Faut il changer de cible d’inflation ?
Si l’inflation est durablement plus élevé et pour longtemps, les banques centrales vont vite se sentir à l’étroit avec une cible de 2%.
L’économie change radicalement avec la transition énergétique. Les banques centrales doivent aussi en tenir compte. Le changement de niveau de la cible d’inflation est un moyen de s’adapter à ce nouvel environnement sans pour autant perdre en crédibilité.
Dans un article des Echos, Olivier Blanchard suggère aux banques centrales de changer de cible d’inflation pour la fixer à 3% au lieu de 2%.
Pourquoi 2%?
Depuis les années 1990, les banques centrales ont fixé ou il leur a été fixé une cible d’inflation à 2%. Ce chiffre est associé à la stabilité des prix.
Une cible plus basse n’était pas souhaitable en raison du risque de déflation associée à une évolution trop réduite des prix. Les banquiers centraux détestent, à raison, la déflation car cela peut modifier en profondeur les comportements et pénaliser la croissance et l’emploi.
Dans un vieux rapport, la Commission Boskin indiquait que l‘inflation mesurée par le CPI était généralement un peu plus élevée que la “vraie inflation”. Cet écart était de l’ordre de 1.3% jusqu’en 1996. Dès lors, choisir une cible trop basse c’était prendre le risque de se trouver en déflation. La cible de 2% pouvait être alors choisie.
Il n’y a cependant pas de fondement théorique qui identifierait un taux d’inflation optimal tendant vers ce chiffre magique.
L’argument de Blanchard
Son propos peut se résumer de la façon suivante: le principal risque de persistance de l’inflation passe par les salaires. Il met en exergue ce point dans un papier récent écrit avec Bernanke, l’ancien patron de la Fed. Les autres sources de l’inflation peuvent s’atténuer (les effets du plan de relance de Biden), s’inverser (le prix de l’énergie) mais les salariés ne souhaitent pas voir leur pouvoir d’achat rogner. Ils peuvent revendiquer dans la durée au risque de provoquer des effets de persistance.
Dès lors, il faut soit s’accommoder de ce risque de persistance au risque de voir l’inflation s’inscrire un peu plus haut un peu plus longtemps, soit tout faire pour converger vite vers la cible de 2% et retrouver une certaine normalité.
Blanchard remarque que les banques centrales en ne voulant pas se départir de cette cible de 2% prennent le risque de pénaliser durablement le marché du travail. En effet, si les salaires sont la première source de persistance, réduire leur évolution de façon significative c’est forcer l’économie à entrer en récession pour inverser la dynamique trop robuste du marché du travail.
Dans un papier écrit en 2015, avec Larry Summers et Eugenio Cerruti, Blanchard concluait que chaque récession a un coût à long terme et que c’était pour cela qu’il fallait éviter de prendre le risque d’une récession. Donc lutter à tout prix pour finalement casser le marché du travail est un arbitrage qui pourrait mener rapidement les banques centrales à des taux d’intérêt plus élevés que ceux actuellement observés. Aux US et en zone Euro, les créations d’emplois sont fortes et le taux de chômage est au plus bas. Inverser cette dynamique serait pénalisant.
Pourtant c’est la position rappelée par Christine Lagarde la semaine dernière lors du séminaire de la BCE à Sintra. La Banque Centrale Européenne partage l’idée que la persistance viendra des salaires mais au lieu de s’en accommoder elle y voit l’obligation d’une politique restrictive dans la durée, espérant ne pas provoquer une récession majeure.
Blanchard suggère que plutôt que de suivre cette voie, il peut être préférable de s’accommoder d’un taux d’inflation plus élevé et de gagner en souplesse d’ajustement.
Il suggère 3% considérant que 4% pourrait avoir des effets plus marqués sur le consommateur. En prônant 3%, il indique que ce n’est pas un chiffre très différent de 2% et que le changement ne bouleverserait pas le consommateur.
Les remarques de Gita Gopinath
Dans son propos tenu à Sintra, Gita Gopinath, ancienne chef économiste en chef du FMI, suggère que l’économie de demain pourrait être plus inflationniste que par le passé.
Deux raisons principales:
- La première porte sur les contraintes d’offre avec des restrictions sur les échanges et les investissements directs affectants directement la fluidité des processus de production.
C’est d’abord la leçon de la période de la pandémie et de la reprise qui a suivi. C’est aussi la conséquence des contraintes mises sur les échanges (voir les relations US/Chine) ou sur la volonté de privilégier les échanges bilatéraux (cf. les propos de Jack Sullivan que j’évoque dans la première partie du premier numéro de “Turbulences Macroéconomiques”). - La seconde raison est la conséquence des ajustements qui jalonneront la longue période de la transition énergétique. Le bouleversement qui en résultera aura des effets inflationnistes. C’est peut être un bien d’ailleurs pour faciliter les ajustements macroéconomiques (j’évoque cette question dans la deuxième partie dans “Turbulences Macroéconomiques”).
Le risque est alors d’avoir un taux d’inflation durablement plus élevé que par le passé récent, en raison d’un environnement macroéconomique bouleversé et qui n’a plus grand chose à voir avec ce que l’on connaissait avant la pandémie.
En outre comme le souligne Gita Gopinath, les références que l’on avait dans le passé, comme la courbe de Phillips qui lie l’inflation et l’activité, ne sont plus aussi pertinentes qu’elles pouvaient l’être.
Si l’inflation est durablement plus élevé et pour longtemps, les banques centrales vont vite se sentir à l’étroit avec une cible de 2%.
L’économie change radicalement avec la transition énergétique. Les banques centrales doivent aussi en tenir compte. Le changement de niveau de la cible d’inflation est un moyen de s’adapter à ce nouvel environnement sans pour autant perdre en crédibilité.