La hausse des taux américains entraine les taux du reste du monde.
Deux raisons à cette augmentation:
1 – la progression rapide du prix du pétrole, reflet des anticipations d’une demande plus forte et des mesures prises sur l’énergie par Joe Biden,
2 – la relance proposée par le nouveau président américain.
La zone Euro pourrait profiter de cette situation si la BCE reste très active au cours des prochains mois afin de tirer les taux d’intérêt vers le bas, d’accroître ainsi l’écart de taux d’intérêt avec les US et de renchérir le billet vert. La relance européenne pourrait finalement et une fois de plus passer par la reprise américaine.
La hausse des taux d’intérêt de long terme est le principal changement sur les marchés financiers depuis le début de l’année. De moins de 1% dans les premiers jours de 2021, le taux a 10 ans sur les obligations de l’état américain est largement supérieur à 1.4%. Cette augmentation des taux US a provoqué la remontée des taux en Europe. Le taux du 10 ans en France est même repassé en territoire positif.
Cette hausse des taux d’intérêt survient alors que les banques centrales ont signalé leur volonté d’intervenir encore massivement sur le marché de la dette publique. En 2020, cette intervention des autorités monétaires était une explication majeure de la chute des taux. Elles continuent d’être très présentes mais sans, pour l’instant, empêcher la remontée.
La décomposition du taux 10 ans américain, entre la partie réelle, qui est cotée via les obligations indexées sur l’inflation, et la partie inflation qui est l’écart entre le taux nominal et le taux réel, montre des allures récentes très différentes.
C’est la partie inflation qui est remontée très vite au cours des dernières semaines. La partie réelle est stable sauf au cours des deux derniers points observés sur le graphe. La hausse du taux réel reflète une hausse des anticipations d’accélération de la croissance à terme, en phase avec le vote du plan de relance de l’administration Biden.
La hausse du point mort d’inflation peut s’expliquer de deux façons. La première résulte de la hausse du prix du pétrole qui alimente les anticipations d’inflation, la seconde de l’impact du plan Biden qui revalorise le taux réel.
Le rôle essentiel du prix du pétrole
Sur le graphe, on constate une allure similaire entre le point mort d’inflation de long terme et le prix du pétrole. Le mouvement du prix du pétrole se reflète dans l’allure des anticipations tant à la hausse qu’à la baisse. Cette corrélation est une mesure de la crédibilité des banques centrales et de la Fed en particulier sur ce graphe. Pour deux raisons
1- Les banques centrales ne réagissent pas au mouvements du prix de l’énergie….
2- …parce que la transmission du choc du prix du pétrole sur les prix internes, mesurée soit par les salaires soit par l’inflation sous jacente, est très réduite.
Dès lors puisqu’un mouvement sur le prix du pétrole n’a pas d’effet persistant sur l’inflation, la volatilité de l’inflation s’explique par celle du prix du pétrole.
La hausse récente du prix de l’or noir expliquerait ainsi une large part de la hausse des taux d’intérêt.
La hausse du prix du pétrole résulte de deux phénomènes dont on voit sur le graphe qu’ils sont des points de rupture dans l’allure du prix du pétrole.
Le premier est l’annonce du vaccin Pfizer. Ce vaccin et ceux qui suivent permettront un retour à la normale de l’économie, provoquant ainsi une demande de pétrole plus élevée.
Le second facteur reflète le choix de Joe Biden d’être plus volontariste que son prédécesseur dans la lutte contre le réchauffement climatique. Le retour dans l’accord de Paris le 20 janvier et l’executive order du 27 interdisant l’exploration de pétrole et de charbon sur les territoires fédéraux changent la dynamique structurelle du marché du pétrole. L’objectif est la neutralité carbone à l’horizon 2050.
Le plan de relance de Joe Biden
L’autre source d’incertitude vient du plan de relance proposé par Joe Biden. Ce plan de 1 900 mds de dollars a créé une polémique entre économistes.
Pour la Maison Blanche, son objet est de remettre la classe moyenne au centre de l’économie américaine, cette classe qui a subi la globalisation depuis quelques décennies et qui a été déclassée et celle aussi qui a subi les conséquences de la pandémie. Le plan doit pouvoir aider tout le monde et dans ce cas il est souhaitable qu’il soit plutôt trop large que trop étroit. Chacun a à l’esprit le fait que la plan de relance de 2009 était perçu comme trop limité, ne permettant pas à l’économie de retrouver sa tendance d’avant la crise financière.
Cependant, ce plan pourrait se traduire rapidement par des tensions sur l’appareil productif au risque de provoquer un regain d’inflation et l’obligation pour la Federal Reserve de réagir face à la hausse des prix. C’est l’idée avancée par Larry Summers et Olivier Blanchard. Une mesure du risque de surchauffe est l’écart entre le PIB à la fin 2020 et le PIB moyen de 2019. Cet écart est de -1.6% en prenant le PIB en volume alors qu’il est légèrement positif (0.25%) sur le PIB nominal. L’ampleur du plan Biden pourrait effectivement créer une demande susceptible de provoquer des tensions et générer des risques inflationnistes.
On peut faire deux remarques sur cette discussion
La première est que depuis la crise financière de 2009 le taux de chômage est passé de 10% à 3.5% sans pour autant provoquer de tensions inflationnistes. Le graphe ci-contre démarre du point bas du cycle en juin 2009 et s’arrête en février 2020 juste avant la crise sanitaire.
La capacité de l’économie américaine à engendrer de l’inflation apparaît réduite à court terme. Pourtant, un taux de chômage à 3.5% est bien au-delà du taux de chômage d’équilibre qui est souvent perçu comme proche de 5%.
La deuxième remarque porte sur l’output gap.
Le Congressional Budget Office (CBO) a calculé une trajectoire du PIB potentiel américain. Il a été vite remarqué que l’économie irait très vite vers cette trajectoire et encore plus vite en cas de mise en œuvre du plan Biden.
Les projections du PIB potentiel apparaissent plus volatiles que le PIB lui-même. C’est ce que suggère le graphe. Ainsi après la crise de 2009, les projections étaient-elles très élevées par rapport à ce qui a été effectivement observé.
L’output gap qui est l’écart entre le PIB potentiel et le PIB observé est un concept rassurant, pas sûr qu’il soit aussi pertinent que l’on puisse le souhaiter. Ceci d’autant que la crise sanitaire oblige à repenser la structure de l’économie puisque de nombreux secteurs ne fonctionneront plus comme ils le faisaient avant elle.
La Federal Reserve ne semble pas être dans l’urgence. D’abord parce que la banque centrale a la perception d’un marché du travail peu homogène. Pour les personnes qualifiées, le choc sur le marché du travail est terminé depuis un moment alors que pour les personnes mal qualifiées, le choc est persistant. Ce constat n’est pas incompatible avec le point avancé par Jay Powell selon lequel le taux de chômage est plus proche de 10% que du chiffre officiel de 6.3%. La Fed donne le signal qu’elle est prête à rester très accommodante pour redonner du lustre à l’économie américaine, même si éventuellement il y a un peu d’inflation. Mais cela n’est pas un souci pour elle puisque l’importance de l’objectif d’inflation a été fortement réduit dans la fonction de réaction de la banque centrale. L’inflation peut désormais être durablement au-dessus de 2% sans que la Fed ne soit obligé de durcir sa stratégie monétaire. Elle n’interviendra pas brutalement dans le cas d’une inflation un peu plus élevée que la norme.
La situation a changé aux USA. Le plan de relance va tirer la croissance à la hausse et accélérer la convergence vers la tendance de l’activité connue avant la crise sanitaire. Dans le même temps, le changement structurel du marché du pétrole avec la décision de la Maison Blanche sur l’exploration va maintenir le prix du Brent à un niveau élevé. Le marché a changé structurellement car le pétrole américain ne sera plus exploité aussi facilement que sous l’administration précédente. La baisse de la production pétrolière constatée depuis le mois de mars dernier pourrait ne pas s’inverser aussi facilement qu’anticipé, créant ainsi un changement d’équilibre durable.
La combinaison de ces deux éléments, croissance et prix du pétrole, vont se traduire par des taux d’intérêt plus élevés aux Etats-Unis même si la Fed continue d’intervenir maintenant et pour de nombreuses années encore. Avec la relance, le point bas des taux américains est passé.
Comment la zone Euro pourrait en profiter
La situation est asymétrique entre les Etats-Unis et l’Europe. La hausse des taux d’intérêt trouve son origine outre-Atlantique et l’Europe la subit.
Cette asymétrie largement conditionnée par le comportement de la Maison Blanche rappelle forcément ce qui s’était passé au moment de la relance mise en place par Ronald Reagan. A l’époque, la relance américaine avait été mise en place alors que l’Europe était inquiète et ne retrouvait pas le chemin de la croissance après le deuxième choc pétrolier. La relance française de 1981 avait échoué, les ajustements monétaires après la création du système monétaire européen (SME) provoquaient un peu d’instabilité et l’Europe s’interrogeait sur son avenir. C’est sur le plan politique que la situation était la plus complexe. Elle se caractérisait par la situation d’eurosclérose, cette incapacité à avancer davantage dans l’intégration européenne et par la crise des missiles Pershing qui positionnait le vieux continent entre l’Amérique et l’URSS.
La relance de grande ampleur du président Reagan, élu en 1980, est mise en place à partir de 1981. C’est une relance de la demande interne, très keynésienne donc, qui s’est très vite traduite par une hausse des taux d’intérêt américain.
La situation asymétrique entre les USA et l’Europe s’est traduite par un élargissement sans précédent de l’écart de taux d’intérêt entre les deux régions. Le marché des taux d’intérêt n’était pas encore vraiment intégré à l’échelle internationale et le cloisonnement permettait des écarts durables. Un des accomplissements de l’administration Reagan avait d’ailleurs été de faciliter cette intégration financière pour que le financement de l’économie américaine puisse s’opérer sur une échelle plus vaste. C’est à partir de cette période que la finance prend son envol et que les banques centrales marquent leur prééminence sur la régulation macroéconomique.
Le cloisonnement des marchés a permis le maintien d’un spread très important, chaque taux d’intérêt représentait les conditions locales de son économie. Une conséquence majeure de cette configuration avait été une appréciation sans précédent du billet vert avec un pic en février 1985. A l’époque, la hausse des taux d’intérêt avait été très rapide alors que l’inflation commençait à se résorber. De la sorte, le taux réel à 10 ans américain (mesuré comme le taux nominal moins l’inflation) a bondi beaucoup plus fortement que le taux réel européen facilitant l’appréciation de la monnaie américaine.
Pour éviter une remontée des taux d’intérêt européen trop rapide et pour éviter un étouffement trop rapide de la reprise, il faut que la BCE reste très active et qu’elle continue à acheter des titres publics comme cela était prévu. Si l’on suit les engagements d’achat de la BCE et les émissions prévues par les gouvernements alors dès le mois de mars, les achats de la BCE devraient être plus élevés que les émissions nettes de dette publique. Ce serait un bon moyen de maintenir les taux d’intérêt très bas en zone Euro alors que dans le même temps, en raison du déficit public considérable outre-Atlantique la Fed ne pourra pas avoir la même emprise sur le marché.
L’intervention de la BCE pourrait permettre de rejouer le cloisonnement du début des années 1980 favorisant ainsi une hausse du billet vert et rendant possible une reprise de grande ampleur en Europe.
Le plan de relance américain pourrait ainsi pallier l’absence d’un plan de rattrapage de la croissance aussi ambitieux en Europe et en zone Euro. Le plan proposé par la Commission est davantage structurel et devrait permettre le redéploiement de l’activité au sein de l’Europe au cours des prochaines années. Cependant à court terme, on manque de l’impulsion qui permettrait de converger rapidement vers la tendance d’avant crise.
A la BCE de mettre en place les conditions pour que les taux d’intérêt restent bas et aux gouvernements de faciliter la transmission du plan de relance US vers l’activité européenne. L’impact sera forcément moindre qu’au début des années 1980 car l’Amérique est plus dépendante désormais de la Chine qu’elle ne l’était à l’époque mais il faut tout faire pour en bénéficier et ne pas se retrouver à la traîne de l’économie mondiale comme il y a 10 ans.
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