L’été 2023 est une période de rupture sur le climat. Le mois de juin est le plus chaud jamais enregistré, la température des océans est en hausse spectaculaire par rapport au passé, y compris 2022,…. Cette accumulation peut définir un New Normal comme le suggère l’Organisation Météorologique Mondiale.
Pourtant, ce nouveau cadre n’apparait pas comme stable car les évènements climatiques s’enchainent et les conséquences s’accumulent.
Discussions sur ce nouveau cadre.
L’Organisation Météorologique Mondiale évoque la notion de New Normal, un cadre nouveau pour le climat. Ce thème fait l’objet d’un éditorial du Financial Times. C’est aussi le propos d’un article du Times de Londres.
Cette question mérite que l’on s’y arrête car les deux approches des quotidiens britanniques ne se recoupent pas.
Pour le FT, le New Normal reflète la situation particulièrement préoccupante connue, cet été, sur le climat. Le New Normal, c’est d’avoir 20 jours de chaleur intense (40°C) et continue à Phœnix en Arizona, c’est battre le record de température des océans et c’est encore la température intense à Pékin et dans le sud de l’Italie. L’ampleur des incendies au Canada et les pluies intenses aux US ou en Espagne s’inscrivent aussi dans cette définition.
Tous ces événements concomitants et chacun d’une grande ampleur sont parties intégrantes du nouveau cadre qui se dessine. Il n’est plus celui défini historiquement avec des spécificités locales et l’absence d’un embrasement de la planète.
Le monde bascule sans retour en arrière possible.
Même si la température converge vers 1.5°C au dessus de la norme préindustrielle, ces événements climatiques ne disparaîtront pas. Ce basculement est perceptible à la lecture du graphe tiré d’un article récent du Financial Times qui compare la distribution de la température entre 1950-1954 et 2019-2023. Cette distribution s’est partout déplacée vers la droite. En moyenne, il fait beaucoup plus chaud récemment que dans les années 1950.
A Paris, le nombre de journées ayant une température supérieure à 30°C a été multiplié par 8 sur la période et presque 6 fois plus à Pékin. C’est ce décalage qui alerte.
A sa manière c’est ce qu’exprimait Valérie Masson-Delmotte dans un déroulé sur Twitter: “Le seuil de température qui correspondait, dans ma jeunesse, à un mois de juin extrême (les 10% les plus chauds) correspond maintenant à la température moyenne”.
Le monde a changé en raison de l’intensification des événements climatiques. La perception que chacun peut en avoir s’est aussi modifiée en profondeur. Les citoyens prennent désormais conscience du changement climatique et de ses effets.
Ce nouveau cadre, fait de chocs climatiques intenses et de prise de conscience, est là pour durer. On devra tous s’y adapter voire s’y résigner.
Pourtant, cette approche du New Normal n’est pas satisfaisante. Elle traduit la perception que le monde d’aujourd’hui ne sera pas celui d’hier mais qu’il est cohérent avec celui de demain. C’est un peu la représentation d’un système qui oscillerait autour d’une tendance horizontal. Le New Normal se traduirait alors par un rehaussement de la tendance horizontale et une augmentation de la volatilité autour de celle ci. C’est ce nouveau régîmes qui définirait ce New Normal. Pourtant on a la perception que la distribution n’est pas symétrique et qu’il y a un biais vers le haut. De la sorte la nouvelle tendance ne pourrait pas être stationnaire.
On ne peut pas faire hypothèse d’un monde qui s’enroulerait autour d’une tendance stable. Elle ne parait pas pouvoir être horizontale ni même linéaire à la hausse (une droite dont la pente est haussière). Les évolutions récentes suggèrent que la tendance n’est pas indépendante des fluctuations mais que celles-ci provoquent des accélérations durables qui tirent la tendance à la hausse.
Dès lors si les fluctuations s’accroissent en amplitude et en durée, il est illusoire de penser en terme de New Normal, sauf à penser que celle ci n’est qu’une rupture ce qui est une appréhension un peu pauvre.
Quatre dimensions empêchent de rentrer dans cette logique qui table sur l’idée que le pire est passé qui est un peu l’idée d’un New Normal sous forme de rupture.
1- Les gouvernements font un choix divergent par rapport au 1.5°C.
Après la COP27 de Charm el-Cheikh, les engagements des Etats par rapports aux Accords de Paris indiquent une température supérieure de 1°C au moins par rapport à l’objectif défini alors. Cela a des conséquences considérables sur l’économie globale et sur la société mondiale. C’est ce que montre le tableau ci-dessous.
Les périodes de sécheresse seront beaucoup plus longues que celles observées actuellement ou celles qui seraient constatées avec 1.5°C. Les productions agricoles seront plus réduites et les migrations climatiques seront beaucoup plus importantes. Dans ce cas, l’économie et la société mondiale n’auraient pas franchement de facteurs communs avec l’économie actuelle même après la rupture que l’on connait actuellement.
2- La transition énergétique passe par une réduction drastique de l’utilisation des énergies fossiles au cours des trente cinq prochaines années à l’horizon 2050. La consommation de ces énergies représentait en 2022, 80% de la consommation d’énergie primaire. Il faudrait pour se caler sur la trajectoire de la neutralité carbone réduire d’au moins la moitié de cette consommation à l’horizon 2050. Peut on imaginer que cette transition se passe sans anicroches et que la transition énergétique se déroule sans bruit ?
3- C’est d’ailleurs l’argument d’Adair Turner dans un récent article du FT.
Il considère qu’il n’y aura pas de problèmes d’approvisionnements en matières premières pour fabriquer les sources d’énergies renouvelables mais principalement un problème d’agencement des investissements dans le temps. Aller trop lentement et l’équilibre sera rompu créant davantage de volatilité et d’incertitudes sur le climat.
4- Les ruptures ont déjà commencé
Les chocs sont déjà significatifs. À Phœnix, en Arizona, le nombre de décès lié au climat a déjà montré une rupture. La hausse continue des événements climatiques pourrait accentuer ce phénomène. La vague de chaleur dans précédent que connait Phœnix ne sera pas sans conséquences sur le nombre de décès en 2023.
S’il y a rupture et incapacité à revenir en arrière, cela ne signifie pas que le monde se situe sur un pallier. La multiplication des événements climatiques en 2023 suggère que la situation pourrait continuer à se dégrader encore un moment. Le régime climatique ne va pas spontanément se stabiliser. On ne peut donc pas faire l’hypothèse d’un cadre relativement stable après une rupture.
Ce qui se dessine c’est l’obligation de s’adapter en permanence et de faire les efforts d’investissements nécessaires pour que la situation se stabilise effectivement. De ce point de vue la hausse des investissements dans les énergies renouvelables est une bonne nouvelle (l’IAE pense que la demande supplémentaire d’électricité sera principalement pourvue par des énergies renouvelables). Il faut encore accentuer ce mouvement. Le problème est que l’on s’y prend un peu tard. Ce que nous observons n’est pas une surprise, hélas, pour ceux qui suivent les travaux du GIEC depuis de nombreuses années.
Il est dommage d’avoir besoin de preuves effectives et dramatiques pour agir.