une source d’expansion majeure qui est relayée par de l’investissement productif pour répondre à cette demande de façon efficace. La demande domestique n’a pas exactement le même rôle que dans un pays comme la France.
Le deuxième point est de s’interroger sur l’opportunité de faire une relance budgétaire alors que le taux de chômage est au-delà du plein emploi. Cela n’aurait pas beaucoup de sens de vouloir à tout prix relancer l’économie allemande. Elle a besoin d’investissement public pour ses infrastructures afin d’avoir une situation sur les routes ou ailleurs qui soit satisfaisante. Mais en aucun cas cela peut être une source de relance budgétaire dans une économie au plein emploi.
Par ailleurs, la philosophie de la politique économique en Allemagne est de n’intervenir que lorsque le secteur privé ne dispose plus des capacités à s’ajuster notamment après un choc négatif. Cela avait été clairement le cas après le choc de septembre 2008. Ce n’est pas la question aujourd’hui.
Atlantico: L’excédent budgétaire ne démontre-t-il pas également que l’Allemagne fait cavalier seul ? En d’autres termes, elle se porte bien car elle ne participe à aucun plan de relance de la zone euro ?
Philippe Waechter : La question posée de longue date est celle d’un budget européen qui aurait des vertus contracyclique dans la gestion du cycle. C’est une construction que Mario Draghi, le président de la BCE, a longtemps appelé de ses vœux mais sans succès. Christine Lagarde qui lui a succédé a adopté la même vision. On comprend bien la raison des banquiers centraux. La politique budgétaire est restrictive depuis 2011 car il n’y a pas de coordination globale qui permettrait d’être le contrepoids de la politique menée par la BCE. Ce n’est pas ce cadre qui a été choisi collectivement à l’échelle européenne. Cela se traduit par la recherche d’équilibre budgétaire pour chaque pays comme le veut la réglementation européenne. Cela s’est traduit aussi par un sur-ajustement de la politique monétaire. Celle-ci est obligée d’être encore plus accommodante que nécessaire afin de compenser le caractère restrictif de la politique budgétaire et limiter ainsi le risque sur l’activité économique.
L’Allemagne s’inscrit dans le cadre européen qu’elle a modelé. Elle considère qu’en dehors des cas de chocs forts et persistants l’ajustement se fait à l’échelle privé et que l’état n’a pas à intervenir. C’est un choix de modèle.
Ce dont on souffre ce n’est pas d’une sorte d’égoïsme allemand mais de l’incapacité qu’ont eu les européens, gouvernements et commission, à construire dans la durée un cadre de politique économique efficace à l’échelle européenne tout en contrebalançant le rôle de la BCE. Rien de tout cela n’existe car chacun veut conserver sa souveraineté budgétaire. Le talon d’Achille de la zone euro est ici puisque chaque pays peut agir sans avoir de comptes à rendre sauf lorsqu’il est en déficit budgétaire.
Tout cela n’est pas très efficace.
Atlantico: Pourquoi l’Allemagne fait-elle “bande à part” ?
Philippe Waechter : L’Allemagne n’a pas une économie qui fonctionne comme les autres grands pays. Tous, après la crise de 2008, ont perdu en potentiel de croissance, pas l’Allemagne. Sa croissance moyenne depuis 2010 est un peu plus forte que celle observée sur la période précédent la crise Lehman. La France, l’Angleterre ou les USA ont une croissance tendancielle plus faible après la crise, pas l’Allemagne. Sa dépendance au commerce mondial est plus fort que n’importe lequel des grands pays développés. C’est ce qui l’a aidée dans la reprise mais c’est peut être sa fragilité aujourd’hui puisque les échanges mondiaux se contractent. Faut il pour autant mettre le modèle allemand à la poubelle ? Il est trop tôt pour le dire.
Ce que l’on peut regretter est que l’Allemagne, depuis de très nombreuses années, ne joue pas complètement le jeu européen. Le leader devrait avoir pour mission de faire le nécessaire pour que les autres pays sortent des difficultés. Cela aurait pu passer par le mécanisme d’un vrai budget européen que les allemands ont rejeté car non conforme à leur philosophie de non-interventionnisme.
Ce qui est préoccupant sur ce point n’est pas l’Allemagne mais le fait que les successions de crises ou de tensions depuis une dizaine d’années ne se sont pas traduites par une vraie amélioration du fonctionnement de l’UE alors que c’était la recette systématiquement évoqué. L’Europe s’intégrait davantage dans les périodes de crise. Pas sûr que ce soit le cas en ce moment. L’étape d’intégration supplémentaire semble difficile à franchir. Il n’y a pas que la politique budgétaire qui n’est pas à la hauteur. On pourrait aussi évoquer l’union bancaire ou l’union des marchés de capitaux dont les progrès sont trop lents. Les initiatives ne sont pas relayées suffisamment pour aboutir à une construction globale et homogène au sein de l’UE et plus encore au sein de la zone euro. Ces choix collectifs qui n’aboutissent pas sont un coût considérable qui fragilise la notion d’Europe dans la durée.